Comment insuffler l’innovation managériale dans les organisations publiques ?

Innovation managériale Atraksis
Le changement nécessité une volonté, un pilote, une vision construite grâce à l’intelligence collective, des ressources, des moyens et un plan d’action. Sinon cela reste un vœu pieu.
©Atraksis
Le 28 janvier 2022

Management participatif, approche multiculturelle, intelligence émotionnelle, coach-management, pilotage par le sens ou encore approche par la pédagogie « blanche »… Passage en revue des différentes formes d’innovation managériale évoquées à l’occasion d’une journée pas comme les autres, organisée par Atraksis, une association de sapeurs-pompiers qui réfléchit aux secours de demain.

"Développement managérial au sein des SDIS : à la découverte de pratiques inspirantes et durables", c'est le titre de la journée proposée par l'association Atraksis le 30 novembre 2021 dans le cadre du mois de l'innovation publique. Objectif : découvrir et intégrer des pratiques managériales innovantes et durables à destination des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), rythmé en trois temps (Inspiration, échange & partage et approfondissement). Avec pour ambition de casser les codes et de permettre aux SDIS de se lancer dans l'innovation managériale alors que ces structures sont plutôt réputées pour leur organisation verticale et leur management autoritaire...

Pauline Lavagne d’Ortigue, responsable de mission innovation à la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP) introduit la séance en rappelant que l’innovation managériale représente l’un des plus grands défis. Selon elle, ce n’est pas un hasard, si la Marine, la Gendarmerie et les Pompiers s’en saisissent, trois corps habitués à travailler en équipe, dans l’urgence et à s’interroger sur la composante humaine.

Pour améliorer l’attractivité des services publics, la transformation des cultures de travail constitue une des réponses, explique Pauline Lavagne d’Ortigue.

Les enseignements d’un tour du monde du management

Cassandre Verriest et Mathieu Vandermersch ont entrepris, en 2018, dans le cadre de leurs études à l’EM Lyon, un tour du monde des initiatives inspirantes en matière de management. Pendant six mois, ils se sont rendus dans 13 pays pour visiter 60 entreprises et organisations de tailles et de secteurs différents. Leurs points communs : bousculer les codes du management, innover dans leurs pratiques, favoriser l’épanouissement de leurs collaborateurs. En revanche, à l’époque, le duo baptisé « équipe de choc », n’a encore aucune expérience professionnelle du management. Le premier exemple qu’ils citent provient des Pays-Bas de l’entreprise Buurtzorg, spécialiste du soin à la personne à domicile. Créé en 2006, elle compte aujourd’hui 15 000 infirmières qui assurent 70% des soins à destination des personnes en perte d’autonomie aux Pays-Bas. À l’origine de ce succès, le constat de son fondateur, Jos de Blok : les infirmières travaillent sous pression et n’ont que très peu de temps à consacrer à leurs patients. Il faut impérativement les laisser s’organiser, remettre la passion du travail au cœur du métier et simplifier les process. Pour cela, il décide de proposer une organisation par zones géographiques. Les équipes de maximum 12 personnes s’auto-gèrent et s’auto-gouvernent. Elles fonctionnent comme des mini-entreprises, s’occupent d’un budget pour l’événementiel, la communication, et surtout chaque praticienne consacre le temps qu’elle souhaite à ses patients. Ainsi elles redeviennent actrices de leur métier. Autre avantage de ce système : la baisse de 30% du nombre d’admissions aux urgences et de 40% des heures prescrites par les médecins. Et donc un coût réduit pour le système de santé.

À Bogota, en Colombie, le laboratoire pharmaceutique Basic Farm, affiche les mots « amour, intégrité et honnêteté » sur son mur d’entrée, une manière de montrer d’emblée que le collaborateur a le droit d’être lui-même en entreprise. Sur un autre mur semblable à une ruche avec des alvéoles, les collaborateurs ayant accompli leur projet de l’année, « el proyecto de vida » qu’il soit professionnel ou personnel, le notent. L’objectif : permettre aux collaborateurs de parler de leurs projets, encourager le sentiment d’appartenance à un groupe et favoriser le coaching entre pairs.

En France, la Camif, site de e-commerce vendant des meubles et objets de décoration, a été rachetée par un entrepreneur souhaitant insuffler une nouvelle dynamique entrepreneuriale, restaurer le lien et l’intelligence collective. Parmi les actions menées, il a demandé à une artiste de matérialiser par des traits roses au sol les interactions entre les collaborateurs. Le sol est désormais couvert de ces lignes, ce qui encourage d’autant plus les interactions.

