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L’accueil est un soin : penser l’expérience d’accueil à l’hôpital

Accueil à l'hôpital Sainte-Anne
Le GHU Paris psychiatrie et neurosciences envisage de mettre en place une charte des accueils prochainement. Lancée par la DG du GHU Paris et pilotée par le lab-ah, cette charte vise à améliorer l'expérience globale de l'accueil et de la relation accueillant/accueilli.
©DR
Le 28 juillet 2022

L’attention aux détails qui font l’accueil peut permettre de restaurer le sentiment de considération des usagers. Retour d’expérience des projets portés par le lab-ah, le laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité du groupe hospitalier universitaire (GHU) de Paris psychiatrie et neurosciences.

Résumé

Le contexte spécifique de l’hôpital amplifie-t-il les enjeux intrinsèques de l’accueil ?

Cet article propose de dresser quelques pistes de réponses à cette question en fondant son point de vue sur l’expérience des usagers et des agents d’accueil, ainsi que sur les observations issues des projets portés par le lab-ah du GHU Paris psychiatrie et neurosciences.

Pour commencer, nous revenons sur l’importance du poids symbolique de l’accueil dans le parcours de soin et de la possible influence de la condition physique et psychique des usagers sur leur expérience des espaces d’accueil. En effet, que sait-on des appréhensions des usagers à leur entrée à l’hôpital ? Dans différents contextes, le lab-ah propose de mettre le vécu et les idées des usagers au travail pour tenter de renouveler les façons de penser et concevoir les accueils. À travers la recherche de ce que peut être une esthétique hospitalière, on dégage l’essence de la fonction des espaces d’accueil. Ils sont tout à la fois le support et l’écrin de l’acte d’accueillir.

Cependant, dans un contexte institutionnel, l’acte d’accueil est forcément désingularisé, dans la mesure où il est standardisé. Sur le terrain, les agents racontent comment ils composent tous les jours pour parvenir à faire vivre les valeurs de l’accueil à l’hôpital public dans une juste distance, sans pour autant toujours parvenir à mettre leurs émotions et leurs représentations au second plan. Les témoignages des accueillants et des accueillis résonnent autour d’un sentiment de disqualification partagé : celui de ne pas être pris au sérieux pour les agents dans leur institution, et celui de se sentir jugé pour les usagers de la psychiatrie. De part et d’autre, on comprend la fragilité de ce qui fonde le sentiment d’être accueilli et l’importance de se saisir de ce sujet majeur à l’hôpital.

Dans cet article, il sera question d’accueil physique dans les lieux de soins, et en particulier de l’accueil de premier niveau1 dans les institutions hospitalières. Nous considérons l’accueil comme un sujet global, transversal, mais surtout systémique. L’accueil, c’est une séquence d’interactions entre des personnes, au sens décrit par Erving Goffman2, inscrite dans un système indissociable de signes et de formes. Le produit de ces interactions, signes et formes constitue ce que l’on nommera « l’expérience » d’accueil.

Le contexte des lieux de soins, en psychiatrie notamment, apporte une teneur particulière à la question de l’accueil. Il s’y côtoient des personnes fragiles, patients ou proches, à des moments aigus de leurs existences et à quelques pas de l’entrée dans le service de soins où ils seront pris en charge, parfois contre leur gré. Dans ce contexte, leur sensibilité à l’environnement, aux signes, aux gestes et aux paroles des accueillants est extrême. Dans ce moment se dessine l’image symbolique de l’établissement, en même temps que se déroule une séquence déterminante du parcours de soin des personnes. L’importance de ces enjeux dans l’alliance thérapeutique à venir semble pourtant en décalage avec le peu de cas apporté à ménager l’expérience d’accueil des usagers.

Ainsi, cet article entend exposer quelques-unes des tensions en jeu dans l’acte d’accueillir à l’hôpital, depuis l’échelle de l’espace jusqu’à celle de la relation à l’accueillant, désigné par sa mission d’« agent d’accueil ». L’accueil est un acte situé dans un espace-temps, on ne peut donc pas l’extraire du contexte dans lequel il se déroule. À la tentation d’essentialiser l’accueil à l’hôpital, nous préférerons donc nous appuyer sur le travail de terrain mené par le laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité (lab-ah) du GHU Paris psychiatrie et neurosciences dans les services de soins, et lors des ateliers avec les patients et les agents d’accueil. Nous tenterons de montrer combien l’attention aux détails qui font l’accueil et à leur portée symbolique peut permettre de restaurer le sentiment de considération des usagers, et, dans un miroir troublant, celui des agents d’accueil eux-mêmes.

