Revue
Cultures publiquesAlain Bouvier : « L’école publique est en sursis »
Ancien recteur, professeur émérite de l’université de Poitiers et professeur associé à l’université de Sherbrooke, Alain Bouvier vient de publier Propos iconoclastes sur le système éducatif français, dans lequel il aborde de front les treize questions taboues et se livre à une radioscopie de l’action du ministre de l’Éducation nationale depuis sa nomination. L'auteur est aussi rédacteur en chef de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (RIES) et membre du comité d’orientation de la revue Horizons publics.
Quel est l’objectif de votre ouvrage ?
J’ai eu le besoin d’exprimer une colère ancienne et très forte concernant notre système éducatif auquel je dois tout, mais qui m’inspire des doutes et de très grandes inquiétudes aujourd’hui. L’école publique est en sursis : les classes les plus favorisées font autrement déjà et la population la plus démunie n’attend plus rien de l’école. Il n’y a plus que la classe moyenne qui a encore des espoirs.
Comment expliquer un tel échec du système éducatif français ?
Je vois deux causes principales. La première, c’est l’hypocrisie généralisée de chaque partie prenante du système éducatif qui ne pense qu’à défendre ses petits intérêts, les élèves sont le dernier souci. Par exemple, modifier brutalement les rythmes scolaires n’est pas aller dans l’intérêt des élèves, mais plutôt des adultes.
Deuxième raison : notre système éducatif est dans les mains d’une double bureaucratie : une bureaucratie d’État (ministère, rectorats, inspection académique, etc.) et une bureaucratie syndicale (SNES, SNESUP-FSU, etc.) qui fonctionne selon le modèle de « la bureaucratie wébérienne » dans laquelle les usagers n’ont aucune importance.
Les deux bureaucraties agissent dans une complicité incroyable. Cela perdure depuis plus de quarante ans. Ancien syndicaliste beaucoup plus tard recteur, j’ai vu que tout se décidait dans les couloirs pendant les suspensions de séance. L’Éducation nationale devrait s’inspirer du secteur de la santé qui a profondément évolué ces dernières années avec un rapport nouveau aux patients, une meilleure circulation des informations entre les professionnels de santé, des modes de fonctionnement et des organisations apprenantes. Les CHU sont des lieux intéressants car ils regroupent en un seul lieu la recherche, la formation initiale et les services patients.
Comment réformer le système éducatif français dans ces conditions ? Quelle est la place de l’innovation ?
Le point d’espoir dans les systèmes les plus contraints c’est que les acteurs sont toujours arrivés à s’affranchir de certaines règles et à faire passer des messages. Dans les systèmes très contraignants, les innovateurs arrivent à se construire des espaces de liberté à condition d’être discrets. Cependant, je ne crois plus trop à la tache d’huile de l’innovation qui se répandrait dans tout le système.
Je pense empiriquement et au doigt levé que les groupes d’innovateurs sur ces 40 dernières années n’ont jamais dépassé plus de 15 % des effectifs, s’ils deviennent trop visibles ou trop voyants, la bureaucratie les recadre. L’innovation est possible mais exige du courage et de l’intelligence sociale.
Bouvier A., Propos iconoclastes sur le système éducatif français, 2019, Berger-Levrault, Au fil du débat – Essai, 250 pages, 2019, 19 € TTC