Carte blanche à Argenteuil : l’innovation d’État au défi d’une grande ville

Le 12 avril 2019

Après le bassin de vie de Cahors, Argenteuil est le second territoire d’expérimentation du dispositif Carte blanche piloté par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Troisième ville d’Île-de-France (plus de 100 000 habitants), Argenteuil concentre tous les défis d’un territoire fortement urbanisé (échec scolaire, problèmes de chômage et d’incivilités, services publics en souffrance…). Horizons publics a suivi, au plus près du terrain, les débuts de cette deuxième opération Carte blanche.

Retour sur les événements précédents

Le 14 décembre 2017 le premier Ministre lance l'opération Carte blanche à Cahors lors de la deuxième Conférence nationale des territoires. Mélissa Deléron, directrice du projet en raconte la genèse : « Edouard Philippe a réalisé plusieurs « Matignon » délocalisés. Il a déplacé son cabinet à Cahors pour trois jours et a souhaité qu’une réflexion soit lancée pour améliorer le service public de proximité en y associant la puissance publique dans son ensemble (opérateurs, collectivités, services déconcentrés, et pas seulement l’État). Il décide de donner Carte blanche pour repenser le service public à partir des besoins des usagers et en libérant la capacité d’action des agents de terrain, en levant si nécessaire les barrières réglementaires et administratives. La commande a été passée au Délégué interministériel à la transformation publique Thomas Cazenave.

Au départ, nous n'avions pas fléché un service, une politique publique ou problématique en particulier ; nous sommes partis de la page blanche pour explorer les problématiques les plus prégnantes sur le territoire. Nous avons choisi un bassin de vie ou territoire vécu,  et travaillé en dehors des découpages institutionnels existants là  où il est possible d'identifier des zone grises et où l’empilement des niveaux institutionnels rend l’action publique peu lisible », explique Mélissa Deléron, directrice de projet innovation publique à la DITP.

L'objectif affiché de l'opération est l'amélioration des services publics. La DITP met en œuvre le projet Carte blanche sur le Grand Cahors. Elle fait appel au cabinet de conseil Eurogroup Consulting en appui. Le protocole qui servira de référence par la suite démarre par une phase d'immersion dans le bassin de vie et les services publics locaux, comme la Poste, la CAF, Pôle Emploi. Des thématiques sont dégagées et validées lors d'un séminaire et constituent la base des futurs ateliers de co-construction. Ils se déroulent pendant deux mois et donnent lieu à des échanges avec des acteurs locaux puis une conception et un maquettage de prototypes. Ces tests vont déboucher sur le choix et la mise en œuvre d'expérimentations in situ pendant une durée de 9 mois.

C'est ainsi qu'en octobre 2018 sont lancés à Cahors cinq projets : l'Agent polyvalent, le Car des services publics itinérants, le Partage des données entre opérateurs sociaux, un Centre de service RH pour les TPE et une plateforme de mobilité solidaire.

Des agents du Grand Cahors, de la préfecture du Lot, des travailleurs sociaux et salariés de l'Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) reçoivent une formation de quinze jours auprès de différentes structures publiques et sociales. Ces agents polyvalents ont ainsi pour vocation de prendre en charge de façon globale et unifiée dans différents lieux d'accueil l'ensemble des questions administratives posées par les usagers. Ils bénéficient d'un outillage spécifique pour aller plus loin dans les démarches avec les usagers, comme la possibilité de dialoguer avec différents organismes sur un réseau sécurisé (Outil A+). L'autocar des services publics itinérant sillonne les villages qui ne disposent pas de services publics avec à son bord un agent polyvalent et un travailleur social. Le chantier de partage des données entre Pôle Emploi, la CAF, la CPAM est mis en œuvre afin de permettre la simplification des échanges entre opérateurs et des usagers. « Grâce au croisement de données, on identifie des situations de non recours aux droits sociaux (RSA, CMUC prime d’activité). Par exemple en milieu rural avec un public vieillissant, nous trouvons des personnes exclues des aides, des jeunes femmes isolées avec enfant à charge, qui ne se soignent plus, un public qui ne connaît pas la couverture maladie universelle (CMU). On a identifié la liste des dispositifs pour aller chercher les gens qui n'étaient pas  connus des opérateurs » explique la directrice du projet Carte Blanche. L'approche pose nécessairement beaucoup de questions, mais elle respecte les règles du RGPD, l'anonymisation des recherches et nécessite l'autorisation de la personne pour entrer dans ses dossiers. Le Centre de ressources RH permet aux TPE de disposer d'un appui sur les fonctions de recrutement et d'accompagnement au maintien des salariés dans l'emploi. Enfin la plate-forme de mobilité solidaire propose des solutions de mobilité alternatives aux transports traditionnels et aux personnes les plus isolées.