Le poids des symboles dans l’espace d’accueil

L’accueil physique, c’est la première rencontre entre l’établissement et ses usagers, les patients. On parle bien d’une « rencontre », ou « interaction face-à-face » 3, qui va au-delà des contacts que constituent les courriers, brochures, applications et autres numéros d’appel qui constituent autant d’interfaces possibles, mais jamais aussi incarnées que la visite sur place. Cette première rencontre est donc l’occasion pour l’établissement de se raconter : ses spécialités, ses valeurs, son histoire et sa mission. On parle d’ailleurs parfois d’une « vitrine » de l’établissement. L’enjeu est de taille : communiquer sur l’excellence de l’établissement et bâtir une première impression forte, synonyme par la suite de confiance et de fidélisation des usagers.

Jacques Tati dépeint avec justesse combien les établissements, dans un élan narcissique, peuvent perdre de vue l’échelle de l’humain dans la conception des espaces d’accueil, et fabriquer en retour des facteurs d’inhospitalité. Dans la scène de la salle d’attente du film de Jacques Tati, Playtime (1967), on découvre de grands volumes, dans un espace baigné de lumière en cœur de ville, des fauteuils d’attente en cuir noir à chaque recoin, dans lesquels M. Hulot s’assied et se trouve cerné par les portraits menaçants des pères fondateurs de la société. Cette scène burlesque raconte l’absurdité de ce décor symbole de pouvoir et d’autorité dans lequel le personnage peine à comprendre les règles et à trouver sa place. Sa maladresse nous rappelle combien les usagers sont parfois assignés à s’adapter à des environnements ou des organisations proprement déshumanisantes.

Dans les lieux de soins, on peut penser que la première mission de l’accueil est de rassurer les personnes, avant de les renseigner et de les orienter. En effet, si l’on remonte à l’origine des premiers hôpitaux, la mission était bien l’accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse. Cette situation de détresse potentielle affecte profondément l’expérience intime de l’accueil. Comme l’énonce Carine Delanoë-Vieux : « Quand le citoyen ordinaire franchit le seuil de l’hôpital, sa respiration s’accélère, une vague mollesse affecte sans raison ses muscles, il tourne son regard vers la porte qui se referme automatiquement derrière lui avec un trouble sentiment d’irréversibilité. Il pénètre un espace-temps dont la singularité existentielle est exceptionnelle et chacun le sait. Il se rend à l’hôpital parce que sa vitalité est engagée dans un corps à corps ; parce que sa santé mentale ou physique est altérée, voire en danger, parce qu’il lui faut naître, souffrir et mourir. Il entre à l’hôpital avec l’espoir de voir restaurer son intégrité physique et psychique et la crainte de n’être plus jamais le même. »

Dès lors, on peut se demander comment cohabitent le désir de l’établissement de traduire dans l’accueil son excellence et sa vocation, et le besoin des usagers de se sentir rassurés et bienvenus. Les opérations de construction ou de réhabilitation d’hôpitaux généraux des trente dernières années en France semblent tendre vers le modèle du grand hall vitré façon Playtime. L’une des réalisations les plus emblématiques de ce modèle est le hall d’accueil de l’hôpital européen Georges-Pompidou.

On y décèle la volonté de banaliser une certaine esthétique du guichet public pour s’inscrire dans un style architectural contemporain et international, dans lequel dominent les vastes volumes, les jeux de transparence et la froideur des matériaux. Sur le plan symbolique, l’esthétique de ce hall monumental renvoie à sa large capacité d’accueil, à la technicité des actes pratiqués, à l’éminence de ses spécialistes, à la reconnaissance dont jouit l’établissement. Pourtant, il ressemble à s’y méprendre à un hall d’aéroport ou à l’entrée d’un centre commercial.

