Les acteurs publics engagés dans les tiers-lieux font communauté à Marseille

"Les tiers-lieux ont ouvert la voie à une co-construction des politiques publiques qui ne se limite plus à consulter pour décider mais consiste à faire ensemble. Ces dynamiques viennent interroger l’administration publique dans son rôle, plus accompagnateur qu’aménageur, dans sa posture, faire avec plutôt qu’à la place de, dans ses modes de faire, préférer l’expérimentation aux diagnostics" : ce constat, partagé par Rémy Seillier, directeur adjoint de France Tiers-Lieux, à l'issue de cette rencontre nationale, résume bien la problématique dans laquelle se trouvent aujourd'hui les tiers-lieux.

Alors que 83% d'entre-eux ont des partenariats avec les acteurs publics et 49% de leurs chiffres d'affaires provient de subventions publiques, il est essentiel d'interroger et d'approfondir les modes de coopération possibles entre les collectivités locales et les tiers-lieux.

« Soutenir les tiers-lieux exige un juste équilibre à trouver entre droit à l’expérimentation permanente et respect de leur spécificité, qui n'est ni l’extension des services publics ni des équipements publics d’un nouveau genre », écrivions-nous dans l’éditorial de notre hors-série « Tiers-Lieux : quand les pouvoirs publics s’en mêlent », en mars 2022.

Rémy Seillier, directeur adjoint de France Tiers-Lieux, anime une table-ronde "Pourquoi une "Communauté d'acteurs publics engagés" (CAPE), sur le Grand Plateau de la Friche Belle de Mai, à Marseille. Avec de gauche à droite : Philippe Chemla, co-fondateur du Réseau Sud Tiers-Lieux, Arnaud Bonnet, Co-fondateur de Bretagne Tiers-Lieux, Ophélie Hugot, cheffe du service innovation publique au CNFPT, et Marc Laget, chargé du programme "Nouveaux Lieux, Nouveaux Liens" de l'ANCT.

Un an et demi plus tard, ce juste équilibre a été au centre des tables-rondes et ateliers de cette rencontre marseillaise. Avec des questions de fond : pourquoi les collectivités s’intéressent-elles aux tiers-lieux ? Est-ce que les tiers-lieux contribuent à transformer l’action publique ? Faut-il un tiers-lieu à tout prix ? Quelle place les collectivités doivent-elles occuper dans leur gouvernance ? Les tiers-lieux sont-ils un outil de sobriété foncière ? Animation culturelle, maintien du lien social, incubation de projets d’intérêt général, expérimentation urbaine, création d’activités économiques et d’emploi, outil d’apaisement dans des quartiers de la politique de la ville…

À l’image de la Friche Belle de Mai, « un bout de ville dans la ville » qui depuis 30 ans joue un rôle économique, culturel et sociétal à Marseille, dans l’un des quartiers les plus pauvres d’Europe, les tiers-lieux prolongent, complètent, renforcent voir suppléent – dans certains cas - l’action publique locale.

Pour toutes ces raisons, de plus en plus de collectivités s’impliquent aux côtés des tiers-lieux. Commune, intercommunalité, région, département et l’État soutiennent l’émergence et le développement de ces espaces intermédiaires, friches, laboratoires, fabriques, squats… aujourd’hui tiers-lieux dont on observe des réalités très différentes et une incroyable diversité de dynamiques, de lieux, de projets, d’acteurs…

Les collectivités locales sont les premiers partenaires des tiers-lieux.

Le « Comment faire ensemble » a été au centre des tables-rondes de la matinée, mêlant paroles d’élus et témoignages d’agents publics engagés dans des tiers-lieux à la ville (Bordeaux, Marseille, Rennes…), en banlieue (Malakoff) ou à la campagne (Saint-Loup Lamairé).

Ce qu’il en est ressorti, c’est que l’accompagnement est souvent une question de posture, de moyens et de compréhension. Pour que ça fonctionne, les élus et les techniciens doivent s’acculturer et s’approprier la démarche des tiers-lieux, mieux comprendre les modèles économiques, les problématiques d’accès au foncier, jouer un rôle de facilitateur pour animer et créer des partenariats de confiance.

