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Nicolas Lallemand : « La commande publique est un levier d’action et de durabilité. »

Le 11 février 2023

Directeur de la commande publique unifiée des Yvelines et des Hauts-de-Seine, Nicolas Lallemand revient sur les enjeux de cette fusion, une forme d’innovation organisationnelle et managériale. Il explique en quoi la commande publique constitue un levier d’incitation puissant en faveur de la transformation écologique à l’échelle locale.

Vous êtes arrivé au département des Hauts-de-Seine pour rapprocher les commandes publiques des Hauts-de-Seine et des Yvelines. Quels étaient les objectifs du projet de convergence qui vous a été confié ?

En effet, je suis arrivé en 2019 au sein du département des Hauts-de-Seine afin de mettre en œuvre le projet de convergence de la commande publique entre les deux collectivités. J’occupais à l’époque la fonction de directeur des achats centraux de produits de santé à l’assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), un service chargé de passer des marchés pour une quarantaine d’hôpitaux. Le projet de convergence m’a fortement intéressé dans la mesure où il s’inscrivait dans une démarche de rapprochement déjà mise en œuvre dans le secteur hospitalier. L’autre dimension importante du projet est qu’il s’appuyait sur une pratique de coopération engagée depuis plusieurs années, notamment au travers de groupements de commandes qui ont permis d’enclencher le mouvement de mutualisation des achats. Enfin, le projet était porté politiquement par les présidents des deux collectivités, ce qui a naturellement constitué le levier le plus important pour la réussite de ce projet. Concrètement, le projet poursuivait trois objectifs : offrir une plus grande visibilité des achats pour les acteurs économiques, atteindre une plus grande efficacité administrative et dégager des gains budgétaires, sachant que le volume d’achats combiné des deux départements représente plus de 670 millions d’euros par an, dont environ 2/3 en investissement.

Concrètement, comment ce projet a-t-il été mis en œuvre et quelles sont les particularités de l’organisation de la commande publique qui en résulte ? Peut-on parler d’innovation organisationnelle ou managériale ?

La spécificité de ce projet a été l’approche méthodologique initialement retenue. Nous n’avons pas cherché à imposer un cadre de manière descendante, mais au contraire de construire un référentiel s’appuyant sur les compétences des agents. De manière concrète, des groupes de travail associant des agents de la commande publique et des directions opérationnelles ont été mis en place afin d’analyser puis faire converger les processus et pratiques professionnelles des deux départements tout en cherchant à les clarifier et les améliorer. Cette « mise en commun » s’est opérée sans modifier l’organisation des services. Nous avons conservé deux sites afin de maintenir une relation de proximité avec les directions métiers et fonctionnelles dans chaque département. Deux directrices adjointes ont été nommées1 et une instance de pilotage a été créée impliquant les deux directeurs généraux adjoints (DGA) en charge de la commande publique2. Treize nouveaux processus et une vingtaine de procédures et fiches techniques ont été rédigés par les groupes de travail qui ont ensuite fait l’objet d’une large consultation avec plus de soixante réunions d’information et entretiens bilatéraux avant d’être validés par les deux DGS en octobre 2020.

Cette étape franchie, nous avons déployé les processus en les paramétrant dans un nouveau progiciel de passation des marchés communs aux deux départements. Ce progiciel, qui constitue le noyau central du système d’information achat, permet de diminuer le temps dédié aux tâches administratives répétitives des acheteurs afin qu’ils puissent se consacrer à des activités à plus haute valeur ajoutée (sourcing, accompagnement des directions opérationnelles, négociation, etc.), assurer un meilleur suivi des procédures grâce à un reporting fiable et faciliter les échanges avec les prescripteurs des marchés.

Compte tenu de son caractère singulier en termes de niveau de coopération et de synergie entre les deux collectivités, ce projet me semble effectivement présenter un caractère innovant tant sur le plan organisationnel que managérial. Pour le résumer, je dirais qu’il s’agit d’un management basé sur des objectifs et des pratiques mutualisés de manière volontaire dans un cadre reposant sur une autonomie des acteurs leur permettant de s’adapter aux spécificités des deux collectivités.

Pourquoi, selon vous, la commande publique constitue-t-elle un levier en matière de développement durable ?

Au niveau national, la commande publique représente environ 8 à 10 % du produit intérieur brut (PIB). Il s’agit d’un levier d’incitation puissant en faveur du développement durable. Les pouvoirs publics et le législateur ont d’ailleurs souligné ce rôle de la commande publique à travers la loi « Climat et résilience » de 20213, le Plan national pour des achats durables 2022-2025 (PNAD), la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGALIM)4 ou encore la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC)5. Nous ne manquons donc ni de textes ni d’encouragements pour agir sur ce plan. Au-delà de cet aspect réglementaire, de nombreuses actions ont été menées dans les deux départements pour intégrer les enjeux liés au développement durable.

