Comment associations et entreprises locales peuvent accompagner les politiques publiques des territoires

Bleu Blanc Zèbre
©DR -Bleu Blanc Zèbre
Le 21 août 2023

Alors que les collectivités publiques cherchent les clés pour répondre aux besoins de leurs citoyens, des structures associatives ou des entreprises sociales et solidaires locales ont déjà un impact positif, mais peinent à trouver les moyens d’essaimer. “Territoires et solutions” fait se rencontrer élus et porteurs de projets autour d’enjeux très concrets.

 

C’est un bâtiment qui ne paie pas de mine, à l’angle d’une rue en retrait de la grande avenue reliant Montreuil (93) au 12e arrondissement de Paris. Surélevé par trois marches, on n’y prête guère attention depuis la rue, on distingue à peine les larges vitres et les affichages, on pourrait passer devant sans savoir ce qui se trame dans cet espace de 600 mètres carrés aux allures d’hôtel particulier un peu vieillot. Ce serait bien dommage. Car en franchissant la porte, on entre dans un lieu pas comme les autres qui fait la fierté de la municipalité et le bonheur des habitants : la Bibliothèque d’Objets de Montreuil.

Cette BOM, c’est avant tout un projet porté par l’Observatoire du Partage, une association loi 1901 crée en 2018 pour servir de laboratoire de réflexion et d’expérimentation autour de l’économie du partage. En clair : acheter moins, jeter moins, partager plus. “Il y a des objets du quotidien, comme un appareil à raclette ou une décolleuse à papier peint, dont on peut avoir besoin de temps en temps, mais de façon ponctuelle et très localisée, explique Sylvain Mustaki, président et fondateur de l’association. Dans ce cadre-là, la question qui se pose est de savoir s’il est nécessaire d'être le propriétaire d'un objet dont on va se servir une ou deux fois par an. Pour une perceuse, la statistique dit 12 minutes au total dans toute sa vie… Un lieu comme le nôtre permet d’une part d’éviter l'achat, d’autre part d’éviter l’encombrement des placards, des caves et des garages, et enfin d’éviter la production en amont de quelque chose qui est inutile et en aval de déchets dont on sait pas très bien comment se débarrasser.”

Le spectacle Casto Drama - BOM

Le spectacle Casto Drama est une invitation à explorer les thématiques du recyclage, du bricolage et de la récupération d’un point de vue satirique et extravagant.

En se promenant dans la BOM, on trouve donc des objets de toutes sortes, de la cuisine au bricolage en passant par les loisirs, la puériculture ou encore le sport. Besoin d’un barbecue le temps d’un dimanche entre amis ? D’une tente pour une semaine de camping ? D’une caisse pour transporter votre chat ? D’une relieuse à documents pour votre mémoire de fin d’année ? Tout ça se loue pour quelques euros (20€ pour l’objet le plus cher), ou s’emprunte gratuitement à la Bibliothèque d’Objets de Montreuil.

Mais la BOM n’aurait jamais vu le jour sans la rencontre avec la municipalité de Montreuil, qui y a vu une réponse à un réel besoin de sa population, et a accompagné le projet en lui proposant un espace pour s’installer. Voilà comment la BOM a débarqué dans ce lieu qui porte toujours les stigmates du centre de santé Savatero, installé ici pendant plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare que l’on toque à la porte en demandant à voir un médecin. Mais si les portes flanquées d’écriteaux “infirmières” ou “soins” sont bien là, on ne trouve derrière que des étagères sur lesquelles reposent les 500 objets du catalogue. Ou presque.

Car la BOM n’ayant pas besoin des 600 mètres carrés proposés par la mairie, elle a profité de l’opportunité pour accueillir d’autres structures amies, par exemple l'association Passerelle de Mémoire, qui a pour mission de restaurer le lien intergénérationnel en filmant les récits de vie de personnes âgées. “On partage les mêmes valeurs, ce qui nous permet de travailler main dans la main, assure Sylvain Mustaki. On est en train de d'essayer de créer ici un genre de lieu original, avec un certain nombre de d'activités qui se complètent, qui s’entraident, qui se renvoient la balle les unes aux autres et qui sont globalement toutes dans le même esprit.”

Voilà comment la rencontre entre des porteurs de projet et la mairie a finalement conduit à l’émergence d’un lieu de 600m2, au cœur de Montreuil, où on emprunte, on répare, on apprend, on transmet et on crée.

Si l’idée n’était pas arrivée jusqu’aux oreilles de la mairie, la BOM n’existerait pas. Et c’est bien là le problème. Quiconque fréquente ou travaille du côté du monde associatif, de l’ESS ou des collectivités publiques sait bien que les initiatives susceptibles de répondre aux enjeux publics ne manquent pas. Que les leviers pour des politiques publiques avec un fort impact positif existent, sur de nombreuses thématiques. Mais que ce qui manque, encore et toujours, c’est la visibilité, la connaissance des uns par les autres, et donc la possibilité de se parler et d’agir ensemble.

