Revue
Grand entretienFrédéric Gilli : «Nous avons toutes les cartes en main pour préparer la France de 2050»
Professeur à Sciences Po, cofondateur de la revue Métropolitiques1 et associé de l’agence Grand Public, Frédéric Gilli est statisticien-économiste et docteur en économie. Il vient de publier, avec les géographes Aurélien Delpirou et Martin Vanier, un atlas prospectif La France en perspectives. Imaginer 20502. Cet ouvrage est une invitation à se projeter dans les vingt-cinq prochaines années pour anticiper les nouveaux enjeux et équilibres auxquels la France sera confrontée. Cartes et graphiques à l’appui, et grâce à la richesse des données, les auteurs brossent le portrait de la France en 2050 (démographie, santé, agriculture, logement, mobilité, services publics, inégalités, etc.). Un outil et une boussole précieux pour les décideurs publics qui doivent faire évoluer nos politiques publiques dans les années à venir.
La première partie de l’ouvrage est consacrée aux grandes tendances planétaires des prochaines décennies (« Dans quels mondes vivrons-nous ? »). L’évolution du climat, les progrès des intelligences artificielles (IA) et de la médecine, les grandes bascules démographiques et économiques annoncent des recompositions d’échelle globale. Est-ce que 2050 marquera la fin de la domination occidentale ? L’ouvrage est ensuite organisé autour de trois grandes questions : « Qui sommes-nous ? », « À quoi servons-nous ? » et « Où vivons-nous ? ». La dernière partie de l’ouvrage explore plus précisément les leviers dont nous disposons et les conditions pour s’en saisir. Elle s’interroge sur le devenir des démocraties et le rôle que pourront y jouer les jeunes d’aujourd’hui et de demain. D’ici 2050, nos institutions seront-elles à la hauteur ?
BIO EXPRESS
2000-2004
Responsable du pôle « Bassin parisien » à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) puis de la politique de la ville à la direction générale du trésor et de la politique économique (DGTPE).
2004
Soutenance de sa thèse Choix de localisation des entreprises et périurbanisation des emplois.
2007-2010
Directeur délégué de la chaire Ville à l’Institut d’études politiques de Paris et lancement de la revue en ligne Métropolitiques.
2012
Prend la direction, avec Laurent Sablic, de l’agence Campana-Eleb-Sablic (rebaptisée « Grand Public » en 2017), qui organise des démarches démocratiques dans les entreprises et les territoires en donnant massivement la parole aux habitants ou aux salariés via des reportages, des rencontres et des actions de concertation.
2014
Publie Grand Paris. L’émergence d’une métropole (Les Presses de Sciences Po).
2022
Publie La promesse démocratique. Place aux citoyens ! (Armand Colin) et, avec Aurélien Delpirou, 50 cartes à voir avant d’aller voter (Éditions Autrement).
Qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer un atlas sur la France en 2050 ?
Le débat public est inondé d’articles et de livres sur le déclin programmé de la France, assortis d’une vision catastrophiste ou cataclysmique de l’avenir. On parle de la « France d’après », comme si nous allions prendre un mur et que nous n’y pouvions rien : nous serons submergés par les flots, nous allons décliner économiquement, notre socle culturel sera remplacé et notre modèle social va s’effondrer… Ce fatalisme est démocratiquement dévastateur. Il l’est d’autant plus qu’il s’accompagne de l’idée que, face à tout cela, il n’y a pas d’alternative aux solutions proposées par les experts.
En réalité, personne ne sait dire aujourd’hui ce que sera 2050, parce que beaucoup de chemins sont encore ouverts et que des choix importants sont entre nos mains. Les Françaises et les Français sentent confusément ces opportunités et qu’ils ne s’expliquent pas l’écart qu’il y a entre ce qu’ils vivent ou voient et ce qu’on leur en dit dans les médias ou les programmes politiques. Je le vois bien, au quotidien, dans le cadre de mon activité au sein de l’agence Grand Public. Ce décalage est, lui aussi, dévastateur pour notre démocratie.
À travers cet atlas, nous avons voulu déconstruire la vision apocalyptique largement répandue dans les médias main-stream, non pour dire « tout va bien se passer », mais pour mettre à plat les enjeux et apprécier ce qui est entre nos mains.
