Titre unique pour toutes les mobilités : un chantier d'envergure en France

Deutschlandticket
Depuis le 1er mai 2023, en Allemagne, on peut voyager en illimité sur tous les transports en commun de tout le pays pour 49€ par mois. il suffit de l'acheter sur le site de la Deutsche Bahn (le site de la compagnie est même traduit en français).
©Verbraucherzentrale NRW
Le 8 août 2023

Lancé en février 2023, le grand chantier du titre unique pour toutes les mobilités associe l’État et les régions, chefs de file et les Autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Après les réunions de travail, les expérimentations se dérouleront en 2024-2025 pour un titre unique visé en 2028, sur fond d’interopérabilité nécessaire.

Le ministère des Transports veut un titre unique pour toutes les mobilités. « L’objectif est de simplifier le parcours usager, en lui permettant de circuler avec le même support », résume Mélanie Veissier, chef de projet « Titre unique » à l’Agence de l’innovation pour les transports (AIT). Il ne s’agit donc rien de moins que de regrouper dans un titre unique le train (avec au plus tard en 2030 plusieurs opérateurs pour les TER), les autocars et transports scolaires régionaux, les transports interurbains des Autorités organisatrices de la mobilité AOM), le covoiturage, le transport à la demande, les vélos libre-service (VLS), les parkings, etc.

Les 13 régions et des AOM travaillent déjà

Alors que des initiatives pour une billettique nationale unifiée avaient déjà vu le jour en Suisse (SwissPass), en Allemagne (Deutschlandticket) ou en Autriche (Klima-ticket), le Groupement des autorités responsables des transports (GART) avait lancé l’idée d’un titre unique français aux candidats à la présidentielle de 2022. Du 6 au 8 février dernier, un hackathon imaginant le « titre de transport de demain » était organisé à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette durant le forum de l’AIT. 10 équipes de 7 personnes représentant l’écosystème des transports (AOM, opérateurs, éditeurs de logiciels, bureaux d’études, associations d’usagers, étudiants…) phosphoraient ensemble, confrontant leurs idées au comité scientifique, puis au jury présidé par Clément Beaune, le ministre des Transports. L’équipe France Moov’ était lauréate avec sa proposition d’application de détection automatique des trajets par géolocalisation, sans achat ni validation mais seulement avec prélèvement. L’équipe Carte LEM était le second lauréat avec une carte au format physique ou dématérialisé, support de transport unique associé à un compte unique de mobilité souscrit en agence ou en ligne.

Suite au hackathon, « les réunions de travail ont démarré en mars dernier avec les collectivités volontaires : les 13 régions métropolitaines, sous la houlette de l’association Régions de France et des AOM emmenées par le GART : Rennes, Mulhouse, Bordeaux, et notamment en Pays de la Loire Nantes, Saint-Nazaire, Laval, Angers… », selon Mélanie Veissier. L’appel à territoires est d’ailleurs toujours en cours. Le support unique sera-t-il numérique ou physique ? Rien n’est encore tranché. « A minima, on aura un support numérique (ndlr : sans doute le smartphone), peut-être une carte. À ce jour, toutes les régions ont mis en place des cartes dématérialisées ou numériques  (ndlr : sauf les Pays de la Loire)», explique Claire Baritaux, coordinatrice de l’AIT. Une chose est sûre, le processus sera progressif…

La clef de voûte, c’est l’interopérabilité !

 « On compte aujourd’hui en France 200 systèmes billettiques très différents, allant du ticket SMS à la carte interopérable », selon Mélanie Veissier. Avec déjà des titres « fédérateurs ». La région Sud a elle plusieurs cartes illimitées à son actif : le Pass Intégral avec Aix-Marseille Provence Métropole (autocars, TER, métro, bus à haut niveau de service, VLS, P+R), le Pass Sud Azur estival façon Pass Intégral mais avec des choix de zonages possibles pour le voyageur, le Pass Zou Etudes (TER et autocars) pour 90 euros par mois pour les étudiants. La Bretagne a sa carte KorriGo depuis 2006, aujourd’hui utilisable sur 11 réseaux : Rennes, Brest, Quimper, Lorient, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Quimperlé, Guingamp, Fougères, Lamballe et une partie du réseau régional BreizhGo (TER et cars en Ille-et-Vilaine). Mulhouse Alsace Agglomération (M2A) a elle un Compte mobilité 100 % numérique développé par Transdev pour sa SEM Solea, avec tous les transports de l’agglo mais néanmoins encore trois abonnements (tramway et bus, TER, VLS). IDF Mobilités a un support unique pour Paris et l’Ile-de-France (Navigo Easy) et de plus en plus d’abonnements sur smartphone. Pour les voyageurs occasionnels, certains vont déjà vers des systèmes dématérialisés ou de l’open payment (carte bleue) comme dans une dizaine de villes dont Lyon.

