Le budget participatif doit-il rentrer dans le rang ?

Budget participatif
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Le 11 septembre 2018

L'Institut Berger-Levrault, une structure interne du groupe Berger-Levrault destinée à favoriser l’innovation, a organisé le 15 juin dernier une journée de réflexion et d’échanges intitulée « Démocratie citoyenne numérique » sous la direction de Milad Doueihi. Les interventions furent de haute tenue, notamment autour d’un des sujets forts de la journée : le budget participatif.

Présenté comme un élément clef de la démocratie participative, il permet aux citoyens d’une commune, à l’issue d’un vote, de « disposer » d’une partie du budget municipal pour réaliser des investissements amenés par des « porteurs de projets ». Il a trouvé sa place dans certaines villes1, comme à Rennes, ainsi que l’a expliqué Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine et adjointe à la maire, pour qui « une ville est un terrain d’expérimentation fabuleux ». Depuis quelques années, il est l’outil emblématique de la Fabrique citoyenne qui ouvre le pouvoir d’agir aux habitants. Pendant deux mois, ils peuvent déposer des projets, puis un vote est organisé.

La ville de Rennes a mis en place cette année son troisième budget participatif, pour des projets aussi variés que la végétalisation du centre-ville, une bagagerie pour les sans-abri ou un lieu dévolu aux jeux vidéo. L’enveloppe qui lui est consacrée représente  5 % du budget d’investissement de la ville.

Une charte de la démocratie locale à Rennes

Les contraintes et les difficultés existent : les élus sont dans un autre rapport à l’habitant et cela peut engendrer des tensions, quand par exemple l’élu en charge de la culture s’oppose à un projet culturel. Pour encadrer le mécanisme avec rigueur, la ville de Rennes a adopté la Charte de la démocratie locale qui rappelle notamment les grands principes du débat citoyen. Mais Mme Robert en est sûre, on ne pourra plus revenir en arrière. Le pouvoir d’agir est pour elle le fondement de la démocratie locale, l’usager est devenu un acteur.

Les limites du budget participatif

Yves Roquelet, président du Syndicat des juridictions financières unifié (SJFu) lui répondra indirectement lors de son intervention. Rappelant l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée », il admet en phrase d’introduction avoir de la sympathie pour le budget participatif comme outil permettant de rendre à la décision publique une légitimité et une force.

Mais comme toute démarche participative dans un pays de démocratie représentative, ce mécanisme pose la question de sa compatibilité avec les principes existants, et selon l’orateur, « le pays pourrait se diluer à consulter tout le monde ». Il va s’attacher à en montrer les limites et à proposer des mesures simples afin de le réintégrer dans un cadre établi.

La question centrale est celle de la formation de la décision administrative. Elle est toujours verticale, mais au fil des ans la concertation, l’expertise et la contre-expertise, l’évaluation enfin ont bousculé ses règles d’élaboration et de suivi. En impliquant le citoyen par un vote sur les projets, le budget participatif va dans le même sens : il s’oriente vers une forme de démocratie directe qui paraît même déposséder les élus d’une partie de leur souveraineté.

C’est là que le bât blesse. Le budget communal s’inscrit dans une élaboration-cadre qui s’articule difficilement avec ce nouveau processus, plaçant même celui-ci dans une situation ambiguë. Alors que la source du pouvoir reste aux mains des élus (puisque le budget participatif n’est qu’une partie du budget global) et que le contrôle du budget communal est fortement « judiciarisé », le budget participatif n’existe pas pour les juridictions financières 2.

Les faiblesses du budget participatif sont nombreuses et peuvent freiner son ancrage durable dans la vie locale : une trop grande participation citoyenne peut fragmenter l’action publique ; une mobilisation mal enclenchée peut être source d’incertitudes et de difficultés ; les personnes les plus engagées ne sont pas forcément les plus représentatives, et surtout  la consultation dématérialisée donne plus une atomisation des points de vue qu’elle ne débouche sur une synthèse.

Des mesures pour renforcer le budget participatif

Heureusement, les mesures simples à mettre œuvre existent : puisque le budget participatif échappe à la M14, puisqu’il n’est qu’une partie du budget municipal, donnons-lui une existence institutionnelle, en imaginant une nomenclature, en le transformant en budget annexe, et ouvrons l’accès à la saisine des chambres régionales des comptes.

On ne peut que savoir gré à l’orateur d’avoir exposé de façon claire et nuancée les arguments «  à la charge » du budget participatif, loin des discours souvent clichéiques qui veulent « remettre l’humain au cœur du local » en « permettant aux hommes et aux femmes  de s’exprimer et d’agir » et d’avoir ouvert l’auditoire à la réflexion et aux interrogations.

Souvent utilisé pour des projets sociaux, le budget participatif attire la sympathie car il donne aux habitants un moyen d’action qui s’adresse à tout le monde. C’est en acceptant les critiques et les suggestions que ses partisans en feront un outil pérenne, fiable, garant des grands principes de la démocratie.

(1) En 2017, il y a eu entre 47 et 50 budgets participatifs.
(2) Il n’y a eu que quatre contrôles entre 2009 et 2018,  notamment l’un impliquant deux lycées du Pas-de-Calais, les régions ayant prévu des budgets participatifs dans les EPLE. Il s’agit de fonds libres d’emploi dans le cadre d’un projet à construire.

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