L’avenir est, pour partie, déjà là (on ne reconstruira pas toutes nos villes, nos villages, ni nos infrastructures dans les vingt-cinq prochaines années) et pour partie largement entre nos mains… Surtout, les décideurs, les salariés et les citoyens, qui feront le monde d’ici 2050, sont déjà nés et, pour la plupart, déjà formés : c’est nous et nos enfants.
Pourriez-vous tout d’abord revenir sur votre méthodologie et vos sources pour imaginer cette France en 2050 ?
Pour mener ce travail de fond, nous sommes allés chercher des chiffres partout, jusque dans les annexes des rapports de recherche et nous en avons produit d’autres, complètement inédits. Notre première surprise a été de réaliser que ce travail documentaire n’était pas déjà en grande partie réalisé : nous avons été stupéfaits par le niveau d’impréparation collectif dans lequel nous nous trouvons. Sur certaines données clés, comme le futur de l’industrie et les besoins de main-d’œuvre, ou comme le recyclage et les tensions sur les ressources, il n’y a pas de cadre stratégique chiffré à vingt ans pour le pays. Sur le reste, des données statistiques existent sur beaucoup de sujets spécifiques, mais elles ne sont pas consolidées de façon transversale pour contribuer à une vision de ce que pourrait être la France dans vingt-cinq ans. Les travaux les plus riches et les plus solides sont issus des prévisions climatiques (travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC] et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie [Ademe]) et leurs prolongements), notamment sur les enjeux énergétiques (rapport du réseau de transport d’électricité [RTE], scénarios négaWatt, The Shift Project, etc.). Il y a également les perspectives démographiques (les habituelles projections de l’Insee et les scénarios des Nations unies).
Ensuite, en cherchant bien, les données existent, mais, à l’image de nos administrations fonctionnant trop souvent en silos, il y a très peu de réflexions croisées ou de mises en perspectives. Ainsi, en matière économique, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou France Stratégie ont esquissé des trajectoires pour les économies nationales, mais sans vraiment approfondir leurs traductions sectorielles ou géographiques au-delà de quelques exemples…
Sur certaines données clés, comme le futur de l’industrie et les besoins de main-d’oeuvre, ou comme le recyclage et les tensions sur les ressources, il n’y a pas de cadre stratégique chiffré à vingt ans pour le pays.
C’est cette toile de fond que nous avons essayé de tisser dans cet ouvrage. Nous avons donc réuniles données statistiques mises à disposition par les institutions publiques et privées3 et, plus rarement, sur des résultats de sondages. Nous avons régulièrement complété des données manquantes par des calculs inédits sans pour autant nous risquer à des extrapolations locales ou sectorielles trop aléatoires. Encore une fois, notre objectif n’était pas de trouver ce que sera la France en 2050 à partir de prospectives expertes sectorielles – objectif illusoire – mais plutôt de mettre « en perspective » les trajectoires possibles d’évolution du pays, en assumant leurs incertitudes et leurs contradictions et, surtout, en mettant en exergue les choix et les marges de manœuvre qui s’offrent à nous.
À titre d’exemple, nous nous sommes intéressés aux mutations de notre modèle agricole en lien avec les évolutions du climat et de la démographie et l’économie nationales. Nous avons rassemblé des données existantes dans une vingtaine de rapports de l’INRAE, de l’Ademe ou de la Commission européenne. La hausse des températures, les sécheresses prononcées vont condamner de larges pans de l’agriculture telle que nous la connaissons aujourd’hui.