En ce qui concerne la commande publique, l’étape la plus importante a été la formalisation de la nouvelle politique d’achat élaborée de manière commune entre les deux départements. Le travail collaboratif que nous avons engagé pour rédiger cette stratégie a mis en évidence que la dimension socialement et écologiquement responsable de l’achat constituait le socle de cette politique. Nous avons donc pris la décision d’intégrer notre politique d’achat sous la forme d’un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER) adopté en décembre 2021 le même jour dans les deux départements.

La particularité du SPASER est qu’il place les enjeux de développement durable au cœur de la politique d’achat et identifie clairement la commande publique comme levier du progrès social, de la transition écologique et de l’économie circulaire. Pour atteindre ces objectifs, il s’appuie sur une relation équilibrée et partenariale avec nos fournisseurs afin que chacun puisse bénéficier de la meilleure connaissance des attentes et besoins des uns et des autres. La qualité de cette relation est essentielle à nos yeux. À cet effet, le département des Hauts-de-Seine a reçu en décembre 2021 le nouveau label Relation fournisseurs et achats responsables, décerné par le médiateur des entreprises du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie et le Conseil national des achats (CNA), qui distingue les entreprises et entités publiques ayant démontré des relations durables et équilibrées avec leurs fournisseurs à travers un référentiel élaboré à partir de la norme ISO 20 400 Achats responsables. Il s’agit du seul label reconnu par l’État en matière d’achats responsables. Sur ce plan, le département des Hauts-de-Seine a fait figure de pionnier puisqu’il fut la première collectivité locale à obtenir en 2017 le précédent label Relations fournisseurs responsables. Nous avons également associé le département des Yvelines qui, à son tour, s’est vu décerner ce label en octobre 2022 sur la base d’un dossier très proche en termes d’engagements que celui des Hauts-de-Seine.

Finalement, nous avons retenu quatre axes qui nous permettent de décliner et de rendre publique notre politique d’achat sur le plan social et environnemental : la proximité autour de la dynamisation du tissu économique, la simplification des formalités administratives, l’accès à l’information et la réduction des délais de paiement ; la solidarité à travers le développement du caractère solidaire et responsable de l’achat, l’augmentation et la diversification des clauses d’insertion dans les marchés, des critères de promotion de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des fournisseurs et la mise en place de marchés réservés auprès des opérateurs économiques qui emploient des travailleurs handicapés ou qui relèvent de l’économie sociale et solidaire ; une commande publique durable et décarbonée pour prendre en compte l’impact environnemental dans la définition des besoins, l’approche en coût complet, l’insertion de clauses environnementales dans les marchés et la recherche d’actions visant à favoriser l’économie circulaire et une commande publique efficiente qui renforce la professionnalisation de la fonction achat et développe les pratiques innovantes et performantes.

Chaque axe est organisé autour d’objectifs qui sont eux-mêmes déclinés en vingt-sept actions et indicateurs de suivi qui se rattachent aux objectifs de développement durable (ODD) définis par l’ONU dans l’agenda 2030. C’est donc bien l’ensemble de ces axes et de ces actions qui concourent de manière globale à répondre aux défis liés au développement durable.

Quelles sont les actions et démarches entreprises dans ce domaine ?

Notre premier objectif porte sur la systématisation des achats durables et décarbonés. Le département a intégré cette dimension depuis de nombreuses années puisque déjà la moitié des marchés que nous passons intègrent des clauses ou critères environnementaux. À titre d’exemple également, la direction de l’eau est certifiée ISO 14001 et a élaboré un cahier des clauses environnementales pour traiter l’ensemble des problématiques environnementales de ses chantiers.

L’objectif fixé par le nouveau PNAD vise à ce que la totalité des marchés comporte, d’ici 2025, des « considérations environnementales » 6. Nous avons souhaité sur ce plan aller plus vite que la réglementation en faisant en sorte que la totalité des marchés du département comportent de telles considérations dès 2023.

La principale difficulté porte sur les segments d’achat actuellement dépourvus de considérations environnementales et pour lesquels nous devons donc réfléchir à la rédaction de clauses ou de critères adaptés. À cet effet, la direction de la commande publique a rédigé un guide visant à proposer des dispositions environnementales susceptibles d’être intégrées dans les marchés. Nous avons commencé à augmenter la pondération de ce critère dans la notation des offres afin de lui donner un poids relatif plus important. Ce guide est rédigé par les acheteurs en lien avec les directions opérationnelles et les personnes référentes chargées du développement durable dans les deux collectivités. Nous assurons également une fonction de veille en travaillant en réseau avec des acheteurs d’autres organismes ou collectivités, notamment sur la plateforme Réseau des acheteurs publics intégrant le développement durable (RAPIDD) lancée par le ministère de la Transition écologique.

