Revue
Cultures publiquesL'Estonie, une réponse aux GAFA ?
Connaissez-vous ce pays où 99,5 % des services publics sont dématérialisés, où l’administration n’a pas le droit de demander deux fois dans une vie la même information à ses citoyens ? Ce pays c’est l’Estonie, un territoire comptant 1,3 millions d’habitants, une véritable démocratie numérique. Violaine Champetier de Ribes et Jean Siri, tous deux e-résidents estoniens, comme 45 000 autres personnes dans le monde, présentent ce modèle unique et l’envisagent comme une réponse à la puissance des GAFA.
Sur quels principes repose cette démocratie numérique ?
Le citoyen est au centre : l’accès à l’Internet, considéré comme un droit humain fondamental, est inscrit dans la Constitution. Les administrations s’échangent des données entre elles : tous les échanges sont tracés et accessibles au citoyen. Le corolaire de la transparence, c’est la confiance entre l’État et les citoyens. Cette confiance s’est construite progressivement. L’État s’est donné les moyens d’avoir une véritable politique numérique en mettant en place, en parallèle des services publics numériques, un véritable plan de formation. Dès 1996, les enfants dans les écoles, les médiathèques, les personnes âgées ont été formées à l’utilisation d’Internet. Quant au citoyen, il peut demander des précisions, voire déposer plainte s’il estime que l’administration a consulté des données sans justification. Pour des millions de requêtes annuelles on recense seulement 700 plaintes. Et les sanctions sont réelles. Un médecin consultant des données de patients qui ne sont pas les siens, peut se voir interdire le droit d’exercer.
Dans le modèle estonien, l’État est un prestataire de services pour un client, le citoyen. De quelle manière l’administration française pourrait s’inspirer de l’Estonie ?
Les Estoniens ont créé un État alors que la France doit moderniser et transformer le sien, là se situe toute la différence. En revanche adopter un regard tourné vers le citoyen, créer des infrastructures numériques permettant l’échange de données entre administrations, avoir une carte d’identité numérique, tout cela est possible en France. Si l’on avait commencé à former notre population au numérique en 1996, nous aurions certainement un secteur numérique plus développé, une administration plus digitalisée. En Estonie, cela a été un vrai projet national, le pays a passé un contrat social autour du numérique.
Dans la bataille États versus GAFA, les premiers risquent de perdre leur légitimité s’ils ne sont pas capables de fournir des services publics performants…
Pour que les États survivent et soient compétitifs, ils devront proposer des services accessibles, pratiques, simples, tournés vers le client. Pour l’un de nos interlocuteurs, d’ici dix ans, les États traditionnels qui n’auront pas travaillé leur transformation et leur souveraineté numérique, ne seront plus légitimes pour lever l’impôt soit parce que certains services (identité, formation, sécurité, santé) auront été ubérisés par les GAFA soit parce que d’autres États, plus agiles, proposeront des services plus pratiques.
Demain, tous Estoniens ?