À la recherche d’élégance et de maîtrise manifeste, nous opposons la prise en compte du corps fragile dans l’espace, celui du patient et de ses proches, dès la première perception de l’établissement. Ce corps qui, diminué par la maladie ou la charge émotionnelle, semble rapetisser encore dans ce hall immense à qui il manque des îlots de replis, des guichets intimes, confidentiels et sécurisants et des indications élémentaires pour se repérer dans l’espace, sans avoir besoin de se tordre le cou. Nulle intention ici de dresser le procès de l’architecte, qui aura probablement dû se plier à un programme largement contraignant, mais plutôt d’attirer l’attention sur l’influence de la condition physique et psychique des usagers sur leur expérience des espaces d’accueil.

En effet, que sait-on des effets de ces architectures sur la perception et le ressenti des patients et de leurs proches, dès l’entrée dans l’hôpital ? Dans quelle mesure a-t-on pris en considération l’échelle spécifique de la personne malade, fragile, désorientée dans la conception ? Cette question révèle une aporie bien connue : l’accueil de l’hôpital est-il conçu et organisé pour les professionnels de l’hôpital ou pour ses usagers ? Plaidant pour une approche phénoménologique dans la conception des espaces d’accueil dans les lieux de soins, nous proposons de commencer par intégrer les principaux intéressés dans la conversation.

L’expérience des usagers au travail

Faisant le constat d’une prise en compte insuffisante de l’expérience et des aspirations des usagers dans les programmes architecturaux des hôpitaux, le lab-ah a lancé en 2017 une démarche de « parcours d’hospitalité », en amont de l’écriture du programme d’un nouveau bâtiment accueillant les neurosciences sur le site de Sainte-Anne4. Ce « parcours d’hospitalité », ou la prise en compte de l’expérience des patients et de leurs proches, tout au long de leur prise en charge, s’est fondé sur une enquête approfondie menée auprès de neuf patients et proches déjà accueillis dans les bâtiments existants. Leurs témoignages croisés ont permis d’intégrer des recommandations fonctionnelles dans le document de programmation, support à la conception du projet architectural final, qui sera achevé en 2023. Parmi ces recommandations, on trouve, par exemple, le besoin de répartir ce qui était prévu pour être un seul espace d’attente et de rencontre avec sa famille en deux lieux distincts, car il peut être désagréable de croiser les familles des autres patients quand on est en pyjama. Ou encore de conserver quelques chambres doubles pour rompre l’isolement lors des hospitalisations plus longues, alors même que le modèle de la chambre individuelle tend à s’imposer.

Forts des apports fertiles de cette démarche, nous avons réitéré l’expérience en 2021 autour d’un projet de refonte des accueils des structures intra et extra-hospitalières de psychiatrie, la « charte des accueils ». Un groupe de huit usagers volontaires a été invité, en amont de la conception architecturale, à commenter des esquisses d’aménagements et à donner priorité aux chantiers d’amélioration des accueils. Ce deuxième exercice a produit des résultats édifiants. Les usagers ont totalement inversé le système de valeurs porté par l’établissement : là où la direction générale de l’hôpital avait placé la rénovation des espaces d’accueil en tête des priorités pour en améliorer l’expérience, les usagers l’ont relégué en bas de la pile, estimant que la restauration d’une relation de qualité avec les agents chargés de l’accueil était le principal déterminant d’un bon accueil. En revanche, les usagers sont tombés d’accord avec l’institution sur la place à accorder au système d’orientation, partant du principe que bien accueillir, c’est aussi bien orienter dans le lieu de soin. Cette question est prépondérante à l’hôpital, notamment en psychiatrie, où les usagers éprouvent davantage de difficultés à se situer dans l’espace du fait de leurs troubles. Le sentiment de perte de repères est alors facteur d’une grande anxiété : ne pas savoir si l’on attend au bon endroit, hésiter entre deux directions, chercher la sortie sans y parvenir.