De Cahors à Argenteuil

Argenteuil est le second territoire d'expérimentation de l'opération Carte Blanche. Il varie en tous points.

Philippe Malizard, sous-préfet de l'arrondissement d'Argenteuil nous raconte : « J'ai pris mes fonctions à la mi-juillet 2018. Le Préfet m'a annoncé très vite que les services du Premier Ministre voulaient faire une expérimentation dans une ville, après l'avoir fait dans une zone rurale. Argenteuil est la troisième ville d’Île-de-France. C'est une ville qui fait face à diverses problématiques, que le maire a récemment soulignées dans le cadre du Grand débat national (ndlr : le départ de Dassault d'Argenteuil). Un certain nombre d'entreprises sont déjà parties. Argenteuil n'est pas dans la liste des villes les plus pauvres de France, mais elle a souffert de la perte de plusieurs entreprises, comme Yoplait. Elle bénéficie de l'attention des services de l’État. Par ailleurs, elle a un potentiel incroyable et suscite l'intérêt de nombreux investisseurs et aménageurs. Elle est aux portes de Paris et a demandé à adhérer à la Métropole Grand Paris dans la boucle Nord de Seine. »

Le Maire d'Argenteuil Georges Mothron étaye et raconte le contexte de la négociation. « Le préfet du Val d'Oise m'a appelé fin mai-début juin 2018 pour me proposer la démarche: « Après Cahors, le gouvernement cherche une autre plate-forme, plus urbaine. On a pensé à Argenteuil ». Je lui ai répondu que, compte tenu du contexte financier de la ville, il était hors de question que cela représente un coût pour la collectivité et ses habitants». Le délégué interministériel m'a ensuite appelé pour me convaincre (…) nous nous sommes mis d'accord ».

Ces conditions posées, la collaboration entre la DITP, la préfecture et la mairie se met en place. Le diagnostic s'effectue entre les mois d'octobre et novembre 2018.

Selon le même protocole qu'à Cahors, l'équipe de la DITP et des consultants d'Eurogroup vont à la rencontre des acteurs locaux, en immersion dans les services publics. Trois grands défis et six gisements en ressortent : « Un système scolaire à réconcilier avec son environnement extérieur », « Les incivilités et l’espace public », « La maîtrise de la langue », « Une revitalisation de l’engagement citoyen », « Les difficultés psycho-sociales et comportementales des plus jeunes », « Le rôle des services publics pour l’émergence d’une culture collective ».

L'expérimentation Carte Blanche est officiellement lancée le 13 novembre 2018 en présence de toutes les parties prenantes institutionnelles. Le 14 décembre 2018 une quarantaine d'agents, associations, acteurs se réunissent autour d'un séminaire de sélection des thématiques. Les ateliers ont eu lieu entre fin janvier et fin mars, rue Labrière dans un bâtiment attenant à la sous-préfecture.

Carte blanche Argenteuil

Au cœur de l'atelier sur la culture commune

Le 13 mars a lieu le troisième atelier sur le thème de la Culture collective et des services publics. Sept personnes sont présentes, dont un représentant de Pôle emploi, le directeur d'une la Maison de quartier, une habitante et deux agents du service logement de la ville d'Argenteuil. Plusieurs thèmes s'étaient dégagés de l'atelier précédent : le maraîchage, un Repair Café, des lieux de vie en commun, événements culturels, ateliers de sensibilisation au développement durable, chantiers d'insertion, conférences débats, le renforcement de la présence des services publics. Après une séance de vote deux thèmes principaux se dégagent : le lieux de vie en commun et la présence des services publics.

