Un tour du monde de l’intelligence artificielle urbaine

Copenhague, la dernière étape du tour du monde du jeune Français Hubert Béroche. Au Danish architecture center, l’exposition #FORMGIVING revient sur les créations de l’architecte danois Bjarke Ingels : des designs innovants et durables (la ville-océan, la cité-forêt, etc.) qui s’articulent autour de neuf thématiques urbaines (l’hospitalité, le partage ou encore le don).
Le 10 juillet 2020

Hubert Béroche, étudiant en troisième année à l’école de management de Lyon (EM Lyon), décide, courant 2019, de se lancer dans un tour du monde de l’intelligence artificielle (IA) avec le soutien de Leonard, l’incubateur du groupe Vinci fédérant les acteurs de la ville de demain.

 

Lors de ses douze escales, il rencontre cent vingt acteurs, mairies, agences gouvernementales, territoriales, grandes entreprises, représentants des GAFA et chercheurs avec un objectif en tête : jauger de quelle manière l’IA peut résoudre les grands problèmes urbains.

 

Son constat : l’IA peut apporter des solutions aux villes de demain (mobilités, sécurité, environnement, etc.) à condition de mettre l’humain et le vivant toujours au centre. Il a publié en juin un rapport complet intitulé "Urban AI Report" sur son expédition aux quatre coins du monde.

L’idée du tour du monde germe dans l’esprit d’Hubert Béroche alors qu’il réalise un stage à la direction de l’innovation du groupe immobilier Gecina. Il travaille alors sur l’internet des objets (« Internet of things » [IoT]), et réalise le potentiel des objets connectés et de l’intelligence artificielle (IA) à l’échelle du bâtiment. Très vite sa mission s’étend aux smart buildings et aux mobilités autonomes. Passionné par l’IA depuis de nombreuses années, il réalise alors tout l’intérêt d’entreprendre un tour du monde de l’IA en contexte urbain.

L’intelligence artificielle urbaine nécessite d’être pensée de manière systémique et ne peut faire l’économie du bon sens au risque de créer une ville discriminante à l’égard de certaines populations.

L’étape suivante consiste à rechercher un parrain, pour soutenir sa démarche. Il n’en trouve pas un mais deux et bénéficie du conseil de deux personnalités. D’abord Cédric Villani, commissionné par le Gouvernement, il y a deux ans, pour faire un état des lieux de l’IA et député de l’Essonne, département d’origine de l’étudiant ; puis, Carlos Moreno, directeur de la chaire ETI de la Sorbonne.

Entre juillet et décembre 2019, il visite douze villes, New York, Boston, San Francisco, Montréal, Singapour, Dubaï, Séoul, Tokyo, Londres, Amsterdam, Copenhague et Paris, et rencontre cent vingt acteurs de l’IA urbaine, c’est-à-dire de l’IA déployée dans ces villes. Smartworld, c’est le nom de ce voyage exploratoire.

Toutes les villes visitées ont décidé de déployer une stratégie d’open data pour impulser de l’innovation.

Gouvernance des données et développement durable

Lors de ce voyage, deux points retiennent particulièrement son attention. Avant même de parler d’IA, il faut aborder le thème de la gouvernance des données. Cela pose la question de savoir si ce sont les villes, des acteurs privés ou un tiers de confiance qui contrôlent les données et met en relief l’enjeu de pouvoir autour de ces données.

Deuxième constat, le caractère durable des villes et de l’IA urbaine de demain. S’il part avec l’idée d’observer les possibilités de l’IA pour développer des villes durables, au cours de son voyage, une exploration plus approfondie de ce volet s’impose. Copenhague, par exemple, s’est fixée comme objectif d’être une ville « zéro carbone » en 2030. L’IA peut contribuer à avoir des villes plus respectueuses de la faune, de la flore et de la biodiversité. Tout l’enjeu consiste ensuite à créer des IA plus vertes, plus durables d’un extrême à l’autre de la chaîne de valeur. D’ailleurs, si les acteurs rencontrés divergent sur de nombreux points, la notion de ville du futur « verte » semble faire consensus.

Copenhague, la dernière étape du tour du monde du jeune Français Hubert Béroche. Au Danish architecture center, l’exposition #FORMGIVING revient sur les créations de l’architecte danois Bjarke Ingels : des designs innovants et durables (la ville-océan, la cité-forêt, etc.) qui s’articulent autour de neuf thématiques urbaines (l’hospitalité, le partage ou encore le don).

