AI France Summit : la recherche au centre des enjeux pour accélérer le développement de l'IA

AI France Summit 2020
De Gauche à droite : Peter Dröll, directeur « Prospérité » à la direction générale recherche et innovation à la Commission européenne, Bruno Sportisse, le président de l’INRIA, Jean-Denis Muller, directeur de l’innovation au Groupe SADE, Yves Demazeau, président de l’Association française pour l'intelligence artificielle (Afia) et André Brunetière, responsable de la recherche et du développement chez CEGID,
©J. Nessi
Le 12 mars 2020

Comment accélérer les collaborations entre les chercheurs et les entreprises autour de l’intelligence artificielle (IA) ?  Quelles sont les bonnes pratiques pour basculer de « l’AI for science » à « l’AI for business » ? Et avec quelle feuille de route pour innover plus rapidement tout en respectant des valeurs de transparence et d'éthique ? Ces questions ont été débattues lors de la deuxième édition de l’AI France Summit, organisée le 5 mars dernier au ministère de l’Économie et des Finances par TECH IN France, l'organisation représentative des entreprises de la tech.

 

Cette deuxième édition, placée sous le haut patronage du Secrétaire d’État au numérique, a notamment permis de mettre en valeur la qualité de la recherche française en IA devenue en quelques années une technologie de portée générale qui touche tous les secteurs d’activités (santé, industrie, services financiers, retail…) et les administrations.

 

Les questions de régulation sans freiner l’innovation, les implications éthiques et sociétales de l’IA, les enjeux de formation et de montée en compétences ou encore le futur du travail avec l’IA ont également été au centre des échanges.

 

Avec plus de 1000 participant(e)s, ce sommet sur l’IA a rassemblé la communauté business et le monde de la recherche de l’IA en France, avec les interventions de Cédric O, le secrétaire d’État chargé du Numérique, et Vera Jourova, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence.

Robot avec IA conversationnelle, diagnostic de pannes, élimination des tâches répétitives, aide à la décision médicale, médecine personnalisée, agriculture de précision, maintenance prédictive, chantier « furtif » avec capteurs et robots dans le BTP, reconnaissance faciale pour fluidifier les embarquements dans les aéroports… Source de création de valeurs, l’IA crée de nouvelles opportunités (gains de productivité, nouveaux usages, augmentation de la performance…) tout en soulevant aussi de nombreuses questions éthiques (risques de biais, protection des données, explicabilité des algorithmes avec le deep learning… ). Tous les secteurs et tous les métiers sont aujourd’hui impactés par l’IA ou le seront dans les prochaines années. Comment tirer aujourd’hui son épingle du jeu au niveau international ? Comment mieux implémenter et accélérer le développement de l’IA dans son entreprise ? Comment innover sur ce nouveau marché en profitant de la qualité de la recherche française ?

« L’IA est devenue un "bien commun" de toutes les entreprises, de notre écosystème, des startups... Il y a des réussites fabuleuses grâce à l'IA. Nous avons aussi parfaitement pris conscience de l'importance de cet environnement technologique de la donnée et de la relation avec le monde académique. Il faut faire progresser la recherche et la maîtrise de la recherche algorithmique », explique Pierre-Marie Lehucher, le président de TECH IN France, en ouverture de cette deuxième édition.

Pour les organisateurs de cette deuxième édition, l’une des clefs de la réussite est de renforcer les partenariats et de créer davantage de passerelles et de ponts entre le monde académique et les entreprises de toutes tailles. Des questions débattues lors de la première table-ronde « De l’AI for Science à l’AI for Business : quelle roadmap pour innover ».

Comment accélérer dans le développement de l’IA ?

Pour Bruno Sportisse, le président de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), le défi à relever pour développer l’IA en France se trouve dans l’accélération des cycles d’innovation et la multiplication des passerelles et des ponts entre chercheurs et entreprises. L’enjeu est de créer un dialogue plus nourri entre chercheurs et directions de la recherche et du développement des entreprises, en prenant en compte la diversité des profils ou encore l’open source pour accompagner cette diffusion de l’IA vers le tissu de PME. « Au niveau international, les entreprises qui arrivent à tirer leur épingle du jeu, ce sont celles qui sont extrêmement bien ancrées là où il y a des talents, des jeunes et des moins jeunes », précise-t-il. Pour rappel, l’INRIA est chargé de coordonner le volet recherche de la stratégie IA de l’État français et vient de signer son nouveau Contrat d’objectifs et de performance avec l’État, baptisé « Ambition Inria 2023 », faisant de l’IA l’une des priorités scientifiques des prochaines années.

Bruno Sportisse, le président de l’INRIA a rappelé, durant les débats, l’importance des dynamiques territoriales, l’embauche des jeunes chercheurs par les entreprises et la nécessite de se mobiliser à l'échelle européenne pour favoriser le développement de l’IA en France.