À propos du lieu de vie en commun, un débat s'engage afin de savoir s'il s'agit d'un nouveau service public, ou bien d'un lieu de vie. Une participante demande si cela ne correspond pas déjà à la Maison de quartier. « Il y a déjà cette richesse qui existe » précise-t-elle. Le directeur de la Maison de quartier de Centre-ville Thierry Morel est présent. Il rappelle que l'orientation principale du lieu tourne autour de la famille, ce qui n'empêche pas pour les structures de proximité de pouvoir s'approprier cet espace. Mais elle n'accueille pas les services publics à ce jour. La liste des porteurs potentiels est dressée par les participants. Elle comprend l'ensemble des partenaires institutionnels territoriaux. Les modalités et outils pour toucher les habitants sont ensuite répertoriées. Une participante propose de passer aussi par les écoles. Ce lieu fait penser en attendant aux Maisons des Services Aux Publics (MSAP) mais en serait une version évoluée.

Mélissa Deléron précise : « Ce que l'on veut, c’est améliorer la prise en charge des personnes en plus grande difficulté ou les plus éloignées des services pour qui le service n’est pas toujours adapté ou mal connu. Les Maisons des Services aux Publics ont connu une avancée massive mais sont parfois mal identifiées. Nous avons rencontré dans des villages, des personnes habitant à 4 kilomètres des MSAP, qui ne les connaissent pas. C'est la question du service rendu qui est importante et aussi la capacité à pouvoir le changer. D'où cette idée de prise en charge globale en tout lieu d’accueil des usagers pour éviter l’errance administrative et le multiples déplacements dans les différents services générés par le cloisonnement des services. Par ailleurs, le service itinérant est une réponse à la problématique du franchissement du dernier kilomètre, véritable difficulté pour les personnes les plus isolées et les moins mobiles qui ressentent le besoin que le service vienne à eux ».

Le second thème est celui de l'agent polyvalent testé à Cahors et sur d'autres territoires. Dans l'idéal, d'après ce qu'il ressort de l'atelier, il serait capable de répondre à des questions relatives à la CPAM, les impôts, Pôle emploi, la CAF, l'assurance retraite, la Poste, la Mairie et même le secteur associatif. Aurélie, une habitante dit rêver qu'un tel agent existe, tellement elle est désespérée du fonctionnement des services publics, mais se dit sceptique. « Je ne vois pas le rapport entre les questions administratives et associatives par exemple. Je préfère séparer les deux ». Patricia Motte et Marie-Line Ruster du service logement de la ville d'Argenteuil qui participent à l'atelier affirment que certains agents ont une appétence pour ce type de poste. Le représentant de Pôle emploi ne voit pas non plus comment ses agents pourront orienter vers des associations. « Cela peut poser problème dans certains cas » précise-t-il. « Par ailleurs, il n'est pas question qu'ils ouvrent un dossier CAF ». La directrice du projet Carte blanche précise que dans les faits 90% à des questions sont usuelles et seulement à 10% complexes. Dans ce cas, l'agent doit aller chercher l'information. « Ce que veulent les gens n'est pas de savoir quand on va leur répondre, mais d’obtenir une réponse à leur question. À Cahors des agents polyvalents reçoivent des bouquets de fleurs car les gens ont parfois des réponses à des questions qu'ils n'avaient jamais eues jusqu'ici » ajoute t-elle. Marie-Line Ruster du service logement de la ville d'Argenteuil dit quant à elle se projeter complètement dans ce métier et serait volontaire pour participer au premier test. « Nous faisons déjà un peu cet agent polyvalent. On oriente sur l'état civil, les services de la mairie, on repasse par l'accueil, pour que les services viennent voir l'administré, ou bien on l'amène dans le service. Mais on ne veut pas qu'il reparte sans réponse. Une fois j'ai appelé un administré avec mon portable, car je ne comprenais pas son nom et je ne voulais pas qu'il ne reçoive pas de réponse » nous raconte-t-elle à l'issue de l'atelier. Pour Patricia Motte la cheffe de service : « Nous sommes là pour aider les administrés et il ne faut pas oublier que s'ils ne reviennent plus, on aura plus de salaire ». Les agents volontaires reconnaissent que certains fonctionnaires ont pu perdre le sens du service public, par fatigue, par habitude, par déception. D'après elles, l'idée d'agent polyvalent donne l'occasion d'avoir une vision globale, de redonner du sens à leur action. « Quand on est sur beaucoup de domaines, on a l'impression d'apprendre, d'être curieux. Quand on arrive au bout d'une question on est contents. Je pense que c'est faisable. On est vraiment là pour aider, remettre l'administré au centre, redonner une image positive du service public » précise Marie-Line Ruster.