Outre les recommandations opérationnelles qu’elles produisent, l’apport fondamental de ces démarches réside dans le déplacement de points de vue qu’elles opèrent. En explorant le vécu et les perceptions des patients et de leurs proches, on peut renouveler la façon d’écrire les cahiers des charges, les programmes, et favoriser l’émergence d’une esthétique hospitalière, au sens propre du terme. Pour en dessiner les contours, celle-ci est fondamentalement plurielle dans ses formes et implacable dans l’attention qu’elle porte aux détails qui renforcent le sentiment d’être bienvenu, depuis la façade extérieure, la qualité de l’éclairage, la hauteur des plafonds, la qualité et la disposition des assises, le choix des nuances de couleurs et des matériaux, la qualité de la signalétique, etc. Ces choix de conception ne sont pas laissés au hasard et ne visent pas la simple décoration de l’environnement. Ils ont pour seul but de servir de support à la fonction mère de l’accueil : l’acte d’accueillir.

L’acte d’accueil en question

L’accueil, avant toute considération organisationnelle ou architecturale, relève d’une posture relationnelle : c’est la manière de recevoir une personne, de se comporter avec elle à son arrivée. À l’origine, le mot accueil vient du latin « colligere » (« cueillir ») qui, en vieux français s’est transformé en « acoillir » qui signifiait : « réunir », « associer », « être avec ». Depuis le xiiie siècle, le sens a évolué vers le fait ou la manière de recevoir ou recueillir quelqu’un. On peut distinguer deux versants dans cet acte d’accueil : celui qui le produit et celui qui le reçoit. En effet, on ne peut pas « forcer » l’accueil, l’accueilli est tout aussi impliqué que l’accueillant dans l’acte d’accueil, quand bien même celui-ci n’est pas concluant. Mais alors que veut dire « faire acte d’accueil » dans les lieux de soins et qu’en est-il du rôle et des postures des deux parties dans ce contexte ?

Tout d’abord, il convient de situer l’acte d’accueil comme une pratique culturelle, qui ne peut être considérée en dehors d’un contexte géographique, historique et social. À travers l’acte l’accueil, ce qui relève des habitus et des rituels dans un cadre personnel se constitue en standard dans un contexte institutionnel. « Standardiser l’accueil », c’est chercher à garantir une qualité de service et, encore une fois, véhiculer les valeurs et la mission de l’établissement. La standardisation de l’accueil n’est donc pas moins un objet de culture institutionnelle, mais elle entraîne mécaniquement la désingularisation de l’accueil.

Cette dimension a été largement discutée lors des groupes de travail avec les participants du projet de charte des accueils. Ces participants, tous patients des services de psychiatrie, s’inscrivent dans une relation suivie avec leurs lieux de soins, du fait de la chronicité des troubles. Beaucoup ont exprimé le besoin d’un accueil plus individualisé, qui les restaure dans leur identité et qui dédramatise les venues régulières en consultation. Le « sentiment d’être accueilli » 5 se fonde largement sur la relation à l’agent d’accueil qui permet d’être « considéré en tant que personne » 6 ainsi que d’être « rassuré et réconforté par un accueillant bienveillant » 7.

Ces témoignages soulignent le besoin prégnant d’un accueil individualisé, qui s’explique en partie par la fragilité des personnes, les situations d’isolement et de stigmatisation auxquelles elles sont confrontées, et la régularité de leurs visites. Pourtant, le contexte institutionnel impose une standardisation du processus d’accueil. Outre l’enjeu de qualité de service et d’équité de traitement par l’homogénéisation des pratiques, qui a déjà été évoqué, un enjeu à fort ancrage culturel explique cette exigence institutionnelle. Il s’agit du respect d’une juste distance vis-à-vis des usagers, dans le contexte particulier de la psychiatrie et de son héritage asilaire. En effet, depuis la seconde moitié du xxe siècle, le « lieu de soin » n’est plus le « lieu de vie », il n’est qu’un lieu de passage dans le parcours de la personne. En théorie, il n’y a donc pas de place pour « l’attachement » aux personnes et aux lieux, de même que pour un traitement personnalisé à l’accueil. En pratique, les agents d’accueil composent sans cesse avec cette exigence de distance et celle d’un accueil humain. C’est-à-dire un accueil où l’antériorité des relations avec certains patients ou proches de patients a sa place, mais dans un « juste » niveau de connivence.