« Les dynamiques territoriales se construisent dans la durée via les campus universitaires (…) Environ 1000 jeunes chercheurs sont formés chaque année par l’INRIA et ses partenaires (les universités, l’Inserm…) Le sujet, c’est comment faire pour que ces 1000 jeunes irriguent les entreprises françaises, leurs directions de recherche et éviter que le recours à la prestation d’offres de service fasse obstacle à l’embauche », souligne-t-il. Pour le président de l’INRIA, la France doit aussi se mobiliser à l’échelle de l’Europe, dans « Horizon Europe », le programme de recherche et d'innovation de l'Union européenne qui va succéder au programme Horizon 2020 ou encore dans le Conseil européen de l’Innovation (European Innovation Council). Selon lui, pour accélérer, il faut aussi favoriser les partenariats bilatéraux, entre pays ou laboratoires de recherche, comme l’INRIA vient de le faire avec, par exemple, le Centre de recherche allemand pour l'intelligence artificielle, le DFKI (Deutsches Forschungszentrum für Künstliche Intelligenz) pour construire des feuilles de route dans la durée.

Yves Demazeau, président de l’Association française pour l'intelligence artificielle (Afia), regrette qu’il n’y ait pas suffisamment de chercheurs dans les entreprises françaises et que « l’héritage de l’intelligence artificielle ne perfuse pas autant qu’il le pourrait au niveau industriel ».

Pour favoriser le rapprochement entre monde académique et acteurs de l’industrie, son association a justement installé un collège industriel pour renforcer le poids des partenaires industriels. Ce collège organise chaque année un Forum Industriel pour l’Intelligence Artificielle (FIAI) pour faire le point sur l’avancement de ses travaux et confronter les idées des communautés académiques et industrielles sur des thèmes précis (le prochain forum est prévu en avril sur le thème « IA, droit et RGPD ». « Les académiques ont tendance à travailler avec les mêmes entreprises, l’objectif est de créer de nouvelles alliances », a-t-il précisé.

Peter Dröll, directeur « Prospérité » à la direction générale recherche et innovation à la Commission européenne (DG RTD Commission européenne), est aussi sur la même longueur d’onde. L’Europe est reconnue pour la qualité de sa recherche et le dynamisme de ses startups, mais, selon lui, l’enjeu est aujourd’hui de changer d’échelle et d’accélérer les rythmes d’innovation.

« La formation et l’investissement, ce sont deux chantiers majeurs. L’IA va changer la science et notre façon de produire et de vivre. Comment changer ces rythmes d’innovation ? Très concrètement, il faut permettre à l’industrie de tester ces technologies, investir dans les centres de recherche, mais aussi donner la priorité aux entreprises de taille intermédiaire et aux petites entreprises agiles », explique-t-il. En matière de stratégie IA, l’objectif de la Commission européenne est de consacrer 20 milliards d’euros d’investissements publics et privés par an au cours de la décennie.

Jean-Denis Muller, directeur de l’innovation au Groupe SADE, entreprise de travaux publics, estime que nous n’en sommes qu’au début des usages de l’IA. « Aujourd’hui, il n’y a pas que le deep learning, mais d’autres usages que nous allons découvrir dans les prochaines années », explique-t-il, en évoquant aussi l’expérimentation du « chantier furtif, invisible, sans tranchées » avec moins d’impact carbone : « Dans les travaux publics, on creuse des trous, des tranchées, ce qui pose la problématique de la gestion des gravats et des déchets. L’enjeu est de réduite l’empreinte carbone en envoyant des minirobots dans des tranchées plus réduites et de passer progressivement à « la télé-opération » avec des robots plus intelligents, assistés par les humains ». André Brunetière, responsable de la recherche et du développement chez CEGID, éditeur de logiciels de gestion, insiste quant à lui sur la nécessite de prendre plus de risque et de cultiver le goût du risque pour faire bouger l’innovation. Selon lui, il est plus facile d’acheter une startup aujourd’hui que de construire un véritable partenariat avec le monde académique.

Cédric O, Secrétaire d’État chargé du numérique, à l'AI Summit 2020, à Bercy, le 05 mars dernier.
©J. Nessi

La recherche française, un atout pour la France

Après avoir abordé les questions d'éthique, de transparence des données encore de biais algorithmiques, lors d'une deuxième table ronde "Datas, formats, standards, biais : l'entreprise face à une boîte noire ?", mettant donc l'éthique et la confiance comme élément clef du développement de l'IA, cette deuxième édition a été marquée par les interventions de Cédric O, le secrétaire d’État chargé du Numérique, et Vera Jourova, vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence. Pour Cédric O, qui a profité de l'occasion pour confirmer la nomination du préfet Renaud Vedel en tant que nouveau coordonnateur de la Stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, en remplacement de Bertrand Pailhès, l'IA est un combat qui se noue au niveau international, où la compétition fait rage entre la Chine, les États-Unis et l'Europe. Selon le secrétaire d’État, c'est d'abord et avant tout une bataille qui va se jouer au niveau de la capacité des pays à maîtriser les technologies, la chaîne de valeurs, « un combat pour l'intelligence humaine.»