Maison des langues
©Stéphane de Mouzon

L'apprentissage du français et l'ouverture de l'école

Anne Carrer est directrice de l'AFI (Action-Formation-Insertion) structure travaillant avec des publics ayant de bas niveaux de qualification dans un but de formation et d'insertion sociale et professionnelle. L'AFI participe aux côtés de la Mission emploi, la Mission insertion, le Conseil départemental, la Déléguée du sous-préfet à un à l'atelier sur l'apprentissage du français. Elle a participé au diagnostic initial et estime que ce projet « est un prétexte pertinent pour se rencontrer sur le territoire et pouvoir échanger. C'est un lieu privilégié aussi, où l'on peut se permette de rêver, d'imaginer des choses que d'habitude on ne dit pas. Car la pratique est de dire :  ce n'est pas possible ». L'idée principale qui ressort de l'atelier sur les langues est la mise en place d'un pôle d'accueil. 

« Le besoin en cours de français est extrêmement important sur le territoire pour les personnes qui ne sont jamais allées à l'école, ou ayant besoin d'une remise à niveau. Les dispositifs existants ne sont pas assez durables et l'offre globale est encore peu lisible » précise Anne Carrer. Cette « Maison des langues » serait un lieu identifié, de veille sur ce qui existe. Il serait accompagné d'une plate-forme internet pour centraliser les offres.

Pour Anne Carrer, une délégation de service public à une association est sans doute préférable, car les services municipaux ne résistent pas toujours aux cycles politiques. Mounira Azizi participe aussi à cet atelier. Elle est assistante pédagogique et formatrice pro à l’École de la deuxième chance d'Argenteuil, qui accueille des jeunes de 18 à 25 ans et propose un accompagnement individualisé, pendant six mois en moyenne, avec des alternances en entreprise. Elle reconnaît entendre assez peu parler de FLE (Français Langue Étrangère) sur Argenteuil. « Les structures ne sont pas assez visibles et coordonnées à ce jour ». Pour Mounira Azizi, la plate-forme et le lieu d'accueil auraient plus vocation a passer par un service public en lien avec la ville. « Les associations peuvent être un rouage mais ne peuvent pas prendre en charge tout le dispositif. La délégation ne fonctionne pas tant que cela » estime t-elle. Le maire Georges Mothron que nous interrogeons sur ce sujet reconnaît « être un libéral » et « préfère simplifier l’accès au service public que d’en créer de nouveaux». Mounira Azizi parle enfin d'associer davantage les entreprises à la formation en français de leurs employés nouveaux arrivants. « La plate-forme pourrait rassembler tous ces acteurs ».

Pour Charles-Henri Bescond, chef de projet transformation publique à la DITP, l'idée de base, ce serait un guichet unique pour réaliser des inscriptions, orienter les usagers vers des cours adaptés après avoir évaluer le besoin, avec un suivi derrière. Cela pourrait être un outil de partage de plage horaires et de disponibilités, en cartographiant l’offre existante au niveau le plus pertinent. L'accent serait mis sur la mise en relation, la facilitation, l'accélération de l'orientation. Il remarque que des initiatives de ce type existent déjà en Île-de-France, par exemple à Garges-lès-Gonesse avec les Maisons des langues qui organise de sessions de formation en son sein, ou à travers la Coordination inter-communale du Grand Paris Sud sur l'accès à la langue française et la détection de personnes isolées pour les accompagner dans leur apprentissage.

