Recrutement dans la fonction publique : la marque employeur est-elle la solution ?

table ronde Profil public
Le 22 novembre 2019

Le 5 novembre dernier, la start-up Profil Public, qui accompagne les candidats à la fonction publique dans leur recherche d’emploi, proposait une table ronde sur le thème « Marque employeur, quels enjeux pour le service public ? ». Alors que ce dernier s’interroge sur son devenir, avec notamment la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, le concept de marque employeur peut-il contribuer à améliorer son image pour de meilleurs recrutements ?

La marque employeur, du privé au public

Comme l’explique Sigrid Berger, fondatrice de Profil Public, « la marque employeur est la notion de marque appliquée aux RH, la promesse RH d’une organisation reposant sur une culture, un ADN, en cohérence avec ses actions au quotidien ». Elle permet de séduire les candidats les plus intéressants pour l’entreprise en rendant celle-ci attractive. Il s’agit avant tout d’une stratégie marketing adaptée à la gestion des ressources humaines, destinée à donner l’envie aux candidats d’y travailler… et d’y donner le meilleur d’eux-mêmes. Les bénéfices de la marque employeur sont connus. Selon un sondage IPSOS, les entreprises ayant une marque employeur attirent des candidatures plus pertinentes et fidélisent leurs employés.

Il n’est pas possible d’établir une liste exhaustive des critères qui la composent, elle émerge de pratiques quotidiennes, mais quand elle existe on la perçoit.  On peut citer quelques exemples dans le monde de l’entreprise : les perspectives de formation et d’évolution dans une chaîne de fast-food célèbre, ou l’esprit d’équipe autour de fameux guides de voyage ; l’application qui analyse les produits alimentaires et cosmétiques ne compte plus les candidatures spontanées, attirées par les startups qui parient sur la flexibilité, la liberté et la communication, la dimension écologique n’étant pas la dernière à être prise en compte.

Plus profondément, beaucoup de jeunes veulent donner un sens à leur travail, au-delà des stricts critères de rentabilité et de productivité. La  croissance financière ne suffit plus, sans impact social et écologique. Pour beaucoup d’entre eux, l’engagement, se sentir utile, « le social » sont des notions chargées de sens et motivantes. Le service public a une carte à jouer, mais doit, pour ce faire, être conscient autant de ses failles que de ses atouts.

La fonction publique : des difficultés de recrutement et un déficit de communication publique

On pouvait lire dans un rapport de l’OCDE de 2001 : « L’amélioration de l’image du secteur public est un des défis les plus importants que doivent relever les pays. Les organismes publics doivent devenir des lieux de travail plus attrayants et plus souhaités. À cet effet, il faut consentir des efforts soutenus pour créer une image positive et crédible du travail du secteur public et des conditions de ce travail. L’image d’une fonction publique désuète et ennuyeuse doit disparaitre. » Ces lignes sont toujours d’actualité.

Le service public souffre encore d’une image poussiéreuse – guichets, attentes, complexité, paperasse – moins bonne que celle des institutions publiques dans leur ensemble. Le « fonctionnaire bashing » est une plaie, qui contribue à fausser l’image du service public, brouille les messages et nuit au recrutement.

Les concours conservent souvent un contenu très académique, loin des compétences attendues des agents au quotidien. Le processus de recrutement est laborieux dans la durée et les modalités : convocations très rigides, pas de réponses données aux candidats non retenus.

Or, pour beaucoup de métiers en tensions, on peine à recruter : les métiers de l’informatique, de la cybersécurité, des services techniques (voirie, bâtiment) sont particulièrement touchés. Frédéric Jalier, DGA chargé des Ressources à Pantin, explique combien il est compliqué de recruter des agents « propreté », des gestionnaires « carrière-paie » et même un directeur des finances.

« Ces dernières années, la transformation du service public s’est tournée davantage vers l’usager. C’est un véritable progrès mais un écart s’est créé entre les nouveaux services qui sont proposés aux usagers et ce qu’on propose aux agents notamment en termes d’environnement et d’outils de travail », affirme Benoît Spacher, Responsable grands comptes publics et ministères au groupe La Poste. Tout occupée de l’usager, l’administration a délaissé le collaborateur, sans percevoir que le premier sera d’autant mieux servi que le second sera bien dans son poste, fier de ce qu’il réalise et autonome dans ses tâches.

Pourtant les retours d’expérience et les idées ne manquent pas

Le défi que doivent relever les organismes publics consiste à créer des lieux de travail qui répondent aux nouvelles aspirations : flexibilité et liberté dans l’organisation du travail, digitalisation et contribution active à la transformation de l’organisation » (Profil public, Marque employeur et service public, Livre Blanc, 2019).