La première partie de cette journée d’échanges a permis de passer en revue ces différents cas de figure, exemples à l’appui et témoignages de binômes élus- agents publics ou responsables de tiers-lieux. Des ateliers thématiques (tiers-lieux et culture, tiers-lieux et santé, tiers-lieux et modèle alimentaire, tiers-lieux et insertion dans l’emploi…) ont permis d’approfondir durant l'après-midi, en petits comités, les échanges entre agents publics, élus locaux et responsables de tiers-lieux. Par exemple, l'atelier sur les tiers-lieux et la santé a été l'occasion de souligner l'intérêt croissant des hôpitaux et des établissements de santé en général pour les tiers-lieux. Il y a seulement 5% de tiers-lieux dédiés à la santé en France, ce qui représente moins d'une centaine de tiers-lieux, mais ils sont en plein essor. "Les médecins veulent sortir du système classique de l'hôpital, dans des espaces plus souples, favorisant un changement de relation entre soignants et patients", expliquent André Simonnet et Julia Gudefin, co-directeurs de Danaecare Lab, un tiers-lieu d’innovation dans la santé à Saint-Etienne. Ils accompagnent notamment les collectivités locales dans leur projet de création et de mise en place de tiers-lieux de santé (espaces aidants, labs...).

De nouvelles ressources pour se poser les bonnes questions et agir

Cette journée de recherche-action a aussi été l’occasion de diffuser un guide « Tiers-lieux et collectivités », publié par France Tiers-Lieux. Ce guide de 120 pages passe en revue les principales questions qu’on peut se poser en tant qu’acteur public lorsqu’on veut favoriser l’émergence et le développement de tiers-lieux sur son territoire.

Conçu comme un guide pratique, avec des fiches retours d’expériences, bonne pratiques et faux pas à éviter, il aborde 6 grandes questions : comment accompagner l’émergence des tiers-lieux ? Trouver un lieu, héberger pour faire grandir ; Quel rôle de la collectivité pour l’animation du tiers-lieu ? Comment soutenir les modèles économiques des tiers-lieux ? Comment formaliser les coopérations collectivités-tiers-lieux ? Quels leviers d’accompagnement et de financement ?

Un MOOC « Tiers-lieux et collectivités : faire ensemble », réalisé par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), sera disponible à partir de mi-avril 2024.

Il abordera 4 grandes thématiques : Qu’est-ce qu’un tiers-lieu ? Quels sont les liens entre tiers-lieux et action publique ? Comment faciliter l’émergence de tiers-lieux sur mon territoire ? Sur quelles ressources s’appuyer ? Des formations aux tiers-lieux viendront étoffer le catalogue de formations du CNFPT dans les mois qui viennent. Pour animer cette communauté des acteurs publics engagés par et pour les tiers-lieux (CAPE !), France-Tiers-Lieux réfléchit à d’autres ressources utiles : des webinaires sur des sujets techniques, des formations, des visites apprenantes, des rencontres nationales entre acteurs publics, des temps d’échanges entre pairs sur des problématiques communes, des ressources techniques et des outils (guides, fiches méthodologiques) ou encore des ressources inspirantes (portraits de tiers-lieux, récits).

En parallèle, France Tiers-Lieux a lancé, en partenariat avec les principales associations d'élus, le Baromètre des élus locaux et tiers-lieux, une enquête visant à explorer les perceptions des élus locaux sur les tiers-lieux.

Objectifs : analyser la manière dont les élus perçoivent les tiers-lieux, comprendre les modes d’intervention des collectivités territoriales et les conditions d'intégration des tiers-lieux dans les stratégies de développement local ; identifier les défis rencontrés par les élus ;  explorer les attentes des élus concernant les tiers-lieux en termes de ressources et d’accompagnement.

L'entrée principale de la Friche Belle de Mai à Marseille, véritable laboratoire d'expérimentation urbaine et sociétale, à deux pas de la gare Saint-Charles.

"Les tiers-lieux sont des espaces qui ouvrent une ligne de fuite à l'horizon, entre public et privé", explique Jules Desgoutte, l'un des pionniers des espaces intermédiaires, qui vient de coordonner un ouvrage collectif "Un abécédaire des friches. Laboratoires, fabriques, squats, espaces intermédiaires et tiers lieux culturels". Pour lui, cette communauté d'acteurs publics engagés va permettre de dynamiser ces tiers-lieux, "qui ne développent que très rarement des projets artistiques, contrairement aux lieux intermédiaires et indépendants le plus souvent initiés par et pour les artistes".

Cette communauté des acteurs publics engagés dans les tiers-lieux a prévu plusieurs rendez-vous locaux en 2024, à commencer par le réseau breton. France Tiers-Lieux donne quant à lui rendez-vous à tout le monde pour la deuxième édition de Faire Tiers-Lieux, la rencontre nationale des tiers-lieux, début octobre 2024, deux ans après la rencontre à Bliiida à Metz.