La multiculturalité, comme fil rouge de l’innovation managériale

Ute de Greslan-Blouin, directrice du pole Ressources et Transformation de la Banque Populaire Grand Ouest, d’origine allemande raconte que la multiculturalité représente un fil rouge de sa carrière. Expatriée à Nouméa, elle découvre le métier de RH avec l’Union syndicale des travailleurs kanaks et exploités. Elle est intervenue également en Afrique pendant plusieurs années. En 2017, elle participe à la fusion de 4 banques aux cultures différentes dans l’ouest de la France, avec le passage d’une structure de 1 000 à 3 000 personnes. Pour réussir cette fusion, le groupe souhaite créer une identité culturelle nouvelle et commune et invite l’ensemble des salariés à devenir acteurs, à participer à des projets ne concernant pas leur métier. L’idée étant de sortir d’une organisation pyramidale et cloisonnée.

Ute de Greslan-Blouin raconte qu’elle a trouvé l’inspiration au Maroc, à l’office des phosphates qui a expérimenté l’innovation managériale par le management participatif, l’intrapreneuriat et des learning expéditions.

Cela se matérialise par la création de la structure Dynamigo, en décembre 2018, une invitation aux salariés à prendre du temps pour participer à des chantiers, sans méthode, ni délai imposés. Seuls impératifs : les groupes doivent consulter les directions métiers pour proposer des projets robustes, qui doivent ensuite être validés en Comité exécutif. En juin 2020, l’entreprise officialise un quota de 2 jours par mois pour tous les salariés volontaires, ils sont plus de 700.

Face à la suppression de plus de 300 postes, aux changements de postes et au besoin de produire, les managers se trouvent face à des injonctions contradictoires. Pour y répondre, la banque forme des managers de proximité ainsi que l’ensemble des managers du CE et du comité de direction. Le parcours de 6 mois porte, entre autres sur la connaissance et l’écoute des émotions. On parie sur d’avantage d’authenticité pour plus de performance. Plus de 300 managers sont formés par des managers en interne, eux-même supervisés, ce qui renforce les liens entre les salariés. 

En 2020, la banque a lancé le dispositif MEMO, de partage en équipe des émotions ressenties. Ainsi ce sont 2500 salariés qui se sont exprimés lors des 324 sessions d’écoute qui se sont déroulées sur 6 semaines. Ces séances ont mis en relief les émotions au sein des équipes, et notamment la scission entre le front et le back office pendant les confinements.

Selon Ute de Greslan-Blouin, la réussite de cette transformation sociale et managériale repose sur une vision humaniste engagée, un niveau de confiance élevée, une exigence partagée, une intention centrée sur le collaborateur et le client. Pour que cela soit pérenne, le système doit s’adapter en permanence, il faut être vigilant, savoir écouter les signes, les capter et proposer des solutions.

Le retour d’expérience d’un coach-manager

Philippe Bodino, contrôleur général de sapeur-pompier, a commencé sa carrière en tant qu’instituteur d’une classe de 27 élèves et 4 niveaux, en montagne, dans l’arrière-pays-niçois. Dans ces années post-1968 d’innovation pédagogique, il adapte les différentes méthodes aux situations qu’il rencontre et fait sienne la maxime d’Aristophane « former ce n’est pas remplir un vase mais allumer un feu ».

Lorsqu’il devient sapeur-pompier, le management directif et autoritaire est la règle, renforcé par la culture du corps en tenue. De par son expérience, Philippe Bodino interroge cette manière d’être un chef et un bon chef. S’il fait partie de la chaine d’obéissance, l’officier a un office ce qui signifie qu’il se donne lui-même une mission. Le premier moteur de l’innovation, c’est la combinaison entre ce que l’on attend de l’officier et ce que l’officier attend de lui. Cela se rapproche du principe des « dialogiques » d’Edgar Morin, à savoir relier des logiques sans que la dualité se perde dans cette unité. Deuxième principe : le management directif n’est pas la seule et unique voie. Au contraire souvent c’est la moins performante. Troisième axe : la sincérité, l’authenticité sont essentiels.

Le contrôleur général de sapeur-pompier participe à la fusion entre la défense et la sécurité civile, il faut alors faire travailler ensemble des pompiers, des responsables administratifs, des militaires en développant une culture commune. Il applique sa définition personnelle du management consistant à mettre en adéquation la raison d’être de l’organisation et les motivations individuelles de ses membres en les faisant gagner en compétence et motivation. Un management centré à la fois sur les taches, les missions, les individus et les groupes.