Pour Cédric O, Secrétaire d’État chargé du numérique, comment être au bon niveau ? Le premier combat pour l’IA est un combat pour l’intelligence humaine. La capacité à maîtriser la technologie, le passage rapide de la recherche aux applications industrielles. Il faut avoir les meilleurs cerveaux (...) La question de la recherche est essentielle, elle prime sur les autres, l’objectif est devenir leader dans la recherche en IA.

Cédric 0 a rappelé les grands axes de la stratégie IA de la France, inspirée du rapport Villani de 2018, prévoyant notamment la création de clusters IA pour attirer les chercheurs en France (Grenoble, Nice, Toulouse, Paris). Les enjeux de la régulation juridique et du respect d'avoir des algorithmes en phase avec nos lois et nos valeurs et la nécessité de « continuer à faire société dans un monde de plus en plus technologique» ont été au centre de son discours.

Enfin, dernier temps fort de la journée, l'intervention de Vera Jourova, vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence, venue défendre une troisième voie européenne en matière d'IA, entre les États-Unis et la Chine, dans le prolongement de la publication en février 2020 du Livre blanc de la Commission européenne "Une approche européenne axée sur l'excellence et la confiance", volet éthique de l'IA.

La France doit jouer un rôle leader dans l’IA. C'est l'un des premiers pays à présenter une stratégie nationale en matière d'IA (...) Le respect de la diversité, de l'égalité, de la vie privée et la protection du consommateur... sont nécessaires dans le monde digital. C’est une part de notre ADN, nous ne voulons pas emprunter la voie chinoise ou américaine, mais européenne. La technologie doit être au service des gens et garantir les droits fondamentaux. Notre modèle européen doit être plus responsable, plus durable et basé sur la confiance, a déclaré Vera Jourova, à l'occasion de l'AI Summit 2020.

L'enjeu a consisté à rassurer les acteurs français de l'IA concernant notamment la question de la régulation de l'IA actuellement en préparation à la Commission européenne.  Elle a notamment invité les participants à contribuer à la consultation publique sur le sujet, lancée à l'échelle de l'Europe. TECH IN France, qui soutient le principe d'élaboration d'une régulation de l'IA, a salué cette démarche de consultation à l'occasion de ce sommet. Mais l'organisation représentative des entreprises de la tech a rappelé que l'IA est déjà encadrée par de nombreux textes européens ou nationaux, comme le RGPD et d'autres directives européennes, et que toute régulation ne doit pas brider l'innovation.

L'intelligence artificielle, où en est-on dans les entreprises?

Marc Damez-Fontaine, directeur IA chez le cabinet de conseil et d'audit PwC, a brossé durant la seconde édition AI Summit 2020 un état des lieux des tendances de l'IA dans les entreprises. Sélection de quelques chiffres clefs.

+300% des publications en IA  - qui comptent pour 3% de toute la publication des journaux scientifiques. La Chine publie plus mais les Etats-Unis ont plus d’impacts avec leurs publications. Les conférences des spécialistes de l’IA sont 8 fois plus remplies qu’en 2012.

Les performances technologiques : l’apprentissage d’un modèle plus large jeu de données d’images est 120 fois plus rapides qu’il y a 2 ans.Économie : les levées de fond des startups de l’IA augmentent de 48% par an et les offres d’emploi sont 7 fois plus nombreuses. Les véhicules autonomes sont 7 fois plus nombreux qu’il y a trois ans.

Éducation : L’université de Toronto forme 10 fois plus d’étudiants qu’il y a 5 ans. L’industrie est le secteur le plus demandeur de ces compétences IA.

Quels sont les défis et les rôles du Chief Data Officer (CDO) d’aujourd’hui ? 66% d'entre-eux sont impliqués dans la formation des équipes et 70% dans l'acculturation data des entreprises. Plus de 60% d'entre eux ont déjà mis en place des robots - combinant la Robotic Process Automation (RPO) et l'IA - au sein de leur entreprise, ou envisagent de le faire.

Que sera l’IA en 2020 ? Les entreprises seront moins nombreuses à se lancer dans l’IA à grande échelle en 2020. Seulement 4% prévoient de déployer l’IA à l’échelle de l’entreprise. 23% ont des projets.

Que faire ? être plus créatif (créer une stratégie d’intégration, organiser et surveiller l’IA ,définir les axes de projets), monter en compétences, mesurer les risques et responsabiliser

Comment imaginez le futur de l’IA ? Remettre l’humain au cœur de ces technologies. Des assistances virtuels plus performants au service des hommes. Certification d’aide à la décision (certifier les logiciels d’IA avant déploiement).

Pour en savoir plus sur l'étude PwC "Quels sont les rôles et les défis du Chief Data Officer (CDO) d'aujourd'hui ?"

À noter que le syntec numérique organise un hackhathon réunissant des codeurs, des data scientists, chefs de projet, managers, entrepreneurs, étudiants...) en juin prochain pour produire un guide pratique du développement des solutions d'IA éthiques by design, destiné à tout les professionnels du numérique.

Session de rattrapage de l’#AIFranceSummit en vidéo : https://www.pscp.tv/TECHINFrance/1zqKVlDvgqZJB?t=1m33s

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