40 ans de la fonction publique : une loi fondatrice mais à moderniser

Colloque sur les 40 ans de la fonction publique territoriale
Le CNFPT a organisé, le 26 janvier dernier, un colloque en distanciel (plus de 450 personnes connectées) pour célébrer le 40ème anniversaire de la loi du 26 janvier 1984 ayant créé le statut de la fonction publique territoriale.
©CNFPT
Le 2 février 2024

La loi du 26 janvier 1984 créé le statut de la FPT en conférant à ses agents des devoirs et des droits protecteurs liés à leurs fonctions. Lors d’un colloque organisé par le CNFPT pour célébrer ses 40 ans, les acteurs continuent de le défendre pour sa garantie de la neutralité du service public mais reconnaissent des évolutions nécessaires pour le simplifier et l’assouplir. Sur le projet de loi de réforme de la fonction publique en préparation, ils lui préféreraient des mesures réglementaires rapides (grilles indiciaires, concours…). Tous refusent l’idée d’une rémunération au mérite.

La fonction publique territoriale (FPT) ne voit le jour qu’en 1984 dans la foulée des lois de décentralisation. Marquant sa reconnaissance, la loi du 26 janvier 1984 pose ainsi les dispositions statutaires relatives à cette nouvelle fonction publique. Au moment de son 40ème anniversaire, le Centre national de la FPT (CNFPT) a voulu marquer le coup en organisant, le 26 janvier dernier, un colloque en distanciel. « Essentiel, ce texte fondateur est intrinsèquement lié à la décentralisation, clame François Deluga, le président du CNFPT. La loi reconnaît la place et le rôle particulier des agents territoriaux dans la société en faveur de l’action publique ».

Aujourd’hui, la FPT ce sont 1,9 million d’agents, plus de 44 000 employeurs, 244 métiers et 76% d’agents de catégorie C dont la moitié dans la filière technique. « Ces agents sont en première ligne dans la délivrance des services quotidiens à la population et dans la gestion des crises. Avec les collectivités, ils portent 80% du service public dans notre pays », souligne-t-il. La loi du 26 janvier 1984 leur a conféré des devoirs comme des droits protecteurs liés à la nature même de leurs fonctions. « Le statut est une garantie de continuité, de probité et de stabilité », estime le président du CNFPT.

Un édifice de quatre grandes lois

« Au moment de l’adoption de la loi, j’étais assistant parlementaire d’un député de la majorité », se souvient-il, avec une pointe d’émotion. Pour replonger dans l’histoire, Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique entre 1981 et 1984, et ancien conseiller d’État, était l’invité exceptionnel du colloque du 26 janvier. Malgré ses 92 ans, le « père du statut » le défend avec toujours autant de passion et de fougue pour faire des agents territoriaux de « vrais fonctionnaires au service de l’intérêt général ». « J’avais été frappé dans mon enfance par le cantonnier de mon village breton se déclarant avec un peu de gêne assimilé fonctionnaire », se remémore-t-il.

« Il ne pouvait plus y avoir deux systèmes de fonction publique dans le pays, tous devaient être reconnus comme des fonctionnaires à part entière », martèle Anicet Le Pors. Résultat : la création d’un édifice de quatre grandes lois. Tout d’abord, le statut général de la fonction publique avec la loi du 13 juillet 1983 (droits et obligations des fonctionnaires, système de carrière, grille indiciaire commune) qui vise à concilier unité et diversité. Elle sera suivie d’une loi spécifique pour chacun des trois versants.

L’apport important du statut fait consensus. « C’est un cadre qui permet aux agents et aux employeurs territoriaux d’exercer leurs missions, estime Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF) et maire de Lampertheim (Bas-Rhin). Il garde toute sa force pour protéger et garantir la neutralité du service public ».

Système de la carrière

Sur le même registre, Christophe Couderc (Fédération des services publics de la CGT), président du Conseil national d’orientation (CNO) du CNFPT, considère que « le statut permet aux agents d’exercer leurs missions en dehors de toutes pressions pour un service public local de qualité partout sur le territoire ». Et d’affirmer que « ce statut, tant attaqué, protège avant tout les citoyens de l’arbitraire, du favoritisme et des passe-droits ».