Huit agents d’accueil des sites d’hospitalisation du GHU Paris ont été rencontrés en marge de la préparation d’une journée d’étude dédiée à l’accueil dans les lieux de soins8 et ont pu relater les négociations quotidiennes pour faire cohabiter distance et bienveillance dans leur manière d’accueillir. Un agent d’accueil expérimenté a relaté le souvenir suivant : « Ce qui était très difficile au démarrage de ce poste, c’est que j’avais souvent tendance à m’identifier aux visiteurs qui viennent rendre visite à un membre de leur famille. » 9 La mise à distance est parfois difficile, et renforcée par le besoin de certains patients ou proches de patients de se livrer : « L’une des plus grandes difficultés est de limiter notre écoute, qui ne doit pas aller au-delà de nos compétences. Parce que souvent notre mission s’arrête là où commence celle des soignants. Ces “limites” du métier d’agent d’accueil ne sont pas toujours évidentes à saisir. » 10 La référence à ces « limites » et à la part d’improvisation de la mission est fréquemment évoquée par les agents. À ce titre, les agents expérimentés n’hésitent pas à saisir des membres de l’équipe soignante quand ils ne parviennent pas à manœuvrer avec les usagers. À travers ces témoignages et l’analyse des situations de conflits transparaît le regard porté sur les usagers qui, s’il ne manque pas de bienveillance, n’est pas non plus dénué de préjugés.

La place des représentations

Dans les lieux de soins, et notamment en psychiatrie, toute nouvelle entrée est source d’incertitudes pour les professionnels. Qui est ce nouvel entrant, que laisse présager son attitude, sa manière de se déplacer, de se comporter ? Parce que le processus d’accueil ne peut pas être détaché du contexte dans lequel il s’opère, on peut observer l’influence qu’exerce le lieu sur la relation entre l’accueillant et l’accueilli.

À l’hôpital, l’exigence de neutralité et d’équité du service public ne permet pas d’exclure le réflexe d’examen des usagers, quand bien même les agents d’accueil ne sont pas soignants de métier. À ce réflexe, on peut ajouter celui de l’instinct de protection, qui conduit une majorité d’agents à préférer travailler derrière une banque d’accueil munie d’une paroi vitrée. La paroi confère un sentiment de protection, en même temps qu’elle attise du côté des usagers un sentiment de rejet et peut susciter des réactions vives. Tel que le pointe le Guide méthodologique relatif à la prévention des atteintes aux personnes et aux biens en milieu de santé de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) en 2017 : « Il est fréquemment constaté une hausse des injures due à l’absence de contact entre les personnes (hausse du niveau sonore pour se comprendre). » 11

Or, l’accueil de l’hôpital public est un espace public en tant que tel, et il peut s’y dérouler des faits de violence verbale ou physique comme dans tout autre espace public. Ceux-ci sont indéniablement traumatisants pour les professionnels. Les rapports d’événements indésirables indiquent néanmoins que les faits de violence en psychiatrie interviennent en majorité dans les services de soins, à l’endroit où les soignants sont formés pour les contenir, autant que faire se peut. À l’accueil de premier niveau, nous avons pu observer lors des entretiens avec les agents un phénomène de miroir déformant des faits de violence : ils y sont rares, mais leur impact est durable et a souvent pour effet direct des travaux de « bunkerisation » de la banque d’accueil. Par ailleurs, les agents peu expérimentés qui ne connaissent pas la psychiatrie en tant que discipline médicale, nourrissent la crainte d’évoluer dans un milieu dangereux et justifient leurs réflexes de protection par la référence à la discipline même. Autant d’obstacles potentiels à l’instauration d’une relation apaisée.

En effet, l’acte et le contexte d’accueil contribuent à définir les conditions de la relation, dans une action simultanée conduite par les professionnels et les usagers. Comme cela a été dit, l’acte d’accueil résulte d’une co-production, quelle qu’en soit l’issue. Dans cette co-production, chaque partie compose depuis son rôle, dans un jeu forcément inégal. Les usagers participants au projet de la charte des accueils ont à plusieurs reprises évoqué un sentiment de domination invisible qui pèse sur la relation : « Les agents d’accueil ne doivent pas être dans le jugement, ne pas manifester une supériorité ou une autorité de compétence. Ils doivent être à l’écoute, être disponibles. » 12 Dans le contexte de la psychiatrie, les usagers sont particulièrement sensibles aux manifestations d’autorité des professionnels. Celles-ci s’ajoutent à une somme de contraintes et de blessures parfois tenaces.