“Territoires et solutions”, une édition nationale lancée par Bleu Blanc Zèbre

Ce constat, le mouvement Bleu Blanc Zèbre l’a aussi fait. C’est la raison pour laquelle il a organisé en avril 2023 l’évènement “Territoires et solutions”, dans toute la France. Ce rendez-vous, que l’association espère rendre annuel, a pour but de créer des points de rencontre (virtuels et réels) entre les projets de territoires, portés par les élus et les services, et les porteurs de solutions qu’elle labellise, pour répondre aux besoins des citoyens. “Le principe est de connecter des solutions dont on garantit qu’elles répondent à une véritable urgence sociale ou environnementale et qu’elles sont prêtes à être déployées, avec des élus locaux qui portent un projet sur leur territoire, explique Mickael Denis-Shi, directeur des Opérations, de la Valorisation et du digital chez Bleu Blanc Zèbre. On a défini un certain nombre de thématiques à partir d’une part du travail d’un groupe d'étudiants à Sciences Po qui a analysé les besoins des territoires, et d’autre part du travail des bénévoles de La route en Communes, qui tirent au sort des élus et vont les rencontrer pour faire remonter leurs doléances. L’idée étant que les thématiques ne soient pas choisies au hasard, mais proviennent des besoins réels exprimés par les élus locaux.”

Sur une journée complète, une vingtaine de groupes de discussion virtuels avait lieu en même temps le matin, sur des thématiques aussi variées que les enjeux environnementaux, l’emploi, l’habitat, la mobilité en zone rurale, l'illectronisme, l’alimentation, le décrochage scolaire… Le soir, six villes de France (Nantes, Roubaix, Montreuil, Lyon, Adrets, Bourbon-l'Archambault) ont organisé des rencontres réelles entre élus et porteurs de projets. “On sert de lien pour des gens qui ne se seraient jamais parlés sans nous, poursuit Mickael Denis-Shi. L’idée de la rencontre virtuelle est de permettre aux maires d’identifier des solutions précises, déjà déployées ailleurs, autour de la thématique sur laquelle ils travaillent. La rencontre réelle permet de décloisonner, de retirer le prisme thématique, et de favoriser la prise de contact directe sur un même territoire.”

Une mine d’idées pour les collectivités publiques, qui peuvent découvrir des solutions déjà éprouvées sur d’autres territoires, avec un retour d’expérience précis et une mesure détaillée de l’impact. Autour de l’emploi, par exemple, les élus ont fait remonter des problématiques très diverses, et le groupe d’échange sur le sujet a fait remonter des projets travaillant sur tous ces enjeux.

Une collectivité souhaite travailler avec des publics rencontrant des difficultés particulières, comme les femmes ou les personnes réfugiées ? Voici justement Arcé-Avenir Femmes, qui accompagne les femmes de plus de 45 ans voulant rebondir après une rupture professionnelle ou une perte d'activité. Esther, qui représente l’association aujourd’hui, détaille les différents programmes, leur impact, et comment le projet essaime dans plusieurs villes de France, à Paris, Nantes, Metz ou encore Marseille. Puis c’est au tour de Marguerite de prendre la parole pour expliquer comment Kodiko accompagne dans l’insertion professionnelle les personnes réfugiées et les personnes bénéficiant de la protection internationale BPI. L’association, en plein développement territorial, entend ouvrir deux antennes par an jusqu’en 2026.

Une autre collectivité pointe les problèmes d’illectronisme sur son territoire. L’association Konexio rapporte alors comment elle forme les personnes en reconversion, les demandeurs d’emploi, les femmes ou encore les primo-arrivants. Un enjeu crucial dans un marché du travail où 80% des offres nécessitent au moins des bases en compétences informatiques, alors que 13 millions de personnes sont en fracture avec le numérique en France.

Même enjeu, autre levier : Jessica raconte comment Décoll’ ton job relance la petite annonce. “Tout ce qui est lié à l’information sur l’emploi est numérique, donc inaccessible pour une partie de la population, déplore-t-elle, tout en ajoutant les autres bénéfices de la pratique. Cela permet aussi aux gens de cibler des offres très locales, d’identifier les entreprises à côté de chez eux qui recrutent. Ainsi, on a également un impact sur l’urgence environnementale : réduire les déplacements maison-travail, c’est déjà une pierre à l’édifice. En outre, on répond aux besoins d’un territoire et on évite les migrations vers les villes.”