Dans son témoignage, Anicet Le Pors insiste sur l’importance du choix fait en 1983 du système de la carrière. « Cette construction avec les principes d’égalité, d’indépendance et de responsabilité a été soutenue à l’unanimité des syndicats mais avec la réserve des élus craignant de voir rognées leurs responsabilités. Heureusement, les choses ont bien évolué depuis et j’en suis ravi », indique l’ancien ministre de la Fonction publique.

Christophe Couderc rappelle que « la séparation du grade et de l’emploi est au cœur du principe de la carrière, notamment à travers la mise en place de garanties statutaires assurant la préservation et la pérennité de l’emploi malgré les aléas de la vie des collectivités ».

« Désépaissir et assouplir le statut »

Trop rigide le statut ? « Faux, rétorque François Deluga, Quand on dit cela, c’est qu’on n’en veut pas ». Mais cette position n’empêche pas de reconnaître des évolutions nécessaires. Il plaide ainsi notamment pour revoir les concours (lire l’encadré) et « améliorer l’accès à la FPT pour qu’elle soit à la couleur du pays ». « Le statut n’est pas rigide mais structurant », ajoute Françoise Descamps-Crosnier, présidente du comité national du FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) en soulignant le besoin de modifier les modalités d’accès. Celle qui est aussi membre du CSFPT (Conseil supérieur de la FPT) et du CCFP (Conseil commun de la fonction publique) appelle à ouvrir la négociation sur plusieurs sujets : la modification du contenu des concours, les CDI (en avoir plus ou au contraire les intégrer ?), l’intégration ou non des contractuels, l’élargissement du dispositif du Pacte (parcours d'accès aux carrières de la fonction publique) aux catégories A et B…

« Le statut garde toute sa force pour protéger le service public et garantir sa neutralité, considère pour sa part Murielle Fabre. Mais face aux attentes des citoyens, des élus et des agents, il reste parfois contraignant ». Et d’appeler à « une vraie réforme et pas juste à quelques pansements ». « Il faut désépaissir et assouplir le statut pour l’adapter au contexte actuel et aux besoins des employeurs », plaide-t-elle, en évoquant le problème d’attractivité de la FPT. « Un statut qui ne bouge pas pour s’adapter risque à terme de mourir », reconnaît également le président du CNFPT.

Refus de la rémunération au mérite

La loi du 26 janvier 1984 a déjà connu pas moins de 50 modifications législatives dont la dernière date de 2021 avec la création du Code général de la fonction publique. Des révisions jugées « normales » par Anicet Le Pors pour s’adapter à la société même si « elles peuvent parfois être malveillantes comme la "loi Galland" du 13 juillet 1987 sur la FPT qui a remplacé le mot corps par le mot cadre ». Se voulant confiant dans l’avenir, l’ancien ministre estime que la FPT, « après avoir été le maillon faible de la fonction publique est devenue aujourd’hui son point fort en étant le lieu privilégié de la construction démocratique ».

Si les différents intervenants du colloque du CNFPT s’accordent pour souligner des « évolutions nécessaires », ils refusent tous l’idée d’une rémunération au mérite, remise sur le devant de la scène par le gouvernement ces dernières semaines. « En outre, elle existe déjà avec la CIA [complément indemnitaire annuel] », pointe François Deluga.

Le casse-tête des transitions professionnelles

La présidente du FIPHFP, Françoise Descamps-Crosnier, met en avant les besoins importants en matière de prévention face à l’augmentation des maladies professionnelles et des reconversions. « Il faut améliorer les politiques de prévention pour éviter les mobilités subies », affirme-t-elle en prônant plus de bilans de compétences pour les métiers pénibles, l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail ou le recours plus important au DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels).

« Les élus sont percutés par le sujet des reconversions professionnelles », constate le président du CNFPT. Et de citer l’exemple des Atsem connaissant des problèmes de TMS (troubles musculo-squelettiques) au-delà de 50 ans, « ce qui signifie des situations difficiles pour les agents et des coûts considérables pour les collectivités ». Même constat pour les agents sociaux. « Les transitions professionnelles constituent un sujet prioritaire pour le CNFPT qui propose des formations et des parcours qualifiants », insiste François Deluga.

