Le mode projet, une culture différente pour la fonction publique

Jounée du 31 janvier "L'engagement des équipes comme conditions des transformations : un défi impossible pour la fonction RH ?"
Extrait du Livret de restitution sur L'engagement des équipes comme conditions des transformations : un défi impossible pour la fonction RH ?
©DGAFP
Le 18 février 2020

Déjà bien installé dans le secteur privé, le mode projet gagne progressivement la fonction publique. Cette manière de travailler modifie la culture très hiérarchisée, en silo, au profit de plus de transversalité et de coopération entre les agents. Une pratique pas facile à mettre en place qui engendre des difficultés, idéologiques et techniques. Pour mieux les comprendre, la revue Horizons Publics s’est rendue à une journée de formation dédiée à "L'engagement des équipes comme conditions des transformations : un défi impossible pour la fonction RH ?", organisée le 31 janvier dernier par l'École du Management et des Ressources humaines de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), où un atelier était dédié au mode projet.

Déjà bien installé dans le secteur privé, le mode projet s’immisce dans les pratiques de la fonction publique. Ce mode de travail consiste à réunir des agents de différents services, aux compétences diverses, pour réussir un objectif (ou un livrable) dans un délai défini. Un guide, « Diffuser la culture du mode projet dans la fonction publique », a été rédigé pour accompagner au mieux la transition. Initié par la DGAFP, il a été réalisé par Agnès Duwer, cheffe de projet senior « Appui aux réformes des ressources humaines », en 2019. Son bureau est en charge de repérer les transformations et les restructurations à mener au niveau des aspects RH et d’y apporter des pistes de réflexions et d’actions.

Il paraissait donc évident que ce guide voit le jour après la circulaire de juin 2019. « Si nous la traduisons, cette circulaire demande aux administrations centrales de mieux répondre à la commande politique, de faire moins de fonction pérenne et d’être plus en capacité de faire du ponctuel. Par exemple, à la Direction Générale des Entreprises, ça s’est traduit par du mode projet. Ils étaient organisés en différents bureaux : le numérique, l’automobile, l’énergie, etc. Le jour où il a fallu faire un dossier sur la voiture électrique, ils ont dû travailler ensemble, même si en parallèle ils avaient d’autres dossiers », explique Emmanuel Brossier, chef du bureau de la stratégie, de la gouvernance interministérielle et territoriale des politiques de ressources humaines et de l’appui aux réformes.

Une mise en place complexe

Le mode projet, d’apparence simple à mettre en place, comporte de nombreuses complications dues à la modification des structures classiques de travail. Lors de la formation de la DGAFP, en janvier dernier au ministère de l’économie et de la finance, « L’engagement des équipes comme condition des transformations : un défi impossible pour la fonction RH ?», cette pratique a donc eu droit à son atelier, animé par Agnès Duwer.

Pour Jean-Marc Chneider, chef du bureau de la prospective et de la professionnalisation RH, le mode projet devient une absolue nécessité : «Au niveau du recrutement par exemple, plusieurs services doivent collaborer ensemble donc il est évident que nous devons créer un pilotage projet et sortir des cadres trop rigides de l’organisation qui empêche de travailler facilement entre nous. Il faut décloisonner et avoir une culture du projet, c’est-à-dire ne pas se concentrer sur la partie hiérarchique mais plutôt sur les compétences. Après, il y a des questions d’organisations autour de ça qui sont plus compliquées, qui chamboulent un peu les repères traditionnels de l’administration».

Un engouement de la part des agents

Atelier sur le mode projet
Atelier sur la gestion en mode projet organisé pendant la journée de formation.
©Léa Tramontin

21 personnes se sont rassemblées après le déjeuner pour participer à l’atelier. Six d’entre elles ont déjà travaillé en mode projet. Toutes sont venues avec leurs interrogations concernant l’application de cette pratique de travail. L’atelier débute avec la clarification de la définition du mode projet, ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Les participants ont tout juste, le concept semble compris, Agnès Duwer le résume en trois mots : agilité, souplesse et réactivité.

La deuxième partie de l’atelier engendre plus de débats. Elle vise à examiner les leviers RH et ses moyens pour inculquer cette culture.

Arnauld de la Rivière, présent lors de l’atelier, prend le temps d’analyser à la fin de la journée :« La culture du service public veut que la démarche de service rendu soit parfaite, conforme aux règles. Mais la démarche projet implique que nous puissions nous tromper, revenir en arrière pour mieux réussir. Cela nécessite un petit jeu mental qui n’est pas celui que nous avions au départ dans l’administration. Peu à peu, grâce à des initiatives comme celle de la DGAFP, il y a des démarches qui irriguent tous les services de manière à diffuser cette culture. Sans oublier qu’elle n’a pas vocation à remplacer ce qui existe jusqu’à présent, mais à le compléter. Il y a des tas de choses que nous ne pouvons pas faire en démarche projet ».

Une confrontation de culture

Le mode projet, s’il est connu et attendu par les agents, connait quelques difficultés de mise en place. La confrontation entre deux cultures, aux fonctionnements et aux valeurs différentes, voire opposées, nécessite quelques arrangements. Lorsqu’il est proposé à un agent de travailler sur un projet, en collaboration avec d’autres agents d’autres services, il se retrouve alors avec deux supérieurs hiérarchiques. Son chef de service et son chef de projet. Casser les silos pour plus de transversalité conduit ici à une multiplication de la hiérarchie. Le chef de service va ainsi devoir dé-prioriser certaines tâches, du fait que l’agent sera moins disponible. Cela peut conduire à une concurrence entre projets et à des conflits. « Nous allons avoir une vision matricielle et c’est problématique dans nos structures, admet Agnès Duwer, ça pose des questions en terme RH notamment sur le temps passé par l’agent sur le projet, la valorisation de son temps de travail, son évaluation, etc. » Emmanuel Brossier ajoute : « Il y a des manières de régler ces problèmes, par exemple certains DRH expérimentent un autre type de pilotage avec plusieurs pôles, ayant chacun un chef et la tête de cette structure est tournante pour que les différents chefs se relaient et qu’il n’y ait pas de priorisation de certains tâches par rapport à d’autres. »

Des « chantiers » pour améliorer le fonctionnement du mode projet

Pour Emmanuel Brossier, « nous sommes dans cette phase où nous voyons émerger des réponses et nous essayons de détecter ce qui marche, à quelles conditions, ce qu’il faut adapter, etc. En parallèle, il y a d’autres chantiers qui s’articulent assez bien. Une des problématiques du mode projet, c’est l’évaluation des agents. Il y a des chantiers en ce moment sur la reconnaissance du mérite, comment reconnaissons-nous le mérite collectif ? Il y a aussi la problématique de la ressource pour mener le projet à bien. Des contrats de projet ont été mis en place par la loi pour recruter des CDD sur une durée liée au projet ». En effet, ces contrats doivent respecter deux obligations : remplir un besoin spécifique pour l’employeur public et qu’aucun agent en place ne soit en capacité de remplir ce besoin.

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