Franck Perinet, directeur de l’INET

Franck Périnet
©INET-Pascal Bastien
Le 22 octobre 2021

Directeur de l’Institut national des études territoriales (INET) et directeur général adjoint (DGA) du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) depuis 2019, Franck Périnet est un pur produit de la territoriale. Ancien élève administrateur territorial (INET, promotion Jean-Vilar, 2001-2002), Franck Périnet a exercé des fonctions de directeur des ressources humaines (DRH) adjoint au sein de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg de 2003 à 2006 avant de devenir DRH, DGA puis directeur général des services (DGS) du conseil départemental de Loire-Atlantique (44) jusqu’en 2019. 

1 - La création des classes préparatoires « égalité des chances »

Pour la première fois, notre école participe à la création de nouvelles places prépas Talents en partenariat avec l’École nationale d’administration (ENA) – qui sera remplacée par l’Institut du service public (ISP) à partir du 1er janvier 2022 – et l’Institut national des études territoriales (INET), avec une classe préparatoire à Strasbourg et l’autre à Nantes. Les dossiers sont déposés par les candidats. Ces deux prépas Talents seront inaugurées en octobre 2021. Leur raison d’être est de permettre aux personnes issues de milieux modestes, disposant d’un Bac +3, d’accéder à cinq écoles de la haute fonction publique. Nous avons répondu à l’appel à projets lancé par l’État dans la continuité de l’intervention du président de la République, le 11 février 2021. La volonté commune du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), dont dépend l’INET, et de l’ENA, est de favoriser l’émergence d’une plus grande diversité sociale et géographique chez les hauts fonctionnaires. L’ambition ne date pas d’aujourd’hui car il existe d’autres voie d’accès aux cadres d’emplois d’administrateur ou ingénieur en chef territoriaux : l’examen professionnel.

Quelles sont les spécificités de ces deux classes ? La première est portée par Sciences-po Strasbourg ; elle est une extension de 12 à 24 places de la classe préparatoire préexistante. La seconde, à Nantes, dispose également de 24 places. Elle est portée par l’institut de préparation à l’administration générale (IPAG). Ces deux partenariats sont essentiels au niveau du portage pédagogique et garantissent ainsi le caractère diplômant du cursus. Les candidats sélectionnés ont été soumis à un oral d’admission en juin afin d’évaluer les aptitudes, le potentiel, la motivation et le parcours. Une prérentrée s’est déroulée en juillet 2021. Les candidats retenus bénéficieront d’un accompagnement personnalisé, avec un accès facilité à un logement du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), le prêt d’un ordinateur ou encore l’octroi de la bourse « allocation diversité » dont le montant a été doublé pour passer à 4 000 euros. Ce soutien s’appuie enfin sur des partenariats importants noués avec trois associations : l’ENA 50-50, qui mène un combat pour l’égalité femmes-hommes dans la haute fonction publique, La Cordée, dont l’objectif est la promotion de la diversité sociale dans les services publics, et enfin Des Territoires aux grandes écoles, fédération visant à une meilleure égalité des chances des jeunes des zones rurales.

Le tutorat jouera un rôle important. Dès la promotion Gisèle-Halimi, qui vient de démarrer sa formation en février 2021, les élèves de l’INET seront tuteurs de l’un des élèves de ces prépas Talents. Ce tutorat sera une partie intégrante de l’enseignement. Le corpus pédagogique reposera sur des cours magistraux, assurés par des enseignants ou des fonctionnaires en activité dans les collectivités ou les administrations de l’État. Les élèves de l’ENA interviendront dans le cadre de conférences de méthodologie. Dès que le contexte sanitaire le permettra, des immersions dans les administrations seront amenées à compléter les prépas. Six à huit entraînements aux épreuves écrites sont aussi prévus et au moins un oral blanc pour préparer au mieux les élèves.

