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Lucila Modebelu : « L’administration doit permettre à la jeune génération de trouver sa place »

Lucila Modebelu
Le 18 octobre 2021

Directrice des finances au centre hospitalier de Millau (Aveyron), Lucila Modebelu a été élue présidente de « Fonction publique du 21e siècle » (FP21) en juin 2021. Engagée dans la défense des valeurs du service public et favorable à une plus grande diversité des parcours professionnels, elle considère que la question managériale est au cœur de la transformation publique et conditionne la façon de concevoir les politiques publiques. C’est pourquoi, cela sera l’une des priorités de la feuille de route de son association.

Quelles sont les missions de l’association ?

Apartisane et indépendante de tout parti ou organisation syndicale et politique, FP21 est un espace de débats, de rencontres et d’innovations, ouvert à tous les cadres et agents de moins de 35 ans – mais pas que – des trois fonctions publiques. L’association a plusieurs missions : valoriser les métiers du secteur public et la diversité des parcours professionnels, accompagner l’arrivée des primo-entrants dans les administrations, participer à la réflexion commune sur l’avenir de la fonction publique et faire entendre la voix de la jeune génération auprès des pouvoirs publics.

Notre conviction est que la fonction publique doit être à l’image de la société : elle doit davantage se diversifier et prendre en compte des parcours professionnels moins linéaires, plus atypiques, qui sont une richesse pour le service public.

L’une des difficultés que rencontre aujourd’hui la fonction publique porte sur le management. On peut observer dans certains corps administratifs une forme de désenchantement et de découragement chez de jeunes titulaires de l’un des concours de la fonction publique ou des jeunes contractuels, faute de management et d’accompagnement suffisants. De telles situations individuelles peuvent conduire à l’isolement et entraîner des déceptions et départs précipités. C’est pourquoi notre association accorde une grande importance aux questions de management public. Comment peut-on mieux manager les agents publics ? Quels sont les vrais leviers de motivation ? Comment remettre le développement du capital humain au centre du management public ? La qualité des relations, le sens de l’action publique et la capacité à influencer sur la vie des gens sont aujourd’hui insuffisamment valorisés dans la fonction publique. Il y a un gros enjeu générationnel sur ces questions avec la nécessité de questionner certaines postures qui ont la vie dure, constituant ainsi des limites concrètes à la transformation sur le terrain. Par exemple, nous entendons encore souvent que pour accéder à des postes de manager dans la fonction publique il faut être un bon expert. Sans minimiser l’aspect central de l’expertise, manager c’est justement savoir quitter ce rôle d’expert. La crise du covid-19 a aussi mis en évidence les blocages et les freins managériaux dans les administrations. L’accélération du travail à distance pose aussi la question de l’égalité d’accès au télétravail dans la fonction publique : le télétravail doit-il être seulement réservé à une catégorie de cadres ?

Effectivement, la question managériale conditionne souvent la capacité à se transformer et à transformer une organisation. Est-ce que ce vaste chantier, qui touche aussi à la conduite du changement, fera partie des priorités de FP21 ?

Oui, vous avez raison. La question managériale est au cœur de la transformation, du changement, de la façon de concevoir les politiques publiques. Ce que l’on observe, et que nous aimerions faire évoluer, c’est le fait que les pratiques d’innovation managériale se concentrent surtout dans les milieux privilégiés – les cadres de la haute fonction publique – à Paris ou dans les grandes métropoles ou dans la communauté de l’innovation publique animée par l’État. L’enjeu est d’insuffler cette culture de l’innovation managériale par et avec la base. Il faut embarquer tous les agents publics, tous statuts ou catégories confondues, et toucher aussi les moins de 35 ans. Cela nécessite de faire changer les mentalités ! Par exemple, je le vois bien au quotidien dans mon hôpital actuel implanté dans un département rural, ces enjeux de transformation publique, d’innovation managériale sont éloignés des préoccupations quotidiennes d’une grande partie des professionnels… Quand bien même certaines pratiques relèveraient bien de l’innovation managériale mais sans pour autant les valoriser comme telle.

Notre pari à FP21, c’est de diffuser et favoriser la culture de l’innovation managériale par capillarité sur l’ensemble des secteurs et à tous les niveaux. C’est un sujet très complexe, cela touche au changement, on bouscule des postures, des croyances et des enjeux de réussite personnelle.

Le management sera un chantier prioritaire de l’association sur lequel nous souhaitons faire entendre notre voix. Nous avons reçu aussi beaucoup de témoignages de burn out, de mobilités forcées pendant la crise sanitaire ! L’enjeu, c’est de savoir comment l’administration permet à la jeune génération de trouver et de prendre sa place. Les Avant-premières de l’action publique s’inscrivent dans cette dynamique : l’objectif de cet évènement annuel est de les accompagner sur des projets concrets et innovants au vrai sens du terme. Transformer, inventer, proposer une alternative à l’action publique de demain, c’est la raison d’être des Avant-premières de l’action publique organisées par FP21.

Quelle est votre nouvelle feuille de route 2021-2022 ?

Nous allons renforcer notre accompagnement auprès des jeunes agents dans le service public, notamment par le mécénat de compétences. Nous discutons en ce sens depuis quelques mois avec le French Impact, une initiative lancée par le Gouvernement afin de fédérer et valoriser l’ensemble des acteurs de l’innovation sociale en France. L’idée est de mettre en lien des porteurs de projet de l’économie sociale et solidaire (ESS) avec des agents publics pour créer des synergies. Nous allons renforcer le volet international notamment avec le forum des jeunes de la fonction publique québécoise, qui est l’équivalent de notre association au Québec. Nous allons prochainement organiser des missions d’exploration au Québec sur « l’expérience agent et l’expérience usager », avec le soutien de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). L’objectif est de pouvoir mener à terme des actions concrètes avec eux. Nous allons aussi lancer l’expérimentation d’un nouveau programme d’accompagnement des primo-entrants avec un réseau de parrains et marraines. FP21 organise également de nombreuses rencontres (conférences, petits-déjeuners, etc.) pour faciliter l’intégration des jeunes agents dans la fonction publique.

Transformer, inventer, proposer une alternative à l’action publique de demain, c’est la raison d’être des Avant-premières de l’action publique organisées par FP21.

La professionnalisation de l’association fait aussi partie des priorités de la nouvelle mandature. FP21 doit devenir une ressource pour les pouvoirs publics. Cette année, en 2021, nous avons été, par exemple, sollicités pour participer à un groupe de travail sur la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État et le Sénat nous a auditionnés dans le cadre d’une proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes à la fonction publique. Nous devons mieux nous organiser pour avoir la capacité de produire des notes de fond sur l’action publique, la prospective, la planification ou encore la stratégie qui reflètent une vision collective des membres du réseau. FP21 a vocation à devenir une organisation apprenante en proposant des formations à ses adhérents et des actions à mener en mode projet. Une deuxième édition des Avant-premières de l’action publique aura lieu dans le cadre du mois de l’innovation publique en novembre 2021. Nous travaillons sur une formule allégée, recentrée sur la thématique centrale de l’innovation managériale avec des sous-thèmes possibles. Pour y participer, j’invite d’ailleurs tous les cadres et agents publics de moins de 35 ans à présenter leur projet dans le cadre de l’appel à candidatures qui devrait être diffusé courant septembre 2021.

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