Carte blanche Argenteuil
©Stéphane de Mouzon

L'éducation nationale et les jeunes encore trop absents

Autour de la Maison des langues , l'une des idées est d'ouvrir l'école en dehors des périodes de la classe, à des formateurs bénévoles, des enseignants, pour faire du soutien et du FLE. La question du partenariat avec l'éducation nationale revient sur de nombreux sujets. Nadine Vignaud participe aux ateliers. Elle dirige un Centre Médico-Psycho Pédagogique (CMPP) et un service d'éducation spéciale de soins à domicile gérés par  l'APAJH du Val d’Oise, association du secteur médico-social, qui s'occupe accompagne des enfants jeunes et  adultes handicapés dans le Val d'Oise. L'association intervient à domicile et sur les écoles, les lieux de vie des enfants. Beaucoup d'enfants présentent des troubles de l'autisme.  « On voit bien que les problématiques sociales ont évolué fortement depuis une dizaine d'années, avec une grande précarité, des problèmes d'immigration traumatique » ajoute Nadine Vignaud, qui estime que le plus important est de mobiliser les familles sur l'école. « L'école demande aux familles de consulter le CMPP. Il y a une demande orthophonique galopante. Mais on voit bien qu'il y a un autre travail à faire. Les enfants arrivent à l'école, c'est un autre monde, ils ne comprennent pas la moitié de ce qu'il s'y passe. Ce qui n'a pas de sens est d'une grande violence. Pour que les enfants soient bien, il faut une désacralisation, expliquer l'école, ce qu'il s'y passe. Ce qui est important est de s'approprier les codes et les enjeux, et cela dès la maternelle ».

Même si une directrice d'école primaire est venue à un atelier, la directrice du projet Carte blanche confirme que « l'un des seuls représentants manquants au cours de ces premières phases est l’Éducation nationale. Pourtant ce n'est pas faute de l'avoir anticipé. Nous avons contacté plusieurs chefs d'établissements et les deux inspecteurs. Nous avons proposé plusieurs horaires, d'aller dans les écoles. Il y a une saturation aussi, un rejet, une fracture entre le système scolaire et l'environnement extérieur. Associer les enseignants est clairement l'un des défis à relever dans les prochaines semaines ».

L'atelier portant sur les relations entre l'école et son environnement débouche sur l'idée de faire la classe « hors les murs » pour les personnes qui ne peuvent franchir la porte de l'école. Ce projet a été présenté en avril à des enseignants et au Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale (DASEN), au maire et aux représentants des parents et a reçu un bon accueil. Enfin, en ce qui concerne l'atelier correspondant au gisement sur les difficultés psychosociales et comportementales des jeunes de 6 à 12 ans, l'idée d'une prise en charge éclair via un Pass, permettant de réaliser un diagnostic approfondi avec différents professionnels éducatifs et de santé est ressorti de l'atelier consacré à cette question.

Les incivilités et l'engagement citoyen

Concernant la thématique des incivilités dans la voie publique, relative aux déchets notamment, l'idée de la création d'un Conseil local des incivilités, avec un principe de « justice restaurative » sur le modèle belge, canadien ou néo-zélandais est apparue dans les premiers ateliers. Il serait question d'assermenter d'autres agents que les policiers municipaux pour interpeller les habitants en cas de constat d'incivilité sur la voie publique. Thierry Morel qui participe à ce groupe souligne que « La question est de savoir ce que l'on entend par incivilité. On voit émerger l'axe pénalisation, mais il y a aussi celui de l'éducation, l'information, l'économie circulaire à mettre en avant. Cela relève sans doute du projet de ville de s'engager sur ces questions-là.». Il évoque à ce sujet un projet important de recyclerie à Argenteuil porté par des habitants mais abandonné faute de portage par les institutions.         

Le dernier gisement est enfin dédié à la revitalisation de l'engagement citoyen pour favoriser la cohésion. Or justement, ces ateliers sont peu fréquentés par les habitants. La directrice du projet Carte Blanche reconnaît que « Les habitants c'était un axe fort théorique mais on a eu beaucoup de mal à les solliciter. Le débat national a un peu perturbé la démarché, en constituant une sorte de concurrence ». A Cahors des usagers avaient été rémunérés mais cette méthode n'a pas été retenue cette fois-ci. Elle créé un biais dans la sincérité de la participation. Pour l'équipe, associer les habitants aux phases de tests sera plus pertinent et constitue un impératif dans la suite de la démarche. Thierry Morel de la Maison de quartier de Centre-ville, se dit intéressé par une réflexion sur les modalités de compensation de ce type d'engagements. « Si l'on veut avoir de la production de qualité, que l'on a des exigences, il peut y avoir des compensations. De même pour les agents, avoir des jours de récupération quand on fait un effort particulier ». Les représentants des structures participantes témoignent de l'exigence représentée par ces temps de réflexion. Pour Nadine Vignaud de l'APAJH : «Cela représente du temps de travail, car pour avancer il faut pouvoir se poser pour réfléchir, prendre du recul, ne pas être dans l'action en permanence ». Elle note au passage que tant que les gens n'habiteront pas aux endroits où ils travaillent, il sera difficile de les mobiliser.