2 - Une formation commune pour les futurs hauts fonctionnaires

Le tronc commun et l’ISP sont deux choses distinctes : le tronc commun est entre quatorze écoles dont l’INET et porte sur cinq thèmes que les élèves de ces écoles aborderont toutes et tous. La suppression de l’ENA et son remplacement par l’ISP est la réforme d’une école sur laquelle je n’ai pas à me prononcer si ce n’est que nous avons toujours travaillé de manière très constructive avec l’ENA et je ne doute pas qu’il en soit de même à l’avenir, chacun dans son registre, la fonction publique territoriale au service de la décentralisation, des territoires et du service public local pour ce qui concerne l’INET mais en partageant les valeurs communes du service public. Il est clair que l’objectif est d’enrichir le contenu pédagogique en intégrant des thématiques tels que la pauvreté, le rapport à la science, les valeurs de la République ou encore les transitions écologique et numérique. Ce tronc commun ne vise pas à améliorer la diversité sociale mais à diversifier les voies d’accès pour ces institutions. Bien entendu, il serait caricatural d’affirmer que nos écoles se ferment à la diversité sociale, car force est de constater que nombreux de nos élèves sont issus de classes sociales favorisées. Nous devons veiller à faire sauter ce frein psychologique qui empêche la diversité de notre pays, au sens large, qu’elle soit sociale ou géographique, de s’engager dans la carrière de cadres territoriaux alors que nos services publics s’adressent à tous nos concitoyens.

1 700 places dans les prépas Talents du service public

1 700 places sont offertes en 2021 dans les prépas Talents destinées aux étudiants boursiers les plus méritants de l’enseignement supérieur pour préparer les concours donnant accès aux postes d’encadrement de la fonction publique. Ces classes préparatoires sont présentes sur tout le territoire, intégrées soit à des écoles de service public, soit à des universités, à des instituts d’études politiques, ou à des centres de préparation à l’administration générale (CPAG) ou aux instituts de préparation à l’administration générale (IPAG). Elles s’appuient sur le réseau existant des classes préparatoires intégrées des écoles de service public, qui offrent actuellement 700 places.

Les étudiants sont sélectionnés sous conditions de ressources et de mérite, sur la base d’un dossier et d’un entretien tenant compte du parcours du candidat, de ses aptitudes, de sa motivation et de son potentiel. Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé pour les établissements candidats à accueillir ces classes. La liste des nouvelles prépas Talents du service public est publiée par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques sur son site Internet. Chaque région compte au moins deux prépas Talents afin de rapprocher ces formateurs des étudiants de tous les territoires.

« Notre ambition est de trouver et de former des hauts fonctionnaires qui ressemblent davantage à la diversité sociale et territoriale de notre pays », précise Amélie de Montchalin, la ministre de la Transformation publique, qui porte le dispositif Talents du service public.1

3 - L’enjeu de la diversité à l’INET

Ni le CNFPT, ni l’ENA font un barrage conscient à cette diversité sociale. L’ouverture de nos écoles à tous les futurs serviteurs de l’État et des collectivités territoriales est dans notre ADN. Mais ces barrières invisibles existent, ils échappent à nos critères de sélection. Souvent, les freins sont matériels, psychologiques, culturels. Nous mettons donc en place des passerelles pour y remédier.

Les formations de l’INET sont adaptées à ce que vivent les gens dans leur quotidien. Il serait dommage de supposer qu’un haut fonctionnaire territorial soit moins à même de comprendre les difficultés du terrain parce qu’il n’y est pas né. Les valeurs que porte la fonction publique au sens large et que partagent les élus ne peuvent être ainsi caricaturées. Et dans ces valeurs, l’ouverture des emplois publics de responsabilité à tous ceux qui disposent des diplômes requis tombe sous le sens. Des freins existent ? Il faut les lever… Le renforcement du principe républicain de l’égal accès à la fonction publique est le socle du service public. Une fois que nous aurons intégré plus de diversité dans les instances dirigeantes de nos collectivités, les tours de table autour de décisions à prendre en seront naturellement plus pertinents, avec des analyses plus variées, issues de la multiplicité des points de vue, des parcours universitaires. La richesse sociale du tour de table est la garantie d’une meilleure réponse sur le terrain.

