Nicolas Berthelot : «Nous devons nous appuyer sur d'autres partenaires pour produire les données»

Nicolas Berthelot
Nicolas Berthelot est responsable de la Fabrique des géocommuns depuis décembre 2021.
©DR
Le 20 février 2023

En mars 2023, la Fabrique des Géocommuns de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) lancera un nouvel appel à intrapreneurs. Créé en 2021, cet incubateur a pour ambition d'initier et d'accompagner le développement de services publics numériques construits autour des géocommuns. Une démarche qui s'inscrit dans le cadre de sa nouvelle stratégie « IGN changer d’échelle », qui consiste notamment à s'appuyer sur la mécanique des communs pour co-construire les politiques publiques avec les acteurs de l'éco-système.

 

La Fabrique des Géocommuns s'est vue attribuée le 8 février dernier la Victoire de l’Innovation des acteurs publics 2023, décernée par le magazine Acteurs publics. Nicolas Berthelot, son responsable, revient sur les premiers enseignements et les ambitions des différents projets initiés.

Depuis juillet 2022, la Fabrique des Géocommuns travaille sur 3 communs : les vues immersives libres, les réglementations forestières, les obligations légales de débroussaillement. Quels sont les premiers retours d’expérience sur ces projets ?

Nous avons lancé un premier appel à intrapreneurs en avril 2022, ce sont des agents publics à qui l’on offre du temps pour travailler sur des sujets leur tenant à cœur et permettant de régler un problème de service public. Le commun, cest la méthode, la finalité première consiste à développer un service en partant dun besoin, d’un cas d’usage.

Le premier objectif consistait à créer un street view libre. Aujourd’hui, on utilise les photos des rues, à 180° ou 360° pour mettre à jour les données routières, les données de stationnement, pour détecter les matériaux des murs. Or il est illégal d’utiliser les données de Google. L’idée est donc de créer une base ouverte, complètement libre, où chacun peut héberger ses photos tout en travaillant sur la question de l’inter-opérabilité.

La pertinence du projet est désormais acquise, l’IGN a contribué à hauteur de 500 000 euros à ce projet dont toutes les informations passent par le forum des géocommuns.

Les deux sujets « forestiers » sont encore en phase d’investigation. Le premier sujet porte sur le débroussaillement autour des maisons, une obligation pour toutes les habitations situées à 50 mètres d’une forêt. Or les propriétaires ne sont pas toujours au courant des règlementations, les maires, parfois démunis, ne connaissent pas toujours les solutions de proximité pour ces débroussaillements. À cela s’ajoute la difficulté d’intervention des pompiers en cas d’incident.

Lobjectif de cette startup dÉtat serait de proposer une cartographie des zones et des personnes participant au débroussaillement. Ainsi on ferait du collectif sur cet enjeu saillant.

Le second sujet concerne la connaissance des réglementations en forêt. Au-delà de l’Etat, 3 millions de personnes détiennent des parcelles forestières, alors qu’une soixantaine de catégories de règles différentes s’appliquent. L’objectif serait de constituer un commun des règlementations forestières en appuyant sur des outils qu’utilisent les notaires et les gestionnaires forestiers qui connaissent aussi bien les règles en matière de biodiversité et celles s’appliquant aux monuments historiques.

Qu’en est-il du projet BatID, le Référentiel National des Bâtiments qui vise à référencer l’intégralité des bâtiments du territoire français au sein d’un géocommun ?

Ce projet mené en partenariat avec l’Ademe et le CSTB porte sur la création d’un identifiant unique du bâtiment. Aujourd’hui les bases de données sur les bâtiments ne sont pas inter-opérables. Il est compliqué de lier les informations de consommation d’énergie, de cadastre, de morphologie du bâtiment. Nous avons réussi à mettre tout le monde d’accord sur une définition du bâtiment. Ensuite le travail consiste à utiliser les permis de construire comme premier outil afin de générer un identifiant qui serait utilisé pendant tout le cycle de vie du bâtiment (construction, rénovation, destruction). Il s’avérera extrêmement utile même en fin de vie, pour le recyclage des déchets du bâtiment. Dans le parc ancien, lobjectif cest de se reposer sur les collectivités pour faire la cartographie.

Ce projet est co-financé par les 3 partenaires à hauteur de 600 000 euros. En ce moment une expérimentation se déroule à Grenoble. Elle vise à mettre en place un référentiel qui connecte plusieurs bases : la BD TOPO de l’IGN, le cadastre de la DGFiP et le référentiel bâtiment de la métropole à partir d’identifiants consolidés. Il s’agit aussi de travailler sur le canal de mise à jour, lorsqu’une nouvelle information est ajoutée, elle doit être associée au bon référentiel.

Vous avez organisé une journée d’échanges « Les communs, d’utilité publique ! » le 17 janvier 2023 réunissant près de 70 participants, acteurs publics et privés pour travailler sur les données dans 4 secteurs : la santé, les énergies renouvelables, l’aménagement du territoire durable, la médiation numérique. Quels enseignements tirez-vous de ces travaux collectifs ?

Chaque atelier rassemblait des gens aux expériences professionnelles différentes, des représentants d’entreprises, de collectivités territoriales, d’administrations centrales. Cela a donné lieu à un véritable foisonnement d’idées. L’un des sujets régulièrement cités, c’est la nécessité de référencer les bases d’informations existantes, de sortir des fonctionnements en silos de chaque secteur. Une autre question récurrente portait sur la manière de familiariser certains acteurs à l’utilisation de cartes et de données géographiques. L’organisation de grands événements peut devenir l’occasion de mettre à jour des référentiels de données. On peut utiliser la carte comme un moyen d’accueillir les visiteurs, de mettre à jour l’« openstreetmap » pour connaitre les horaires d’ouverture des commerces, l’accessibilité des trottoirs aux personnes à mobilité réduite. Ainsi on participe à sensibiliser les citoyens à leur rôle d’acteur de leur territoire.

Vous précisez que l’IGN n’a pas vocation à être au centre de tous les projets. Comment envisagez-vous sa place dans l’écosystème ?

Nous lancerons également au printemps 2023 un appel à communs en partenariat avec l’Ademe, l’ANRU et l’ANCT. Avec cet appel à commun nous endossons plutôt le rôle de sponsor que celui d’opérateur. L’objectif consiste à rendre visible ce que font les acteurs extérieurs, à y contribuer en fournissant du temps de développement, de la mise en réseau. Ainsi l’on permet à d’autres personnes ou entités d’être actrices de la donnée géographique en France, notamment sur des sujets ne faisant pas partie de notre expertise. En revanche, il est important que nous puissions jouer notre rôle de service public en étant activement accompagnateurs.

Quels sont les freins à cette démarche d’innovation ?

Le risque tient au modèle d’affaire, sans ressources suffisantes, on ne peut produire des projets. L’Etat subventionne l’IGN (à hauteur de 46% en 2022), une autre moitié provient de contrats signés avec les administrations sur des projets spécifiques. Cela suppose de se recentrer sur des priorités, notamment la cartographie de l’anthropocène qui rend compte des grandes évolutions du territoire provoquées par l’homme. Par ailleurs cela implique de s’appuyer sur d’autres partenaires pour produire des données. C’est le cas des données d’adresses nationales qui reposent aujourd’hui sur les communes. Une équipe d’une dizaine de personnes de l’IGN, de l’ANCT et de la DINUM outillent et accompagnent ces collectivités dans la production de leurs propres données.

×

A lire aussi