D’ici 2025, nous avons des objectifs plus ambitieux visant à intégrer une approche bas carbone dans nos achats. Le département dispose d’un outil efficace au travers de son bilan gaz à effet de serre (GES) permettant de cibler les achats présentant un impact négatif sur le plan climatique. La loi Climat et résilience dispose, d’ici 2030, l’obligation d’utiliser des matériaux biosourcés ou bas-carbone dans au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique. Notre objectif est aujourd’hui de mettre en œuvre des stratégies adaptées aux achats en identifiant les actions présentant un impact négatif sur le plan de l’émission des GES.

En ce qui concerne l’économie circulaire, le département s’inscrit pleinement dans cette trajectoire d’achats publics responsables. La loi AGEC a renforcé les obligations des collectivités territoriales en matière de gestion des déchets et ajoute également des restrictions en matière d’usage du plastique en favorisant la part des produits durables servis dans la restauration collective, qu’il s’agisse notamment de produits issus de l’agriculture biologique ou du commerce équitable. Cette loi impose également que les biens acquis annuellement par les collectivités territoriales soient issus du réemploi ou de la réutilisation ou intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 à 100 % selon le type de produits. Nous allons également insérer en 2023 une clause obligeant les candidats à supprimer les produits et emballages en plastique à usage unique. Pour les biens issus du réemploi ou de la réutilisation ou comportant des matières recyclées, nous nous heurtons cependant à une difficulté liée à l’absence de réponse de la part des entreprises dans certains cas. Il nous faut donc redoubler d’efforts pour parvenir à la fois à sensibiliser les entreprises ou à inciter celles qui proposent ces produits à répondre à nos consultations. À cet effet, nous allons mettre en place début 2023 une cellule de contact sous la forme d’une assistance téléphonique pour aider les entreprises et en particulier les TPE/PME locales à répondre aux marchés passés par le département. En matière de réduction des déchets, le département a entamé des actions depuis de nombreuses années dans les secteurs du bâtiment, de la gestion de l’eau, des voiries et réseaux divers et des espaces verts avec un suivi particulier de la valorisation des déchets de chantier. Le département s’assure de la bonne gestion des déchets produits sur ses chantiers et ses sites et a inséré dans ses marchés des spécifications techniques adaptées. De la même façon, un contrat a été conclu avec un éco-organisme agréé pour la gestion et la valorisation de ses déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). La labellisation Eve® des parcs et jardins requise intègre également des consignes de tri plus exigeantes que la réglementation. Nous systématisons désormais l’insertion d’une clause de réduction dans la totalité des marchés dont l’exécution entraîne la production de déchets.

Un autre levier porte sur l’utilisation des écolabels dans les marchés. Les écolabels garantissent un niveau d’exigence élevé en termes de limitation des impacts des produits et services sur l’environnement et la santé, tout en maintenant leur niveau de performance. La réglementation permet de définir des performances ou des exigences fonctionnelles pouvant être définies par référence à tout ou partie d’un label environnemental. Le critère environnemental permet de valoriser les fournisseurs disposant d’un écolabel pour l’exécution de leurs prestations. Notre objectif est d’augmenter le nombre de marchés disposant d’écolabels.

La dernière action que nous envisageons est de déterminer la valeur économique des marchés en ayant une approche de calcul du coût du cycle de vie qui intègre dans son champ, sous condition de leur pertinence, tout ou partie des coûts imputables à un produit, un service ou un ouvrage tout au long de son cycle de vie. Le département a déjà eu recours à cette méthode de calcul dans le cadre de marchés de construction ou de contrats de performance énergétique qui prennent en compte le coût de l’élimination des déchets et les dépenses d’énergie sur la durée d’exploitation des équipements thermiques liés à l’ouvrage. L’idée est d’aller plus loin en intégrant le coût des externalités environnementales liées à l’exécution du marché. Cette pratique nécessite cependant de bien définir les éléments à prendre en compte et implique de disposer de solides compétences en interne. C’est une belle opportunité pour créer de nouvelles compétences et faire de l’acheteur public un véritable expert et un acteur de la transition écologique.

  1. Dorine Derouault dans les Hauts-de-Seine jusqu’à fin janvier 2023 et Albane Pitois dans les Yvelines.
  2. Hervé Kerleau dans les Hauts-de-Seine et Damien Boczmak dans les Yvelines.
  3. L. no 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et résilience ».
  4. L. no 2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGALIM ».
  5. L. no 2020-105, 10 févr. 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite « loi AGEC ».
  6. Terme générique regroupant les clauses ou critères environnementaux.
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