Dans ce contexte, on ne peut que souligner le caractère déterminant de la formation des agents, afin de prévenir les situations d’inconfort des usagers, et celles des agents eux-mêmes. La formation, c’est aussi la reconnaissance des qualifications nécessaires pour exercer la mission d’accueil, en acceptant qu’elle n’aille pas de soi. Comme souvent dans les processus d’amélioration, le bon accueil des usagers ne pourra se faire sans un réel soutien institutionnel de l’activité des agents d’accueil.

Vers une charte des accueils
au GHU Paris psychiatrie et neurosciences ?
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À l’hôpital, nous pensons que l’accueil contribue largement au « prendre soin » des usagers, et qu’il doit être reconnu comme tel. À cet égard, il doit se professionnaliser de manière globale. Dans bien des milieux, le sujet de l’accueil n’est pas reconnu dans sa dimension stratégique, ce que les agents évoquent sans détour : « Parfois, nous avons le sentiment de ne pas être pris au sérieux, certaines personnes minimisent même notre rôle. » 13 Là où l’accueil pourrait concerner tout le monde, personne ne se sent « vraiment » concerné.

À travers le projet de la charte des accueils, lancé par la DG du GHU Paris et piloté par le lab-ah, nous visons l’amélioration de l’expérience globale de l’accueil et de la relation accueillant/accueilli. Dans ce sujet transversal qui concerne tout autant les directions travaux, achats, ressources humaines, formation et communication de l’établissement, notre rôle a été dans les premiers temps de déplacer l’objectif d’amélioration des seuls espaces vers une démarche de conception systémique, propre à intégrer l’ensemble des composantes de l’expérience des usagers ainsi que le soutien à l’activité des agents.

Au nom d’une certaine exigence de qualité de service, on observe que la question de l’accueil remonte dans l’agenda politique des établissements. Les enjeux de certification, la concurrence entre les établissements, mais aussi la pression légitime exercée par les usagers et leurs représentants dans les différentes instances font de l’accueil un sujet d’actualité, qui donne lieu à de multiples expériences. Pour que les ambitions de ces projets restent cohérentes vis-à-vis des enjeux propres aux lieux de soins, on plaidera pour une meilleure compréhension de la place symbolique qu’occupe l’accueil dans un parcours de soins, pour une attention aux fragilités réciproques des usagers et des agents et pour une conduite de projet globale et interdisciplinaire.

  1. Nous le distinguons de l’accueil thérapeutique, toujours conduit par un soignant à des fins d’évaluation clinique et d’informations sur la prise en charge.
  2. « Par interaction, on entend à peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres » (Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne. 1. La présentation de soi, 1973, Les éditions de minuit).
  3. Ibid.
  4. Delanoë-Vieux C., Coirié M., Coubard-Millot J. et Figuerola X., « L’expérience du patient en design, une ressource pour la conception d’un parcours d’hospitalité dans un hôpital neuf », in Deni M. et Catoir-Brisson M.-J. (dir.), La place de l’usager en design, 2019, Ocula20 (https://www.ocula.it/files/OCULA-20-DELANOE-VIEUX-COIRIE-COUBARD-MILLOT-FIGUEROLA-L-experience-du-patient-en-design.pdf).
  5. Extraits de témoignages des usagers participant aux ateliers de la charte des accueils en décembre 2021 au GHU Paris psychiatrie et neurosciences.
  6. Ibid.
  7. Ib.
  8. « Au-delà du guichet : l’art de l’accueil dans les lieux de soins », journée d’étude du lab-ah, en partenariat avec La 27Région, 1er avr. 2022, GHU Paris psychiatrie et neurosciences.
  9. Témoignage de M. H., agent d’accueil au GHU Paris psychiatrie et neurosciences.
  10. Ibid.
  11. DGOS, Le Guide méthodologique relatif à la prévention des atteintes aux personnes et aux biens en milieu de santé, 2017 (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_onvs_-_prevention_atteintes_aux_personnes_et_aux_biens_2017-04-27.pdf).
  12. Ibid.
  13. Témoignage de Mme K., agente d’accueil au GHU Paris psychiatrie et neurosciences.
×
Par
Marie Coirié

Marie

Coirié

Directrice adjointe

Lab-ah (laboratoire de l’accueil et de l’hospitalité)

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