En 2013, Philippe Bodino suit une formation au coaching qui lui permet de poser un cadre théorique sur sa pratique. L’innovation managériale repose, selon lui, sur 8 fondamentaux : une vision partagée de la raison d’être, des ambitions, des valeurs de l’entreprise; un socle culturel minimal commun; un management situationnel se basant sur le triptyque: expert, manager, leader; un management du chaos (face à l’incertitude, deux voies existent, manager par le sens ou par la transcendance); l’autonomie; l’ouverture et la confiance; la  connaissance de soi et de l’humain (un cadre qui a peu d’estime de soi ne peut être un bon cadre); la capacité à agir de tous.

Le chef doit créer les conditions d’émergence de l’innovation. Cela nécessite du courage, de l’ouverture, de la confiance, de prendre le risque d’échouer et d’accepter l’erreur. Et de se poser 3 questions : fait-on les bonnes choses ? les fait-on bien ? qu’aurait-on pu faire que l’on n’a pas fait ?

La connaissance de soi comme vecteur de changement

Sylvie Carrier et Philippe Coudol de l’institut Maieutis témoignent de leurs parcours respectifs, singuliers, mais tous deux basés sur la connaissance de soi. La philosophie de l’Institut, créé par Jérôme Curnier, pourrait se résumer ainsi : on manage et on accompagne avec ce que l’on est, son mode opératoire, son vécu, sa structure de personnalité.

Sylvie revient sur son parcours et sa manière d’aborder le monde toujours par l’observation et la pensée, depuis son adolescence. Dans les années quatre-vingt-dix, après des études de philosophie, elle enseigne avec cette volonté de transmettre la connaissance, ce qui doit permettre à ses élèves de trouver une liberté, la leur. Au début des années deux-mille, elle devient maman, et vit un bouleversement à la fois professionnel et personnel. Elle entreprend une seconde carrière au ministère de l’Intérieur et devient manager. Face à tous ces questionnements, elle aurait aimé bénéficier d’un accompagnement. En 2010, en quête de sens et d’alignement, elle rejoint l’institut Maieutis, convaincue que l’innovation « personnelle » permet d’incarner le changement auprès des dirigeants. 

Philippe rêve dans les années quatre-vingt d’un monde ouvert et idéaliste. Il faits ses débuts dans la communication et la publicité. Mu par un désir de liberté, il crée deux entreprises dont une des premières startups consacrées à la stratégie digitale. En 2001 l’entreprise dépose le bilan après le retrait des actionnaires, elle est reprise et Philippe devient consultant. Mais il a une mauvaise image du métier de coach. En 2010, il entreprend un travail thérapeutique et croise plusieurs coachs. Grâce à la formation de Vincent Lenhardt, il découvre ce qui lui a tant manqué en tant que manager.

Les accompagnements proposés par l’institut reposent sur un certain nombre de principes : l’intelligence émotionnelle ; le pilotage par le sens ; l’adoption d’une pédagogie « blanche » (fermeté sur le comportement, souplesse sur les émotions) en opposition à une pédagogie « noire » (répressive); l’importance d’être soi plutôt que de se conformer à un modèle.

Décryptage théorique de la journée

Après un temps d’intelligence collective autour de 3 valeurs, le sens, la transformation et le temps, les participants se retrouvent pour un décryptage théorique des apports de la journée.

Le changement nécessité une volonté, un pilote, une vision construite grâce à l’intelligence collective, des ressources, des moyens et un plan d’action. Sinon cela reste un voeu pieu. Trois dimensions coexistent dans ce processus : émotionnelle, cognitive et l’envie de faire, d’agir. Chaque personne a sa porte d’entrée préférentielle.

Accompagner une équipe cela consiste à renforcer l’adhésion autour de son responsable et à favoriser la croissance du groupe. Le manager adopte une posture différente (communication descendante ou bi-directionnelle) selon le temps dont il dispose.  Quand l'équipe est performante, différents membres et selon les projets, peuvent prendre le leadership, tour à tour.

Ce management peut se résumer selon l’acronyme VELOCE : valeurs, expérience commune, langage partagé, objectifs partagés, compétences complémentaires et échanges conviviaux.

La transformation nécessite de mobiliser trois polarités : les valeurs (ce qui est important pour moi et pour le groupe), les représentations (histoire de mon équipe), les croyances. Le manager doit adopter une économie saine des signes de reconnaissance, à savoir faire des retours positifs sur le travail de l’équipe. Sur les erreurs, les retours circonstanciés et précis sont utiles et nécessaires, en revanche, il convient de bannir les retours négatifs inconditionnels.

Enfin, dans une équipe chacun a besoin de se sentir inclus, compétent et en confiance. 

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