René-Yves Labranche, DSI à Dunkerque

René-Yves Labranche
Le 8 octobre 2018

René-Yves Labranche est directeur des systèmes d’information mutualisés à la communauté urbaine de Dunkerque (CUD). Il est aussi secrétaire général du CoTer numérique, association regroupant des collectivités sur le thème du numérique et de la communication.

1 - La protection des données

Le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) est entré en application le 25 mai 2018. Il encadre et harmonise, à l’échelle de l’Europe, le traitement des données personnelles par des entités publiques et privées.Il renforce le droit des personnes. Comment s’applique-t-il au sein de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) ?

En fait, mai 2018 était une date butoir. Le règlement est en vigueur depuis mai 2016 : nous avons donc eu deux ans pour nous mettre en conformité. Je remarque qu’à l’époque j’étais l’un des rares à en faire état. Les collectivités ont eu peu d’informations sur le sujet, une parution au Journal officiel et c’est tout. Aujourd’hui, je pense que la plupart des collectivités ne sont pas, au sens strict, en conformité avec le RGPD. Mais un gros travail a quand même été réalisé avec, au final, une vraie sensibilité acquise quant à la sécurité et à la protection des données personnelles.

Autrefois les correspondants informatique et libertés (CIL) étaient parfois vus comme de simples « bureaux d’enregistrement » : ils ont désormais un vrai rôle. Il reste cependant beaucoup de choses à accomplir sur le terrain, particulièrement en ce qui concerne la sécurité des données.

À Dunkerque, nous avons un délégué à la protection depuis mai 2018, avec une feuille de route complète puisqu’il est « mutualisé » entre les 17 communes du territoire (203 000 habitants). Cela dit, reconnaissons que le sujet n’est pas particulièrement débattu au sein de la population même s’il a déjà un impact positif pour elle : si, par exemple, la collectivité souhaite mettre en place une opération de type publipostage (mailing), il faut préalablement recueillir le consentement préalable des destinataires. Fini les spams ! Avant, peu d’entre nous le faisaient, alors que l‘obligation existe depuis 2016.

2 - L’ouverture des données

À compter d’octobre 2018, les collectivités de plus de 3 500 habitants et 50 agents devront ouvrir leurs données selon le principe de l’open data. La CUD est-elle préparée à cette échéance ?

La CUD a décidé de porter l’open data pour les communes du territoire. Nous allons accompagner celles qui ne sont pas en capacité de le gérer et nous serons tous « dans les clous » dès octobre. Au niveau de la CUD elle-même, nous avons lancé la démarche depuis quelque temps déjà. Nous nous appuierons sur la plateforme Open data soft pour publier nos données publiques. Cependant, il faut savoir que, ici, l’essentiel des données publiées ne sort pas « brut de fonderie » des bases de données. C’est une des difficultés de l’open data. À la base, il s’agit de données non structurées : elles sont ensuite retravaillées par les services sous forme de tableaux par exemple, via des outils comme ClickView, BO, Powerpoint, Excel, etc.

À l’échelle de la CUD, nous avons un chef de projet open data. Et nous avons créé un réseau de référents open data dans les services, car ce sont eux qui produisent la donnée et non le chef de projet, le pilote, qui va la chercher. La direction des systèmes d’informations (DSI) fournit la plateforme qu’elle loue en mode SaaS (modèle de distribution de logiciel où les applications sont hébergées par le fournisseur de service). Quant aux jeux de données concernés par l’open data, ce sont des choses simples à produire et à publier : comptabilité, budget, urbanisme, etc. De manière générale nous nous sommes dotés d’un « canevas », afin de nous orienter. Quant à l’outil, il nous propose des modèles de base, construits à partir de ce qui existe : il faut savoir en effet que certaines de ces données open data sont déjà publiques – les données Insee, par exemple. À nous de les rendre visibles et lisibles à l’échelle de notre territoire. À nous aussi de les faire vivre, car il n’y a rien de pire que de trouver, par exemple, des fichiers qui n’ont pas bougé en cinq ans. Le but affiché de ces politiques open data, outre la transparence, est d’alimenter le tissu économique local. Mais sur ce point, la réalité peut varier d’un territoire à l’autre.