S’agissant du recrutement, le recours aux contractuels est toujours présenté comme l’alternative la plus simple au concours. La loi du 6 août 2019 va dans le bon sens en élargissant le recours aux contractuels, comme l’explique Frédéric Jalier qui rappelle que pendant longtemps le préfet menaçait souvent de déférer au juge administratif les contrats qui dérogeaient à la règle du concours.

La rémunération apparait encore comme un levier, même si le salaire n’est plus l’élément déterminant dans le choix d’un poste. À Pantin, on se réjouit de la marge de manœuvre offerte par le RIFSEEP, nouveau régime indemnitaire qui se met en place peu à peu dans la fonction publique : il a permis de constituer une enveloppe pour sécuriser certains profils. 

Comme l’explique Catherine Gallet-Rybak, Secrétaire générale de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), le thème phare reste le télétravail, plébiscité à l’ARCEP et qui repose sur le feedback et la confiance. Il permet de pallier l’absentéisme engendré par les difficultés de transport et jusqu’à deux/trois jours de télétravail par semaine, la productivité de l’agent augmente.  

L’ARCEP s’est engagée dans une démarche participative avec son programme OLAF (Organisation libérée pour l’ARCEP du futur) initié par les équipes. Une organisation de travail plus agile a été mise en place, à partir d’ateliers internes collaboratifs permettant de capitaliser sur des connaissances techniques : comment aménager les locaux ? Comment repenser les espaces de travail pour favoriser créativité et inventivité ?

À Pantin, on pratique l’onboarding des nouveaux collaborateurs, ou comment bien accueillir et intégrer le nouveau venu : on réunit les nouveaux arrivants et le maire leur fait faire le tour de la ville en car en leur montrant toutes les réalisations municipales et tout ce qu’ils doivent savoir de leur ville.

Pour développer sa marque employeur, le service public doit travailler sa communication, valoriser ses atouts et veiller à équilibrer discours et action

La communication publique n’appartient pas à la culture de l’administration. Le devoir de réserve, une certaine opacité autour des métiers, des projets innovants, ont longtemps prévalu et ont entamé la confiance à l’endroit de l’administration.

C’est tout un état d’esprit nouveau qu’il faut acquérir :

  • réfléchir à une identité, non décrétée par quelques-uns mais co-élaborée avec l’ensemble des parties prenantes ;
  • assurer une présence active sur les réseaux sociaux ;

Il est important, comme le souligne Olivier Landel, délégué général de France urbaine, de revenir aux fondamentaux. Pour lui, Il faut remettre au jour des notions implicites, depuis longtemps intrinsèques à l’action publique locale, que l’on a tendance à oublier : le service public, le bien public, un engagement réel pour le développement durable. Il faut réaffirmer ces principes, tellement évidents que l’on va chercher au loin ce que l’on a sous les yeux. Valoriser les atouts, c’est défendre l’intérêt général. Cette spécificité de la fonction publique territoriale doit de nouveau s’affirmer.

La « promesse » doit être claire… et tenue. Le pire serait de survendre un emploi, de ne pas veiller à la cohérence entre le projet et la réalité et de décevoir le candidat. Dire ce que l’on compte faire, faire ce que l’on a dit, impliquer les managers, c’est à ces conditions que la marque employeur remplira son office.

Un enjeu économique et international

Les collectivités locales ont-elles intérêt à développer une marque employeur propre et à entrer ainsi dans un monde de concurrence ? Une grande ville a-t-elle des particularités, des valeurs propres qui lui feraient développer une marque employeur urbaine ? Faut-il une marque employeur du service public ? Une marque employeur par institution ? Les collectivités locales peuvent-elles se permettre de « chasser » les talents, et donc de débaucher sans vergogne le DGS d’une commune voisine ?

La marque employeur n’est pas un enjeu franco-français, comme l’explique Donal Mullighan, Analyst public employment and management à l’OCDE. Beaucoup de pays tentent de redorer le blason de leur fonction publique, notamment par l’image.

Quelquefois la tentative est maladroite, comme cette annonce d’emploi du ministère des Finances en Australie. En quoi cet univers impersonnel et froid serait-il attractif ?

offre d'emploi Australie

Dans d’autres cas l’employeur se donne les moyens, comme pour une vidéo néo-zélandaise incitant à entrer dans la police et dans laquelle de vrais policiers ont été filmés.

En guise de conclusion : entre intérêt général et concurrence

La loi PACTE du 22 mai 2019 demandait aux entreprises privées d’affirmer leur impact sur la vie sociale et leur raison d’être. Elles s’emparaient alors des valeurs historiques du service public : l’intérêt général, le bien commun.

À l’inverse avec la marque employeur, le public entre dans une logique concurrentielle. Il doit en avoir conscience et réaliser que sa marge de manœuvre n’est pas si large. Il attirera les meilleurs qui acceptent de s’engager, qui souhaitent se rendre utiles et qui sont portés par une dimension altruiste de leur action. C’est à cette condition qu’il se modernisera sans perdre son âme et ce qui fait sa spécificité.

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