Similitudes et différences

Toutes les villes visitées ont décidé de déployer une stratégie d’open data pour impulser de l’innovation, pour aider les start-up à créer en fonction des données territoriales mais elles ont des niveaux de maturité inégaux. Certaines ont franchi un pas de plus vers la souveraineté des données et de l’IA. Amsterdam, New York, Montréal et Copenhague ont ainsi développé en interne un département dédié aux développements d’IA. « La ville de New York a même crée un Mayor’s Office of Data Analytics et un Mayor’s Office of Operations pour coordonner ses actions impliquant de la data », explique Hubert Béroche.

L’objectif du voyage d’Hubert Béroche consiste aussi à comprendre comment une ville en fonction de ses caractéristiques géographiques, historiques et culturelles s’approprie l’IA.

Pour certaines villes, de grandes lignes se dégagent. Tokyo s’assimile à une ville « cyborg ». Cela répond à une problématique démographique (vieillissement de la population) mais aussi à une compétence, la robotique, domaine dans lequel le pays s’est imposé comme un leader depuis les années 1960. Pour Boston, c’est la notion de ville « transparente » qui prévaut. Après avoir connu de nombreux problèmes de corruption, Boston est aujourd’hui attachée à des notions telles que la confiance, la co-construction et la transparence.

IA et smart cities

Hubert Béroche le rappelle, si l’IA occupe une place centrale dans la smart city, il faut bien distinguer les deux termes. La smart city recouvre une autre réalité urbaine puisqu’elle englobe, entre autres, la low-tech, l’IoT et un certain modèle d’urbanisme. Cela dit, les deux termes suscitent une certaine méfiance. L’IA cristallise des passions, des peurs ainsi que tout un imaginaire collectif. Au terme de « smart city », associé au marketing déployé par les grandes entreprises de la tech, aujourd’hui les chercheurs et entreprises préfèrent ceux de « green city » ou de « smart human city ».

Urban AI

L’IA face aux grands défis urbains

Concernant la résolution des problématiques urbaines concrètes, on peut citer un outil d’analyse du territoire appelé « Cityscope » , développé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Cet outil, utilisé à Andorre, comptant 76 000 habitants et un opérateur mobile unique, a permis de comprendre comment les habitants s’appropriaient leur territoire, les usages et la dynamique propre à ce lieu. À cet outil, Cityscope a ajouté une version de la ville en Lego, une maquette avec laquelle les citoyens sont invités à jouer. Lorsqu’une personne déplace un bloc de Lego pour ajouter un logement social supplémentaire ou changer un arrêt de métro, l’IA calcule en temps réel l’influence de cet aménagement sur la ville. Ainsi les citoyens ne subissent pas la ville mais interagissent avec elle.

En matière de récolte de données, une ville comme Montréal a choisi de proposer une application que les citoyens téléchargent, volontairement, et qui enregistre les déplacements. Montréal trajets permet de comprendre les habitudes de mobilité et de prévoir les déplacements. À Amsterdam, Social glass utilise les données déposées sur le web (web mining), sur les réseaux sociaux tels que Twitter ou Instagram, afin d’analyser le comportement et les attentes des usagers en matière d’aménagement urbain. Les technologies diffèrent mais les résultats sont bien là, il s’agit de mettre en place un urbanisme augmenté et éclairé.

Sur la question de la mobilité des grandes villes comme Singapour, New York et Londres ont implémenté un système de feux de circulation dynamiques, utilisant l’IA pour optimiser le réseau autoroutier en temps réel.

À Tokyo, l’utilisation de l’IA permet de lutter contre les catastrophes naturelles. Il s’agit de voir en temps réel les dégâts d’un tremblement de terre ou la direction d’un typhon, des données cruciales permettant de déployer les bons moyens pour lutter contre les catastrophes naturelles. Cet outil établit une corrélation entre les comportements sur les réseaux sociaux et les catastrophes naturelles. Une manière de se rapprocher de l’idée de ville résiliente.