3 - Le CoTer Numérique, en constante évolution

Vous êtes secrétaire général du CoTer numérique, une association regroupant des collectivités sur le thème du numérique et de la communication, qui a tenu son 29e congrès annuel à Tours, les 5 et 6 juin 2018. Quel bilan tirez-vous du dernier congrès et quelles ont été les thématiques débattues ?

Nous étions le CoTer club. Nous avons changé de nom en 2017 pour devenir le CoTer numérique, une appellation plus lisible, qui sonne mieux, et qui, surtout, reflète davantage nos sujets de travail. J’en suis le secrétaire général (chargé de la préparation des assemblées générales, des groupes de travail et de la restitution des ateliers lors du congrès). Nous avons accueilli plus de 400 congressistes lors de notre dernier congrès (Tours, les 5 et 6 juin), avec toujours le même engouement de la part des entreprises et de nos adhérents. Quant à l’édition 2019, elle va changer dans sa formule, suite au grand succès rencontré par notre groupe de travail consacré à la blockchain. Nos échanges ne s’effectueront plus au sein de « groupes de travail » mais autour de six thématiques sur lesquelles nous allons travailler au cours de l’année : dématérialisation, open data, cybersécurité et RGDP, smart city et objets connectés, mutualisation et territoires, école numérique. Le prochain congrès annuel du CoTer numérique se tiendra à Troyes, toujours suivant notre logique de tour de France, afin de parcourir un maximum de territoires au fil des ans.

4 - Les technologies de pointe

Le récent rapport Villani propose plusieurs pistes à suivre pour « donner un sens » à l’intelligence artificielle (IA). Dunkerque s’intéresse de près à la blockchain. Quelle importance accorder aux technologies de pointe ?

Depuis deux ans je mène une réflexion autour de la mise en place de chatbot (ou agents conversationnels) et de blockchain au sein des collectivités. Ce qui est très étonnant, c’est que les principales difficultés que nous rencontrons ne viennent ni des collectivités, ni des services utilisateurs, mais des éditeurs de logiciels qui travaillent avec les collectivités. En effet, ces technologies – construire une blockchain, intégrer du chatbot  dans un système gestion de la relation citoyenne – ne figurent pas dans leur feuille de route, malgré ce qu’ils disent. J’en ai pour ma part consulté au moins une douzaine. Pour beaucoup d’entre eux, c’est encore nouveau en termes de stratégie commerciale, une découverte même dans certains cas.

Sur la blockchain, par exemple, on trouve des acteurs de niche, bien positionnés, mais qui ne font que proposer leur propre blockchain, à leur niveau et dans des contextes parfois très spécifiques. Ça ne nous va pas. Si nous voulons bâtir des systèmes réutilisables par l’ensemble des collectivités, il nous faut mettre en place une organisation de type consortium : après tout, les banques le font déjà. Car le risque, c’est que chacun crée sa propre typologie de réseau.

Quant à l’IA, dans le cadre de notre service support et assistance, j’ai voulu implémenter un chatbot  au niveau du système de la relation citoyen et usager. J’ai consulté plusieurs éditeurs au début de l’année 2018 : plus de six mois après, je n’ai toujours pas reçu le moindre début d’une estimation financière pour passer commande. Pourtant, ce sont là des dispositifs que l’on trouve dans beaucoup de démarches quotidiennes. De nombreux sites (achat de billets de trains, enseignes de bricolage, etc.) disposent d’assistants intelligents au service du client. C’est quelque chose que, nous, collectivités devrions également proposer, et cela d’autant plus, qu’à la différence de la blockchain, ces systèmes, assez simples à réaliser, peuvent même être livrés clé en main. Le marché des collectivités manque-t-il d’attractivité ? Sommes-nous trop en avance ? Je ne sais pas. Autre illustration de ce type de difficultés, nous avons eu beaucoup de mal à trouver un partenaire pour nous accompagner dans notre étude sur un projet de consolidation d’infrastructure avec l’hyper convergence. Et ce n’est pas faute de moyens !