Toujours dans cette optique de proximité, l’association propose également le café-contact : une demi-journée dans un bar, pour faire se rencontrer les entreprises locales qui recrutent et les habitants en recherche d’emploi, sans CV. “L’idée est de permettre à celles et ceux qui ne passent pas les filtres des CV ou des algorithmes de rencontrer des entreprises et d’avoir une chance de les convaincre. On parle d’un secteur où l’urgence sociale est importante. On a des personnes de plus en plus détruites, qui n’ont plus confiance en elles. C’est un moyen de prévenir le chômage de longue durée, tout en répondant aux besoins des entreprises locales.”

La plus-value de cette journée, c’est l’échange à bâtons rompus entre élus et porteurs de projets.

La réalité du terrain des collectivités territoriales frappe de plein fouet les discours préconçus des structures dont le pitch aseptisé voué à la communication est rapidement balayé, laissant place à une transparence précieuse pour se comprendre et créer des liens plus forts.

Ainsi, Cocoon, qui propose un abri pour répondre aux besoins les plus urgents des personnes sans domicile fixe, ne cache pas la nature transitoire de sa solution. “On n’est pas dupes de la logique temporaire de notre dispositif, admet Vincent, président de l’association. On sait que c’est très difficile de faire passer de la rue vers un logement. Ce que l’on propose, c’est un abri passerelle. Quelque chose qui permet de répondre à l’urgence et de reconstruire la confiance de la personne. Le but est de favoriser le rebond vers un véritable logement.”

 

Dans le groupe d’échange sur les meilleurs moyens d’impliquer concrètement les citoyens dans les enjeux environnementaux, les idées concrètes à mettre en place et les visions plus long-termistes échangent sans filtre. D’un côté, les porteurs de projets louent la nécessité de lier sensibilisations et actions pour susciter de l’intérêt réel, de l’autre les élus doutent de la possibilité de créer un engagement suivi sur le temps long. “Pour créer de l’engagement sur le long terme, il faut créer de la récurrence, des rendez-vous, assure Mathilde Hebert, co-fondatrice de Ma Petite Planète, une association de sensibilisation autour de la planète et du vivant. Il faut que les gens aient toujours l’enjeu en tête. Si on a une rencontre, un événement, et qu’après tout le monde retourne dans son quotidien, on ne peut pas avancer durablement sur le sujet.” Richard Marion, élu membre de l’association “Ville et banlieue”, pointe de son côté l’aspect “double tranchant” de la récurrence. “On nous invite à viser des actions courtes et à les répéter pour créer une réelle implication. Mais est-ce que ça ne peut pas provoquer le contraire ? Si je dis que c’est tous les vendredis, est-ce que je ne vais pas faire peur ? On se sent obligé de venir tout le temps, on ne veut pas s’engager, et du coup on ne vient pas du tout.”

L’élu de Vaulx-en-Velin et de la métropole du Grand Lyon se demande si l’enjeu ne se situe pas dans la transformation culturelle.

“Comment les gens évoluent dans leur manière de voir la ville, le territoire, leur consommation ?” Florence Croidieu, fondatrice de Futur en Herbe, qui propose des ateliers et stages de vacances pour les enfants autour de ces questions, estiment justement que les jeunes sont un levier majeur pour accompagner cette transformation de fond.

“Intervenir sur les événements, les écoles, pour expliquer comment recycler, on n’y va pas. Les gestes techniques s’apprennent facilement ailleurs. Nous, on veut travailler la transformation culturelle, ce avec quoi les enfants vont grandir comme idée, comme vision. Plus on s’y prend tôt, plus on peut provoquer unc changement culturel en profondeur. Et quand on passe par les enfants, les parents suivent.”

Autour de chaque table, les échanges n’en finissent plus. Côté mobilité rurale, Thierry Legendre, chef de projet "Petites villes de demain" au sein de la Communauté de communes du Limouxin, semble sous le charme de Vincent Desmas et de son projet Atchoum, une solution de covoiturage conçue pour aider les collectivités à répondre aux besoins de mobilité de proximité dans tous les territoires ruraux. Côté alimentation, Clémence Baugé responsable partenariats pour Les Petites Cantines, et Morgane Paris, qui accompagne Assiettes Végétales, régalent leur audience avec leurs projets autour du bio, du local, du circuit court ou encore de l’alimentation végétale dans la restauration collective.

Comme le temps manque, on demande à se reparler, à partager encore les expériences, à échanger documents précis et chiffrages détaillés, à mettre en place des ponts concrets. Le succès de “Territoires et solutions” tient à ces liens qui se créent. Car les élus qui défendent des projets ambitieux pour répondre aux urgences écologiques et sociales sont légion.

Les structures porteuses de solutions ayant déjà un impact positif mesuré, et qui ne demandent qu’à essaimer, aussi. Ce qui manque, parfois, c’est la connexion entre les deux. Celle qui fera naître les actions publiques de demain.

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