Ces deux classes prépas Talents seront inaugurées en octobre 2021. Leur raison d’être est de permettre aux personnes issues de milieux modestes, disposant d’un Bac +3, d’accéder à cinq écoles de la haute fonction publique.

J’ai personnellement une formation de juriste. J’ai fait une fac de droit. Je raisonne donc d’une certaine manière. Si autour de la table, je retrouve des profils similaires aux miens, le risque que certains paramètres nous échappent est élevé. Quid des géographes ? Quid des sociologues ? Des philosophes ? Comment peut-on se passer aujourd’hui de leurs éclairages dans les décisions publiques ? Les solutions qui sortiront en seront de fait plus riches. À l’INET, nous sommes en avance. À Strasbourg, nous formons des ingénieurs en chef, des conservateurs de bibliothèques, des conservateurs du patrimoine, des médecins territoriaux, des administrateurs, etc., nous sommes déjà dans une perspective inter-filières des réponses à apporter dans les territoires. À nous de renforcer ces croisements…

La carte des 74 classes prépas Talents du service public

Source : « Diversifier notre haute fonction publique : publication de la carte des 74 classes prépas Talents du service public », communiqué de presse, ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, 26 avr. 2021

4 - Les entretiens territoriaux de Strasbourg, une approche diversifiée des enjeux des territoires

Les entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS) sont organisés chaque année par l’INET et le CNFPT. Que cherche-t-on à faire chaque année aux ETS ? À faire circuler des idées. Qui les fait circuler ? Pas seulement les DGS ! Nous cherchons à avoir une vision à 360 degrés de notre société mais pas pour le seul plaisir intellectuel. En rentrant des ETS, les cadres dirigeants se sont nourris de ce brassage et ce dernier déteint sur leurs actions quotidiennes. Au-delà de l’ENA et de l’INET, 74 classes prépas Talents vont naître de l’appel lancé par l’Élysée. Nous allons passer de 700 à 1 700 places. C’est un bond quantitatif et qualitatif énorme ! Reste à aller chercher les élèves concernés par cette ouverture. Les associations avec lesquelles nous travaillons font déjà un important travail. L’INET a déjà formalisé un partenariat avec Les Cordées de la réussite pour que nos élèves se rendent, dans les lycées. Nos élèves donneront de leur temps dans le cadre du tutorat. Ce n’est pas du bénévolat mais un pan de leur formation ! C’est capital sur le plan philosophique et pédagogique, une manière de montrer à nos élèves que le service public se construit sur des valeurs.

Les directeurs de l’ENA et de l’INET auditionnés par le Sénat

Le 6 mai 2021, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation auditionnait les directeurs de l’ENA et de l’INET sur le thème du lien entre la haute fonction publique et les territoires. Une audition relayée par la chaîne Public Sénat. Patrick Gérard, directeur de l’ENA en a profité pour rappeler que depuis 2017, « l’ENA ne forme que 80 élèves par an : c’est une très petite minorité. Il y a actuellement seulement 2 000 énarques sur 10 000 hauts fonctionnaires. » Utile rappel sur ce sujet technique : les hauts fonctionnaires sont majoritairement fournis par les grands corps d’ingénieurs ou encore des personnes venues de la recherche ou du privé. Que va changer le passage de l’ENA en ISP ? : « La différence c’est que l’ISP, c’est l’ENA, moins l’accès direct aux grands corps à la sortie. Tout le monde entrera dans un corps qui s’appellera administrateurs de l’État, ajoute Patrick Gérard. » Autre changement notable : les élèves les mieux classés à la sortie de l’ENA avaient la possibilité d’accéder directement à des postes au Conseil d’État, à la Cour des comptes, à l’Inspection générale des finances, de l’administration ou des affaires sociales. Ils auront désormais obligation d’occuper dans un premier temps des postes dans les ministères ou les préfectures, par exemple. Dans le futur ISP, « aux activités habituelles de l’ENA, s’ajouteront deux types d’activité. Premièrement, le tronc commun avec quatorze autres écoles du service public pour construire une culture commune sur des sujets comme la science, la pauvreté, la déontologie, le sens de l’État, etc. Secondement, l’ISP devra développer plus encore que l’ENA la formation continue en créant une “école de guerre” qui se fera plus tard et qui formera aux fonctions très supérieures : ambassadeur, préfet, recteur ou directeur de ministères, conclut Patrick Gérard ».