5 - Dépasser la contrainte budgétaire

La loi de programmation des finances publiques 2018-2022 prévoit, entre autres, un encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités. Dans quelle mesure le numérique peut-il aider à affronter la contrainte budgétaire ?

Le numérique est un moteur de l’entreprise. Il faut nous appuyer sur le numérique pour au moins deux raisons. La première tient à l’aspect très « marketing » du numérique qui nous permet d’obtenir des budgets pour mener nos projets : la hiérarchie considérera toujours mieux un projet intitulé « Éducation numérique », qu’un simple achat de serveurs ! La seconde raison de miser sur le numérique est à chercher du côté de la transformation des organisations et de l’évolution des technologies : il y a dix ans, personne n’aurait imaginé disposer d’un environnement professionnel permettant de travailler à distance et en mobilité avec son smartphone, son ordinateur, sa tablette, etc. Une vraie transformation s’opère sous l’effet du numérique : elle permet d’augmenter la réactivité, de faire du télétravail, de partager (mode collaboration, mode projet), etc. Et nous n’en sommes qu’au début ! À nous de nous en emparer !

A contrario, ce sera plus difficile pour celles et ceux – utilisateurs, employés de la DSI – qui ne sont pas dans ces dynamiques. Pour résumer et en caricaturant un peu, nous aurons toujours besoin de personnes pour tailler les haies et pour appliquer des enrobés sur les voies, mais les personnels affectés à la photocopie seront probablement redéployés, après formation, sur des missions à plus forte valeur ajoutée et en disposant d’outils pour répondre aux besoins du service public : gestion de la relation usager dotée d’intelligence artificielle, par exemple. Le numérique, on le sait, permet d’améliorer la productivité et la qualité du service, de partager l’information. Il rime avec simplification et supervision des tâches d’exécution. Tout ceci fait que l’un des premiers effets du projet que nous menons actuellement concernera le redéploiement des personnels sur d’autres missions à plus de valeur ajoutée. Les principales économies liées au numérique se feront sans doute en matière de dépense salariale.

6 - Le cloud, un outil de modernisation massive

 Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique, a récemment annoncé que le cloud est l’un des « chantiers prioritaires de la transformation numérique de l’État ». Quel regard portez-vous sur cette annonce ?

Aujourd’hui la question n’est pas de se dire « pourquoi aller vers le cloud ? » mais « comment y aller ? ». Nous n’avons pas attendu ces annonces au plus haut niveau pour nous lancer ! Le cloud est déjà au cœur de la stratégie de transformation des systèmes d’information du territoire de Dunkerque. Dans le cadre de notre schéma directeur, nous menons un chantier dédié à la mobilité et au collaboratif, deux sujets en lien direct avec la problématique du cloud. Cela nous permet, par le biais du numérique, de gagner en agilité, de réduire les dépenses et de disposer d’un niveau de service sans commune mesure avec ce que nous avions avant. Par exemple, en optant pour le service par abonnement Microsoft Office 365 on line, nous donnons la possibilité à nos agents d’accéder au système d’information depuis leur poste de travail ou en mobilité via leur tablette ou leur smartphone et de disposer d’une palette complète d’outils tels que Skype (vidéoconférence), Teams (collaboratif) ou Sharepoint (gestion de contenu), etc. Notre plan de reprise d’activité (ou DR pour Disaster Recovery Plan) fait également partie de l’abonnement, garanti à 99,999 % soit un niveau que nous ne serions pas capables de garantir par nous-mêmes. Nous avons également la garantie que nos données de messagerie sont bien hébergées en France. Pour autant, il est également clair que certaines de nos données, très sensibles, n’alimentent pas ce cloud : par exemple, celles concernant les élections, l’état civil, etc. Sur ce point, nous n’agirons que dans le cadre de partenariats passés avec des opérateurs agréés par l’État et validés par les pouvoirs publics. Outre cet environnement Office, environ 40 % de nos applications fonctionnent en mode SaaS. Les éditeurs aujourd’hui ont compris que ce modèle leur offre une rente et les conduit à organiser notre plan de reprise d’activité. De notre côté, nous avons moins de serveurs à gérer. L’intérêt mutuel est très fort. Mais attention, la réversibilité du dispositif doit être prévue dans les contrats.

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