L’enjeu à venir, c’est l’interopérabilité de tous ces systèmes entre eux : entre deux équipements physiques (ordinateurs, smartphones, bornes, guichets, revendeurs…), entre une carte à puces et un équipement physique, entre deux AOM. L’interopérabilité concerne l’information (calcul d’itinéraires, horaires), la réservation et la tarification. Roch Brancour, vice-président transports de la Région Pays de la Loire, insiste, en complément d’une solution numérique, sur la nécessité d’un réseau de points de vente physiques sur toute la région et sur la volonté de conserver la centrale d’appel Allo Aléop, créée en septembre 2022 pour informer et acheter des titres de transports à distance. Précisément, l’AIT ignore combien de systèmes sont interopérables aujourd’hui. « Les régions font l’effort et ont lancé des appels d’offres depuis mars pour accélérer la standardisation, assure Claire Baritaud. La Bretagne par exemple a un système interopérable entre ferroviaire, cars, transports urbains et même piscines et bibliothèques… ». Michaël Quernez, vice-président mobilités de la région Bretagne confirme : « Dès le départ, KorriGo a été construit pour pouvoir s’étendre à tous les réseaux bretons, grâce à un référentiel fonctionnel et technique commun. Chacun peut choisir sa solution billettique, à condition qu’elle soit compatible avec les pré-requis KorriGo ». Le Grand Est travaille lui sur un support de reconnaissance type QR Code intégrant les billettiques des AOM. De son côté, le Sud choisira l’automne prochain un délégataire pour son système de billettique régional de TER (réservations et informations), sur lequel les AOM devront pouvoir se connecter. « On a défini une charte régionale d’interopérabilité, avec des normes de compatibilité entre nous et les AOM », précise le vice-président transports et mobilité durable Jean-Pierre Serrus. Tout est en construction. Car si vous voulez aujourd’hui faire les châteaux de la Loire en car régional, en passant des Pays de la Loire au Centre Val de Loire, l’interopérabilité n’existe pas encore entre les deux régions. De même les systèmes d’information (guichets d’infos, pages web) ne sont pas le plus souvent interopérables aujourd’hui entre les différentes AOM.

D’un « produit minimum » au titre unique

Pour réussir le pari du titre unique, on ira par étapes. Les réunions de travail se déroulant actuellement « servent à construire, avec les collectivités d’ici mi-2024, des briques numériques technologiques interopérables entre elles : calcul d’itinéraires, réservation, tarification, historique, service après-vente, etc, selon Claire Baritaud. Beaucoup existent déjà ». Tous ceux qui ont choisi des systèmes non intégrés, c’est-à-dire constitués de briques, pourront agréger leurs données aux autres sans difficultés (interopérabilité) : « C’est le cas de notre Compte mobilité qui intègrera facilement le système de la région dans un premier temps », selon Yves Goepfert, vice-président transports et mobilité de M2A. Pour les systèmes intégrés, ce ne sera pas si simple…

Tout ce travail s’accompagnera au niveau national de l’élaboration d’une feuille de route technique, d’une communication et de discussions en loi de finances, pour préparer des expérimentations à partir de mi-2024 et sur un an, probablement sous forme d’appels à projets de l’AIT en direction de territoires volontaires. Il s’agira alors de s’appuyer sur l’existant, de mettre en place des protocoles communs pour fournir des lignes directrices claires lors des renouvellements de marchés des régions et AOM, de prendre en compte des spécificités locales (portiques de validation pour entrée sur un quai de gare…), de fiabiliser la distribution que chacun continuera de faire mais pour tous les titres et non plus seulement les siens, ou encore de travailler au partage des recettes.  Yves Goepfert, n’est pas inquiet : « Les opérateurs locaux vont agréger leurs données sur une plateforme. Il faudra sans doute créer une structure agrégatrice d’Etat type RTE. Au vu des agrégations de transports le concernant pendant un mois, chaque usager recevra une facture globale. Cela fonctionne comme cela pour le marché de l’électricité depuis son ouverture. On devrait faire pareil pour les transports. Comme ancien d’EDF, j’ai vu comment on a fait et comment cela fonctionne malgré mes inquiétudes premières… C’est juste une question de temps, et de rigueur et sécurité dans la transmission des données ».

Les expérimentations visent à obtenir un « produit minimum viable » testé avec de vrais clients dans un périmètre restreint, tant en matière de formalités possibles que sur le plan géographique. In fine, il faut aboutir au titre unique partout en France en 2028, même si les régions qui auront expérimenté le « produit minimum » auront déjà un titre unique. « À la charge des régions et des AOM d’intégrer le calendrier pour être prêtes en 2028 », conclut Claire Baritaud. Tout cela aura un coût. À ce stade, l’AIT ne peut pas encore communiquer sur les moyens financiers qui seront déployés, des expérimentations au titre unique. La Bretagne qui participe aux groupes de travail n’a elle pas encore décidé si elle se portera volontaire pour l’expérimentation en raison précisément des coûts. Les Pays de la Loire évaluent eux l’investissement à plusieurs dizaines de millions d’euros. « Pour le fonctionnement, on passera d’un système de distribution des titres TER par la SNCF à plus de 10 millions d’euros par an à un système multi-transports que nous gérerons entièrement (centrale d’appels, serveurs, maintenance, personnel…), en tablant sur des coûts stables voire en baisse », précise Roch Brancour. Un chantier d’envergure !

Pas de tarification unique mais… !

Si le titre sera bien unique, la tarification ne le sera pas, chaque région, ou AOM souhaitant conserver sa propre politique tarifaire. « La tarification est un outil politique, assure Roch Brancour, vice-président transports de la Région Pays de la Loire. Certaines collectivités pratiquent la gratuité, d’autres une tarification sociale, certaines révisent régulièrement leurs tarifs, d’autres moins, etc ». D’autres encore optent pour des moyens de transports écologiques : M2A a choisi par exemple des bus au biogaz et refixé le prix unitaire du titre de transport à 1,50 € en fonction des investissements. Néanmoins, le titre unique pourra permettre à l’usager de comparer plus facilement différentes solutions, puisque les systèmes d’informations seront unifiés. Dans ces conditions, l’usager observera parfois « un écart important entre un transport régional et son équivalent en transport local, ce qui lui paraîtra incohérent. Cela devrait donc favoriser des convergences tarifaires », prévoit Jean-Pierre Serrus, vice-président transports à la région Sud.

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