Le service public du futur se dessine

La démarche de la DITP dans cette phase intermédiaire de co-construction suscite des espoirs et des questions. « Je pense qu'il faut viser des objectifs atteignables, qui ne demandent pas trop de moyens. Quand c'est inatteignable, cela démobilise tout le monde » suggère Nadine Vignaud. Thierry Morel souhaiterait « qu'après Carte blanche, on puisse se poser des questions en interne et ne pas appliquer des solutions toutes faites, que l'on continue à s'entraîner sur le territoire ».

Georges Mothron se dit « marqué depuis quelques décennies par l'image que les gens de l'extérieur ont d’Argenteuil sans jamais y avoir mis les pieds. Je compte sur cette expérience pour venir modifier l'image d'Argenteuil sur un mode d'ouverture, de construction, d'acceptation des réalités du territoire qui ne sont pas celles dépeintes habituellement. Je souhaite que cela participe à redorer le blason d’Argenteuil. »

La force d'un dispositif de concertation en immersion sur un territoire est de repartir de zéro, avec de nouvelles observations et méthodes. Or au contact du terrain la démarche semble soumise à un double défi. Le premier : ne pas décevoir comme beaucoup de concertations et d'expérimentations précédemment. Pour cela, la capacité à inscrire les pratiques et la culture de de transformation publique sur le territoire et dans la durée paraît en effet déterminante. Le second écueil est d'éviter toute vision projetée d'en haut, à défaut d'avoir trouvé les moyens de se « brancher » sur les populations, de les accrocher à la démarche, de faire émerger des projets de diagnostics suffisamment étayés.

L'agent polyvalent, le service itinérant, les tiers lieux, la plate-forme des langues, le croisement des données sociales, la prise en charge éclair, l'inclusion numérique, semblent préfigurer une génération de services publics plus légers, réactifs. À tort ou à raison, ils peuvent donner le sentiment à certains acteurs d'un étayage par l’État de futurs dispositifs plus efficaces et économiques en ressources.

En ce sens, la situation d'intervention inhabituelle de l’État sur le territoire à travers Carte Blanche, peut faire penser à l'émission Le Grand frère, où un éducateur répond à l'appel d'une famille dépassée par des situations devenues ingérables. Bien que les méthodes et les résultats de ses interventions séduisent, on peine toujours à croire que les familles sont bel et bien réparées, les conflits et souffrances profondes réglées. À travers les affres récentes de la CNDP, l'expérience actuelle du Grand Débat et les projets audacieux de la DITP, ce qui semble se jouer en ce moment est un exercice de repositionnement sans doute salutaire de l’État, dans les réalités territoriales et au sein de la société civile.

Mais l'opération Carte blanche préfigure en quelque sorte les défis que les acteurs nationaux engagés sur les communs devront relever pour faire émerger une résilience publique capable d'appréhender dans les territoires et sur la durée les questions sociales et collectives les plus abîmées. Plus de polyvalence, de souplesse, d'hybridations, de circuits courts, d'expérimentation de terrain, paraissent circonscrire un profil du service public du futur. Mais une capacité à aller dans des profondeurs inaccessibles et hostiles de la société, là où se trouvent les maux communs dont les biens communs et publics dépendent, semble être le plus important défi à venir des acteurs publics de l'innovation.

Toute expérience concluante à la fin ne semble pouvoir se passer d'un travail de tissage fin et très approfondi entre l'ensemble des acteurs et d'une inscription sur la durée d'une culture partagée de transformation et de résilience sociale. Le 10 avril, les partenaires impliqués se sont réunis pour déterminer les huit expérimentations résultant des deux premières phases de Carte Blanche à Argenteuil. À suivre donc, car les réussites autour de ces opérations détermineront un peu mieux les contours d'une nouvelle génération d'innovation d’État.

Pour en savoir plus sur Carte blanche :

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