La carte « Agriculture, les goûts et les paysages de demain » 4 montre les déplacements de cultures attendus (disparition du maïs et du tournesol dans le sud-ouest et migration vers le nord et l’est, remplacement de l’arboriculture dans la vallée du Rhône ou encore migration des cépages vers le nord) et de nouvelles pratiques (développement d’une agriculture urbaine de proximité autour des métropoles, apparition de nouvelles variétés plus méridionales, voire tropicales, etc.). En parallèle, une nouvelle génération d’agricultrices et agriculteurs va prendre les commandes avec de nouvelles attentes sociales qui vont engager une mutation accélérée des exploitations (nouveaux modèles économiques, nouvelles exigences sanitaires ou environnementales, etc.). D’une certaine manière, les scientifiques ont déjà anticipé tout cela, les données sont là et les choix sont ouverts… Ils ne sont simplement pas encore dans le débat politique qui, sur ces questions, est extrêmement polarisé. Ces enjeux sont décisifs pour l’avenir de notre agriculture et, si nous faisons les choix suffisamment tôt en accompagnant ces évolutions, il y aura le temps de préparer nos sols, nos cultures et nos exploitations. Mais, sur ce domaine comme sur bien d’autres, il y a trop souvent une absence de recul dans les choix politiques et dans le débat public. L’objectif de cet atlas est de contribuer au débat démocratique pour inscrire nos politiques publiques d’une vision collective du long terme.
Cet atlas de la France en 2050 est construit autour de plusieurs grandes questions : dans quels mondes vivrons-nous ? Qui serons-nous ? À quoi servirons-nous ? Où vivrons-nous ? Que pourrons-nous ? Pourriez-vous revenir sur cette articulation et sur les grands enjeux que vous avez identifiés pour 2050 ?
Les élections du printemps 2024 l’ont montré : le pays est en grande partie désemparé faute de cadres politiques permettant à chacun de se projeter sereinement dans sa vie et d’imaginer l’avenir de ses enfants et de son pays. Ce déficit d’imaginaire et d’utopie conduit au renfermement sur soi. Nous n’avons pas adopté des entrées thématiques et nous ne visons pas des scénarios. Nous avons souhaité aborder la France de 2050 avec ces grandes questions anthropologiques afin de contribuer au débat sur le rôle et la place de chacun dans le monde de demain.
Dans une période où les grandes utopies sont à réécrire, l’enjeu est de partager des repères pour permettre aux décideurs, aux citoyens, aux journalistes de s’en emparer et construire collectivement les cadres pour écrire la suite.
La prospective ne doit pas être réservée aux experts, elle doit être plus ouverte et appropriable pour construire collectivement la France qui vient.
On a trop facilement tendance à considérer que, comme les problèmes sont « trop compliqués », la recherche des solutions est automatiquement réservée aux « sachants » et aux « experts », ceux doués d’une « ingénierie ». C’est absurde : ils sont très bons pour trouver des solutions, mais l’enjeu actuel est de savoir quelles sont les bonnes questions auxquelles répondre. Il n’y a aucune raison pour que ce débat sur les valeurs et les questions prioritaires échappe aux citoyens.
« Qui sommes-nous ? », « À quoi servons-nous ? », et « Où vivons-nous ? ». Ces interrogations sont existentielles. De fait, ce sont ces questions que le pays s’est posées pendant les mouvements des Gilets jaunes ou la crise du covid-19. Pourtant, elles sont dans une large mesure laissées sans réponse par les pouvoirs publics qui se concentrent sur des dimensions moins « métaphysiques ». Les décideurs sont accaparés par les urgences du court terme et, sous prétexte de « s’occuper des choses sérieuses » (pour paraphraser Le petit prince), ils finissent par rater l’essentiel… In fine, cela se retrouve dans les urnes.
La question « Qui serons-nous ? » interroge le rapport à soi, à l’identité, au corps et à l’âme, mais aussi à la famille, aux amis et plus largement aux autres et au monde vivant. En 2050, serons-nous plus connectés ou plus seuls ?
La question « Que ferons-nous ? » s’adosse aux multiples doutes suscités par le tourbillon d’innovations en cours et à venir autour de l’IA dans un contexte géopolitique bousculé par l’émergence de nouveaux géants, les mutations de nos modèles énergétiques et la course aux ressources. Entre les recompositions du travail, la bifurcation de nos systèmes productifs et la recomposition de nos régimes sociaux, c’est le sens même de la course effrénée dans laquelle nous sommes tous emportés qui est mis en question. Est-ce qu’en 2050, l’argent fera toujours le bonheur ?
La question « Où vivrons-nous ? » renvoie aux nouvelles géographies sociales, qui émergent. Elles s’affranchissent des catégories traditionnelles (ville/campagne, proche/loin, centre/périphérie) via des façons inédites d’articuler ancrages et mobilités physiques et numériques. En 2050, habiterons-nous une France des proximités ou du grand large ?