Le président du CNO du CNFPT, Christophe Couderc, défend une transition professionnelle choisie avec la possibilité de changer de métier et de bénéficier d’un accompagnement. « La dernière réforme des retraites aggrave encore fortement la situation, dénonce-t-il. L’Etat doit prendre ce sujet à bras le corps et trouver les moyens nécessaires pour financer le fonds national de prévention de l’usure professionnelle ».

Question centrale de la rémunération

Autre point d’accord entre eux : la question centrale de la rémunération. « Compte tenu des difficultés financières des collectivités, il faut absolument leur redonner une autonomie financière et créer un nouveau système des finances locales », insiste le président du CNFPT. Un constat partagé par Murielle Fabre, regrettant que cette demande ne soit pas entendue. « Les collectivités qui s’en sortent sont les plus riches alors que les plus petites doivent supprimer des pans entiers de service public », fustige Christophe Couderc. Selon lui, « il n’y pas débat, il faut revaloriser le point d’indice et refondre les grilles indiciaires pour assurer une réelle reconnaissance salariale des qualifications ». Concernant les grilles, tous dénoncent leur tassement qui conduit de plus en plus d’agents à se retrouver payés au Smic ou très légèrement au-dessus. Un handicap croissant pour l’attractivité de la FPT.

« Même la mission d’Eric Woerth sur la décentralisation reconnaît que l’Etat doit donner plus de responsabilités et de moyens aux collectivités », avance Françoise Descamps-Crosnier. Des moyens supplémentaires également nécessaires, selon elle, pour améliorer les politiques en faveur de l’égalité professionnelle femmes/hommes et des personnes en situation de handicap. « La loi a déjà apporté des modifications pour améliorer l’égalité dans les emplois de direction mais le ruissellement automatique n’existe pas, affirme-t-elle. Il faut une égalité à tous les nouveaux, notamment via la GEPEC [gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences] ».

Peu d’attentes sur le projet de loi

Quelles attentes vis-à-vis du projet de loi de réforme de la fonction publique ? « Rien », répond sans ambages François Deluga. Au-delà du reproche de ne pas avoir été consulté sur le texte préparé par Stanislas Guerini et de ne toujours pas connaître ses grandes lignes, le président du CNFPT estime que « la majorité des dispositions que nous demandons relèvent du domaine réglementaire et ne nécessitent donc pas de loi, exceptées deux ou trois mesures comme la transposition de l’accord de juillet 2023 sur la PSC [protection sociale complémentaire] dans la FPT ou la création d’un fonds national sur l’usure professionnelle ».

Sur la préparation du projet de loi, qui sera finalement présenté au second semestre a annoncé Gabriel Attal, le nouveau Premier ministre, Murielle Fabre rappelle le « travail conséquent » déjà fourni par la coordination des employeurs territoriaux et les propositions remises alors au ministre Stanislas Guerini. « Il faut dans la FPT un pilotage faisant confiance aux employeurs en les responsabilisant davantage, notamment pour faciliter les avancements et les mobilités professionnelles », argumente la secrétaire générale de l’AMF.

Enfin, sur l’idée d’instituer des recrutements directs en CDI ou de supprimer le système en catégories A, B et C, la réponse de François Deluga est nette et clair : « Il en est hors de question ! ».

Une nécessaire réforme des concours

« Le concours est un des principes constitutifs du statut », défend Christophe Couderc, le président du CNO du CNFPT, en dénonçant sa remise en cause fréquente. « Il n’est en rien responsable du manque d’attractivité dont souffre la FPT. La raison est bien la faiblesse des rémunérations, les conditions de travail et le sens donné au travail », estime-t-il tout en concédant que « l’organisation et le contenu des épreuves doivent correspondre aux évolutions de la société ».

Prônant l’affirmation du rôle du maire employeur, permettant « des réponses opérationnelles », Murielle Fabre plaide pour « agir sur toutes les voies d’accès sans les mettre forcément en concurrence ». Et de détailler certaines propositions de l’AMF : « Une réforme des concours est légitime et passe par une modernisation des épreuves mais aussi par le développement du 3ème concours ou l’accès sur titre. Il ne faut pas non plus négliger le levier de l’apprentissage. Le recrutement des contractuels doit être possible quand cela est nécessaire pour pallier aux difficultés de recrutement comme pour les secrétaires généraux de mairie ».

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