Fanny Brûlebois : «pas de concertation numérique réussie sans inclure un volet présentiel»

Fanny Brulebois
Le 23 août 2018

Fanny Brûlebois, directrice consulting chez Open Citiz, cabinet de conseil spécialisé en politiques publiques et en innovation territoriale, vient de finaliser un rapport sur les civic tech pour la Caisse des dépôts et consignations. Dans « Le numérique va-t-il hacker la démocratie locale ? », un guide pratique à destination des collectivités, elle aborde les fonctionnalités des outils de participation citoyenne –consultation, concertation, co-production, co-décision- et les conditions de réussite de telles démarches.

Le numérique va-t-il hacker la démocratie locale ?

Ce guide répond-t-il à une demande des collectivités territoriales ?

Il est issu d’un travail amorcé en janvier 2018 avec la Caisse des dépôts et consignations. Trois mois d’études de terrain auprès des collectivités ont permis de dresser un état des lieux de leurs pratiques et de leurs besoins en matière de civic tech. Nous avons ainsi identifié deux besoins principaux. Le premier consistait à y voir plus clair en terme de cartographie des solutions. Souvent sollicitées par les startups, les collectivités ont parfois du mal à avoir une vision complète du sujet. Le second impératif était de comprendre les différentes modalités de consultation citoyenne.

Quelle a été la méthodologie employée pour cette étude ? Comment avez-vous choisi les outils mis en avant ?

Nous avons choisi de faire un panel assez représentatif, interrogeant tous les échelons des collectivités, régions, départements, intercommunalités, villes et métropoles, et différencié, en fonction du nombre d’habitants.

Sur les 157 collectivités territoriales ayant mis en place des outils de civic tech, on compte 82% de métropoles, 9 régions sur 13. En revanche, les départements et le niveau intercommunal se situent loin derrière dans le classement. Nous avons aussi questionné les collectivités n’ayant pas mis en place de démarche de civic tech afin d’en comprendre la raison.

Dans le guide nous recensons 79 sociétés travaillant sur le sujet, 70 plus particulièrement sur la question des territoires. Il s’agit d’une cartographie la plus complète possible réalisée en mai 2018. Les startups mises en avant dans les différents chapitres affichent de beaux succès, de nombreuses références. Comme Carticipe, l’outil le plus utilisé dans le domaine de la cartographie participative, Open Data Soft, leader du secteur du partage de données ou encore Collecticity, un des rares outils dédiés au financement participatif des collectivités.

Quels sont les freins principaux des collectivités à l’utilisation des civic tech ?

Nous en avons identifié deux principaux. Certaines collectivités souhaitent s’appuyer sur le numérique pour améliorer leur relation avec l’usager (guichet unique, e-administration). Elles envisagent la participation citoyenne augmentée via le numérique dans un second temps. D’autres collectivités n’adhèrent pas au sujet de la participation citoyenne : elles considèrent avoir été élues et à ce titre ne pas avoir à intégrer la voie de l’usager dans leur mandat.

De quelle manière ces outils répondent-ils à la fois aux besoins des collectivités et des habitants bien qu’ils soient différents ?

Comme on est sur un sujet de participation citoyenne, il faut que les deux besoins se rencontrent au même moment. Cela arrive, heureusement, sinon aucun de ces outils ne fonctionnerait correctement.

Sur le thème du budget participatif, un sujet très porteur en ce moment, on constate que pour les collectivités les outils numérique aident à faire de la pédagogie, à donner à voir les processus budgétaires, à se rapprocher des citoyens pour qui c’est l’occasion de faire porter des projets par la collectivité.

Quelles sont les conditions pour une concertation numérique réussie ?

Les mêmes limites existent dans la concertation classique et numérique. Un mauvais questionnaire ou un budget communication insuffisant peuvent la faire échouer. Une question pertinente, au cœur des problématiques des usagers, suscite la mobilisation. Il convient aussi d’avoir une vraie démarche de communication, dans la durée. Deux semaines c’est trop court pour que les gens se mobilisent, construisent une réponse.  Souvent les collectivités omettent de prendre en compte ce budget, important. Les usagers passent simplement à côté de la concertation.

Nous avons collectivement porté l’idée qu’il n’y avait pas de concertation purement numérique, elle doit toujours inclure un volet présentiel. Les bonnes démarches menées allient ateliers en présentiel, réunions de quartiers et une plateforme numérique permettant d’échanger et de gagner du temps lors du traitement des réponses données. La force du numérique consiste à traiter les informations de manière plus efficace et plus précise.

Comment éviter la fracture numérique ?

Des associations spécialisées proposent des dispositifs de médiation numérique dans toute la France. Des intervenants aident des associations d’usagers à utiliser les outils numériques dans le cadre de la participation citoyenne. On peut s’appuyer des sur incubateurs comme le TUBA à Lyon. Une autre bonne pratique consiste à varier les formats de participation. Comme en présentiel tout le monde n’est pas à l’aise avec les mêmes outils, le fait de rédiger des textes ou de parler. Si l’on propose des QCM, des espaces pour des contributions libres et bien sûr des ateliers en présentiel, on captera des profils différents. Grâce à des stratégies multicanal ou multi outils, on prend en compte tous les niveaux d’autonomie vis à vis du numérique.

Vous évoquez la mise en place d’outils de signalement pour améliorer le cadre de vie. Ils concernent la voirie, la propreté́, les espaces verts, l’éclairage public, le marquage au sol. Comment s’assure-t-on que ces signalements sont suivis d’effets ?

Les outils sont intéressants mais ils nécessitent des réorganisations dans les collectivités. Parfois elles sous-estiment le travail que cela implique. À cela s’ajoute une autre question, celle de la compétence territoriale. Dans une petite ville si le signalement est envoyé au mauvais endroit, à la Mairie, alors qu’elle concerne la commune ou le département par exemple, l’usager n’obtiendra peut-être pas de réponse et cela créera des frustrations. Il faut donc favoriser la coopération entre les différents échelons de collectivités.

Quelles sont les limites des outils de la civic tech ? Renouvellent-ils vraiment la représentation ou sont-ils des gadgets à la mode ?

Les civic tech est nées comme un mouvement citoyen de contrepouvoir, visant à mettre les  citoyens au même niveau que les élus. En France le mouvement de contestation citoyenne a très vite adopté une logique de coopération avec les collectivités. Le sujet de la participation citoyenne prend de l’ampleur ; les collectivités territoriales le prennent désormais en compte. En revanche il faut inclure tous les publics et tous les modes de participation.

Le marché français compte une profusion de startups. Toutes ne se valent pas et n’ont pas pu se développer de la même manière. De ce point de vue-là certains outils demeurent des gadgets.

Quelles questions une collectivité doit-elle se poser avant de choisir un outil de participation numérique ?

Je recommanderais la vigilance sur trois points. Il faut être très strict et clair sur la question des données personnelles. Deuxième thème à prendre en compte : la loyauté des plateformes. En fonction de l’algorithme utilisé certaines contributions ressortiront plutôt que d’autres. Nous considérons qu’une plateforme doit être transparente et qu’elle doit fournir les critères sur lesquels se base son algorithme. Enfin, la réversibilité des données me paraît essentielle. La plateforme doit accepter de remettre les données à la collectivité pour qu’elle puisse les utiliser.

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