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Partir de la demande des territoires, une révolution nécessaire !

Le 24 mai 2019

Pour anticiper les mutations et les enjeux de santé en 2030, il faut mener une révolution à 180 degrés : partir de la demande et rompre avec la politique nationale de l’offre.

Le scénario des acteurs pourrait se poursuivre à l’infini, mais pour aller plus loin, une variante mérite notre attention, celle du débat entre la politique de l’offre et de la demande.

Partir de la demande et non plus de l’offre, comme le préconise le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) est une révolution à 180 degrés. Cette réforme orchestrée par un État stratège, aurait l’habileté de s’appuyer sur la subsidiarité, à partir d’un nouvel acte de décentralisation, et de laisser libre aux acteurs de s’organiser. À la fois partenaires et concurrents, ils ont suffisamment de bon sens pour venir à bout des inégalités de santé, dès lors que les objectifs sont clairs et partagés. Forts du tout nouveau Health data Hub1 national et de l’expertise de l’ISPED à l’université de Bordeaux, traitement des data et production d’indicateurs de santé, pertinents et affinés aux spécificités sociales et territoriales, devraient permettre de prendre des décisions éclairées. La montée des nouvelles technologies, l’enjeu de la valorisation des data, la place des industriels, la recherche, la formation, les innovations organisationnelles, seront autant de point d’appui à l’innovation en santé qu’il convient de faire monter en puissance. Mais ce sera toujours en puisant dans le vivier des énergies des soignants, des aidants et des patients eux-mêmes que l’on réussira cette transformation. Nos territoires, dans leur diversité, ont la capacité de s’adapter aux besoins des populations. La France à la capacité de s’ouvrir à la diffusion des innovations et de renouer avec la performance, tout en protégeant les citoyens, dans la veine républicaine qui a fait sa notoriété et sa fierté.

Ce qui est en jeu, beaucoup plus vite qu’on ne l’imagine, c’est que pour gagner en efficience, l’État soit tenté de renouer avec une nouvelle politique d’offre, à partir des perspectives inédites que lui offrent les GAFAM et les BATX. Pourquoi renoncerait-il à faire distribuer les médicaments par Amazon, si la plateforme peut abaisser de 3 ou 5 % leur prix ? Pourquoi s’interdirait-il de laisser se développer des plateformes de téléconsultations en ligne, en espérant ainsi réduire les délais d’attentes des patients ? Il y a beaucoup de services incomparables à attendre de ces innovations et c’est tant mieux. Mais pourrait-on se fourvoyer ?

Le scénario de débordement par les multinationales américaines ou chinoises n’est pas forcément celui qui serait le plus agressif. Il se pourrait qu’un autre, beaucoup plus subtil, fait d’alliances privées entre les géants pharmaceutiques et Google ou publiques avec les États, avec l’objectif d’améliorer le service rendu, tout en réduisant la dépense soit bien plus dangereux. Si les rapprochements entre multinationales ne nous choquent pas, ceux avec l’État nous rendrait perplexe. Quelles en seraient les conséquences sur le long terme ? La question à se poser est bien de savoir si le jeu en vaut la chandelle, et si à flirter avec les géants du net on ne risque pas de perdre nos propres marchés, ceux qui font vivre nos territoires et dont la présence en chair en os des soignants rassure les personnes, et leur donne confiance en la puissance publique. Cette perte-là, peut s’avérer plus catastrophique que quelques points de PIB.

Une lutte invisible, dans l’angle mort des citoyens – et parfois de nos dirigeants – n’est-elle pas engagée ? Entre la réponse aux besoins des populations, par la transformation du rôle et des organisations des acteurs dans les territoires d’une part, et la possibilité d’avoir rapidement des services efficients par des plateformes numériques de santé, et autres services encore inconnus, organisées par les assureurs ou même par l’Assurance maladie, le choix à opérer pourrait être celui qui garantit de ne pas malmener la vie des gens, de ne pas prendre le risque de s’éloigner encore davantage des citoyens.

Alors que le rapport du HCAAM et les orientations du plan Ma santé 2022, montrent le chemin d’un nouveau paradigme, qui affirme de répondre par la demande, celle des besoins de la population, il se profile une politique de l’offre encore balbutiante, inédite, dont les parts de marché qu’elle viendrait à prendre, ici aux pharmaciens, ici aux médecins, ici aux hôpitaux, pourrait être délétère et continuer à détricoter un peu plus le maillage territorial auquel sont attachés les français.

Au moment ou le scénario de la politique de la demande se présente, attention aux sirènes des nouvelles politiques d’offres, qui viendraient mettre à mal tant d’efforts de professionnels, de patients et de collectivités dans les territoires.

  1. Plateforme nationale d’exploitation des données de santé lancée en octobre 2018 ; https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/acces-aux-donnees-de-sante/article/health-data-hub
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