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Philippe Gaubert : « on est dans la préhistoire de la data en ce qui concerne le suivi du patient »

Le 23 mai 2019

Les innovations thérapeutiques, l’essor des data et la proximité contribuent à nourrir l’espoir des patients à l’horizon 2030 pour mieux guérir, mieux se soigner et mieux se traiter. La fulgurance des progrès thérapeutiques ne trouve pas son pendant dans l’organisation des soins, il faut faire la lumière sur les data du patient dans la vie réelle. C’est ce que défend Philippe Gaubert, délégué régional de l’association de soutien aux malades atteints de la leucémie lymphoïde chronique et maladie de Waldenström (SILLC).

Quelle est la vision du patient atteint d’une maladie grave, telle qu’une leucémie lymphoïde chronique, sur l’évolution de l’organisation du système de santé à l’horizon 2030 ?

En premier lieu il faut définir ce que seront les futurs malades. Les malades, tels que nous, ont été, et seront, des précurseurs. Parce que nos maladies étaient mortelles à moyen terme, notre association finance des projets de recherche et les malades s’engagent dans des essais cliniques permettant de tester de nouveaux médicaments. Dès 2008, nous avons été les premiers à tester les chimiothérapies associées à des anticorps monoclonaux. En 2014, nous avons trouvé une chimiothérapie orale, l’Ibrutinib. C’est de la chimiothérapie à la maison. Demain, nous espérons expérimenter les cellules CAR-T. Concrètement, on modifie génétiquement la cellule malade pour la réparer. On deviendra des patients génétiquement modifiés. Ces traitements innovants et coûteux, s’appliquent à d’autres pathologies telles que les maladies inflammatoires. En 2030, les malades seront plus nombreux et plus complexes.

Il y a donc une accélération de l’innovation qui mettra au point des drogues toujours plus puissantes sur des malades en danger de mort, dont elles prolongeront la vie. Ces progrès, rendus possibles grâce à l’exploitation des data prennent toute la lumière. Cependant, il y a des angles morts dans le système, qui mettent tout autant en danger les patients, dont on ne parle pas.

Une nouvelle organisation de la santé dans les territoires est primordiale pour diffuser les innovations à l’horizon 2030.

Quelles sont donc ces menaces qui restent dans l’ombre ?

Il y en a deux : d’abord, la méconnaissance des data du quotidien des patients dans le parcours de soins, ensuite, le manque d’organisation qui permette au CHU de partager ses connaissances avec la médecine de proximité. On a su traiter des masses de données, comme la génétique ou l’imagerie, à partir des hôpitaux. Elles intéressent les médecins qui partagent leurs publications. C’est une data noble, qui prend la lumière.

De l’autre côté, la data du patient dans son quotidien thérapeutique, à la maison, n’est pas travaillée. La data du patient en vie réelle, on ne la recueille pas, on ne sait pas la traiter, ni la corréler. Les données de mon parcours de soins sont pour partie au CHU, avec un bout dans mon laboratoire de biologie, un bout chez mon médecin généraliste. Elles ne sont jamais recollées, ni étudiées, alors qu’elles sont une mine d’information. Mes analyses biologiques faites dans mon laboratoire m’arrivent numérisées, mais par voie papier au CHU. Je dois les faire quatre ou cinq jours avant mon rendez-vous chez mon spécialiste, si je veux être certain que le dossier papier arrive assez tôt sur son bureau, alors que c’est le traceur de ma pathologie. J’ai mon examen biologique sur mon téléphone, mais ma spécialiste ne l’a pas encore sur son ordinateur.

On est dans la préhistoire de la data en ce qui concerne le suivi du patient.

Le deuxième paradoxe, c’est la fulgurance des progrès thérapeutiques, qui ne trouve pas son pendant dans l’organisation des soins. Le système de santé avance à une vitesse de tortue.

Nous absorbons des drogues avec des difficultés de tolérance, qui provoquent des effets indésirables, parfois totalement méconnus des soignants en ville. Le progrès thérapeutique révolutionne la prise en charge, je ne vois ma spécialiste que tous les quatre mois. Je suis soigné, mais je suis lâché dans la nature.

Or, nos organismes ne répondent pas aux standards de temps de réponse, du fait de notre déficit immunitaire. Par exemple, pour soigner une infection, cela peut durer un an. En local, les professionnels du territoire ne comprennent pas l’impact du traitement sur nous, parce que ces données leur sont inconnues, y compris, pour une part de ma spécialiste, qui apprend les effets secondaires directement de ses patients.

Quelle place donneriez-vous aux hôpitaux de proximité ?

Je suis dans un système hospitalo-centré. J’aimerais que l’on aille vers un système hospitalo-guidé, en lien étroit avec mon médecin traitant. Il faut à la fois prendre la dimension de l’innovation thérapeutique, et accélérer la mutation des soins de première ligne, en donnant un rôle important aux hôpitaux de proximité, qui ne doivent pas seulement devenir des hôpitaux de gériatrie, mais devenir des hôpitaux de proximité d’excellence.

Deux professions stratégiques pour y parvenir : d’une part il faut y recruter des spécialistes de médecine interne, en capacité de traiter des cas complexes, et d'autre part, des radiologues pour assurer des IRM en continue. Les patients ont besoin que le local soit guidé par le CHU, et le CHU a besoin des données patients dans la vie réelle. Une nouvelle organisation de la santé dans les territoires est primordiale pour diffuser les innovations à l’horizon 2030.

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