38 % d’élèves boursiers à l’ENA

Ce changement de formation acté, qu’est-ce qui va changer ? La sénatrice Estrosi Sassone s’inquiète de « l’absence d’hétérogénéité des élites françaises issues des grandes écoles », relevant même une régression puisque « la part des élèves d’origine modeste dans les grandes écoles est passée de 29 % en 1950 à 9 % de nos jours ». Patrick Gérard confirme que la diversité sociale dans la haute fonction publique était plus grande dans l’Après-guerre, au moment de la création de l’ENA… créée alors justement pour atteindre cet objectif : « L’ENA a été créée parce qu’avant 1945, chaque corps et ministère recrutaient individuellement et chacun s’était aperçu que ces recrutements donnaient lieu à de la cooptation. Lorsqu’on était fils, frère, ou cousin (cela ne concernait que des hommes à l’époque) de quelqu’un en place, on avait toutes les chances de réussir. Jean Zay et Marc Bloch en avaient fait des raisons de la défaite de 1940. De Gaulle a donc mis en place ce système de l’ENA avec un concours d’entrée et un classement de sortie. »

Le directeur de l’ENA insiste sur un paradoxe : « Plus on a élargi l’accès au baccalauréat et aux études supérieures, plus la ségrégation s’est accentuée à l’ENA. » Il refuse cependant de laisser entendre que l’ENA serait uniquement composée d’élèves issus de classes sociales supérieures : « Dans la promotion actuelle, j’ai 38 % des élèves qui étaient boursiers de l’enseignement supérieur, très peu de grandes écoles ont ces chiffres-là. C’est notamment grâce au concours interne ou au troisième concours. Le Gouvernement a d’ailleurs décidé de lancer un concours supplémentaire : le deuxième concours externe dit “des talents”, réservé à des étudiants boursiers de l’enseignement supérieur. »

L’excellence des élites administratives françaises

Franck Périnet, directeur de l’INET, a lui aussi répondu aux questions des sénateurs, notamment sur les risques liés au respect des normes, toujours plus fluctuantes : « Les fonctionnaires territoriaux doivent préserver les élus et leurs collectivités, des risques : c’est un rôle fondamental. Cela étant, la mesure du risque fait partie des compétences à développer : il y a parfois de l’incertitude qui ne doit pas bénéficier à la rédaction de normes qui nous rassurent sans agir, mais plutôt nous pousser à l’action sans normes. » La sénatrice Françoise Gatel, qui présidait l’audition, a conclu par un plaidoyer en faveur des élites administratives : « Je pense qu’il ne faut pas sacrifier l’ENA à l’ère d’une communication ou de symboles. On sort l’échafaud pour l’ENA, qui serait la cause des maux de la France et de ses fractures territoriales et sociales. Personnellement je ne le pense pas. Nous avons une formation des grands serviteurs de l’État qui brillent par leur intelligence et leurs compétences. Nous avons aussi de grands corps d’ingénieurs techniques qui savent nous expliquer ce que nous ne savons pas comprendre. Il est extrêmement important que la France continue à avoir un niveau d’excellence de formation dans ce domaine. »

  1. https://www.transformation.gouv.fr/cartographie-des-prepas-talents
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