À Los Angeles, la start-up Predpol a développé un outil de police prédictive. Il analyse trois types de données : le lieu, le type de crime et la date. Via un historique des données (machine learning), il s’agit de prédire les types de crimes et les lieux où ils vont être commis pour créer des « policiers augmentés » et optimiser les patrouilles. Ce genre d’outils crée de nombreuses controverses. Même s’il n’aborde pas la question du « qui » ce logiciel est relativement discriminatoire. L’IA va être biaisée puisqu’elle ordonne aux policiers de faire des rondes toujours dans les mêmes quartiers contribuant à instaurer encore plus de méfiance, un sentiment de culpabilité et de fatalité vis-à-vis du quartier. Les individus semblent condamnés, quoi qu’ils fassent et de surcroît par une IA pouvant faire autorité. D’ailleurs Michael Bloomberg, maire de New York jusqu’en 2013, entrepreneur connu pour des positions assez fermes, s’est excusé récemment et a reconnu ses erreurs dans l’application d’une solution similaire dans sa ville.

Les limites de l’IA

Ces dérives pointent les limites de l’IA. Hubert Béroche reconnaît volontiers qu’en commençant son tour du monde, il avait une vision techno-centrée, il était persuadé que l’IA était la solution aux problèmes urbains. Mais il réalise rapidement qu’elle nécessite d’être pensée de manière systémique et ne peut faire l’économie du bon sens au risque de créer une ville discriminante à l’égard de certaines populations comme les personnes âgées. C’est le cas lorsque l’on utilise les données des téléphones portables pour déterminer les habitudes de mobilité sachant que de nombreuses personnes âgées n’utilisent pas de smartphones.

Le deuxième risque consiste à créer une ville où l’être humain n’a plus toute sa place, une ville qui fonctionne très bien, sur-optimisée en matière de circulation, mais ne faisant plus sens pour l’humain. De là naît la notion de « ville invisible ». En parallèle du monde physique dans lequel on évolue, un monde digital, que l’on ne voit pas, se développe. L’espace public récolte des données via des caméras de surveillance, des téléphones mobiles, sur les déplacements des citoyens, la pollution de l’air, la circulation routière, etc. Dans un scénario extrême, cette ville numérique invisible pourrait d’autant plus devenir un outil de surveillance de masse que les citoyens ne la voient pas.

Pour une bonne pratique de l’IA

Pour éviter la survenue d’un tel scénario, quelques bonnes pratiques s’imposent. Il convient de repartir du contrat social, le remettre sur la table, voir ce qui a évolué puis co-construire une feuille de route avec les citoyens, créer une sorte de charte d’utilisation de l’IA. C’est ce qu’a fait la ville de Montréal. Il est essentiel de savoir comment sont récoltées les données (par des acteurs publics ou privés) de se mettre d’accord sur les usages de l’IA et ses réglementations. Une fois ce contrat social établi, en fonction de son histoire, sa géographie, sa culture, chaque ville doit s’interroger sur l’utilisation de l’IA. À Montréal, où de nombreux chantiers se déroulent en parallèle, ils l’utiliseront pour recalculer des itinéraires en cas de blocages de routes par des travaux.

Pour la ville de demain, l’environnement constitue un enjeu très fort. À la préservation de l’humain, il convient d’ajouter celle du vivant. À travers son voyage, Hubert Béroche a découvert de nombreux exemples d’utilisation de l’IA pour préserver la biodiversité.

L’University College de Londres (UCL) l’utilise pour cartographier la biodiversité urbaine et l’état de santé des chauves-souris. Cela permet de voir comment évoluent les chauves-souris, ce qui potentiellement pourrait être corrélé à un appauvrissement de la biodiversité londonienne. À Montréal, on propose de l’apiculture augmentée pour soutenir l’apiculture urbaine.

Aux États-Unis, une start-up se sert de satellites pour observer et surveiller, en temps réel, l’évolution des parcs urbains. L’IA par le biais d’outils que ce soit d’optimisation énergétique ou de visualisation de l’empreinte carbone, par exemple, peut accompagner la lutte contre le réchauffement climatique, la pollution de l’air et la préservation de la biodiversité urbaine de manière efficace et raisonnée.

Pour aller plus loin

Vous pouvez retrouver la présentation donnée par Hubert Béroche le 25 février 2020 et qui reprend les conclusions de son tour du monde de l’intelligence artificielle sur la chaîne Youtbube « We are Leonard », dans la vidéo Un tour du monde des villes intelligentes, et sur SmartWorldAI

Le rapport Urban AI d'Hubert Béroche

 

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