L’une des originalités de cet atlas prospectif est aussi de mieux prendre en compte la dimension sociétale des évolutions à l’échelle des territoires. Les mutations démographiques majeures qui impacteront la France en 2050 seront à différencier en fonction des régions.
Un bon tiers des départements sera en déclin depuis, plus ou moins, longtemps – une vingtaine le sont déjà –, une dizaine restera en croissance (plutôt les métropoles), le reste du pays sera pris dans un entre-deux avec partout de forts écarts internes à chaque département. Le vieillissement de la population ne sera pas non plus homogène partout, avec des rééquilibrages entre départements et à l’intérieur de chaque département5 et un potentiel problème de « papy crash » sur les marchés immobiliers. La Creuse, la Dordogne ou le Lot devraient connaître un vieillissement accéléré (avec plus de trois « vieux » pour un « jeune », contre deux pour un aujourd’hui). Les départements franciliens, le Rhône (Lyon), le Nord (Lille), ou la Haute-Garonne (Toulouse) resteront relativement jeunes avec, toutefois, un vieillissement accéléré des communes périurbaines. Dans ces métropoles, la part des personnes âgées doublera par rapport à celle des moins de 20 ans, mais au final, en 2050, les équilibres seront similaires à ceux que l’on connaît aujourd’hui dans la plupart du pays.
Il faudra aussi tenir compte des évolutions démographiques au niveau mondial. Il est régulièrement question de 1,5 milliard d’humains en plus sur la planète, mais l’essentiel de cette population supplémentaire sera concentré en Afrique subsaharienne et dans le monde indien. Cela signifie que l’on assistera à de nouvelles bascules géopolitiques qui engageront la transformation de territoires et de pays entiers6 avec des conséquences majeures pour la France. Ces évolutions supposent en effet que nous soyons capables de regarder sereinement notre propre histoire et la diversité de notre population. Une des priorités pour le pays est ainsi de redéfinir qui nous sommes devenus et ce que l’on veut faire ensemble demain… faute de quoi nous réagirons à des défis nouveaux avec des grilles d’action et des référentiels du passé.
Quelles sont les cartes qui vous ont demandé le plus de travail dans cet atlas ? Pourriez-vous revenir sur une ou deux cartes majeures qui vous semblent incontournables à avoir en tête pour tout décideur public ?
Les cartes et plus largement tout le travail infographique mené avec les trois cartographes qui ont œuvré sur cet atlas ont demandé un effort de tri et de choix de données à chaque fois différent. De plus, pour chaque planche, nous avons fait l’effort d’avoir au moins une carte et une donnée au-delà de 2030 avec comme exigence que ces données dialoguent naturellement entre elles par la diversité des messages qu’elles portent. Au vu de l’ampleur des informations réunies, les cartes sur le nouveau contexte mondial ont chacune nécessité un effort de synthèse considérable. Les planches sur la vie sociale dans vingt-cinq ans ont été extrêmement difficiles à documenter. Un peu plus loin dans l’atlas, la carte sur l’agriculture déjà mentionnée, « Agriculture, les goûts et les paysages de demain » 7, a demandé un travail de collecte pointilliste pour obtenir une vision complètement inédite.
La carte intitulée « Infrastructures clés : la révolution silencieuse » 8 a également demandé un important travail en termes de composition parce qu’elle représente au même endroit les infrastructures, aériennes, ferroviaires, routières, maritimes, qui répondent à la vision que l’on a aujourd’hui des besoins et que l’on y a rajouté les enjeux infrastructurels clés pour 2050 (énergie, information, etc.). Dans les trois prochaines décennies, les investissements les plus lourds se concentreront sur des enjeux souvent invisibles : l’entretien du réseau ferroviaire existant (en France, l’âge moyen des voies est de 29 ans, et jusqu’à 37 ans pour les réseaux locaux) et les nouvelles infrastructures stratégiques (serveurs, datacenter, points d’échange Internet, nouvelles centrales nucléaires, parcs d’éoliennes géantes en haute mer, convois de fret ferroviaire circulant pendant la nuit) ne changent pas les paysages ! Nous avons également fait l’effort, le plus souvent possible, d’inscrire le travail dans une perspective européenne : si le réseau TGV devrait encore être étendu vers le sud-ouest et vers Nice, cela ne prend véritablement de sens qu’en intégrant dans la carte les réseaux de l’Italie et l’Espagne (pour le Lyon-Turin ou le Toulouse-Barcelone) ou les réseaux de fret du bassin rhénan (pour le canal Seine-Nord).
Depuis cinquante ans, nous vivons dans un système démographique où la population nationale migre vers le sud et vers l’ouest. Ce ne sera peut-être plus le cas à l’avenir...
Cette carte doit d’ailleurs se lire en lien avec d’autres cartes comme celle sur les flux transfrontaliers9 : la région Grand Est est la première en Europe pour le nombre de transfrontaliers et la France est de plus en plus en train de s’arrimer à l’arc rhénan. Cette remarque réinterroge les équilibres de la géographie nationale d’ici 2050 : depuis cinquante ans, nous vivons dans un système démographique où la population nationale migre vers le sud et vers l’ouest. Toutefois, ce n’était pas le cas il y a un siècle et ce ne sera peut-être plus le cas à l’avenir. Peut-être que la côte méditerranéenne va devenir moins agréable à vivre et que les mutations climatiques vont redonner un peu d’attractivité à des endroits plus verts… Le Grand Est qui bénéficie du gros moteur économique qu’est la vallée du Rhin pourrait devenir à nouveau un lieu d’attractivité. De quoi regarder de façon différente les impacts du vieillissement sur les marchés locaux de l’habitat.
Pourriez-vous aussi commenter la carte consacrée aux services publics en 205010, en lien avec la ligne éditoriale d’Horizons publics. Les banlieues populaires et les zones rurales, aggravées par un manque progressif de marge de manœuvre financière des collectivités locales, sont toujours pénalisées en termes de services publics de proximité, malgré le déploiement du réseau des Maisons France services (MFS). L’enjeu est selon vous de réinventer les services de proximité. Pourriez-vous expliquer plus en détail cet enjeu ?
Depuis trente ans, le réseau de services publics est fragilisé par des fermetures progressives dans des domaines aussi structurants que la santé (maternités et hôpitaux), l’économie (poste et trésoreries) ou la sécurité (gendarmeries). Les banlieues populaires et les zones rurales sont les plus touchées. Anticiper l’évolution pour les décennies à venir appelle à combiner la géographie de la population (et des logiques de ségrégation ou de métropolisation), celle des nouveaux besoins (numérique et mobilité, vieillissement et dépendance, politique d’intégration, etc.), mais interroge aussi la capacité à s’organiser pour y répondre.
Si rien n’est fait, le manque d’attrait de la fonction publique devrait entraîner, dès les années 2030, des difficultés de recrutement (et donc des manques d’effectifs) dans presque toutes les régions et dans presque tous les domaines (notamment l’enseignement et l’encadrement administratif). En termes d’organisation des moyens, l’État rencontre par ailleurs de grandes difficultés pour convaincre ses partenaires opérant un service public (EDF, La Poste, caisse d’allocations familiales [CAF], etc.) de rejoindre ses maisons de proximité : les objectifs ne sont qu’à moitié atteints et, dans la majorité des lieux ouverts, il manque la plupart des services théoriquement proposés… Des priorités devront être énoncées dans un contexte où, entre les nouveaux rythmes de vie, les enjeux énergétiques et un rapport à la nature profondément modifié, le rôle et la place des espaces de faible densité sont appelés à être profondément discutés ces prochaines années.
En 2050, la proximité des services publics ne se résumera plus à une présence physique permanente sur place : la télémédecine se développe et les administrations ont déjà largement dématérialisé leurs services. Cependant, les outils numériques restent très inégalement maîtrisés par les citoyens.
De façon plus pratique, en 2050, la proximité ne se résumera plus à une présence physique permanente sur place : la télémédecine se développe et les administrations ont déjà largement dématérialisé leurs services. Cependant, les outils numériques restent très inégalement maîtrisés par les citoyens. La multiplication de « tiers-lieux » hybrides (surtout en zones rurales) esquisse peut-être une réponse à cette transition nécessaire d’une économie de la proximité (au sens de l’espace) à une économie de l’attention (celle que réclame la société des individus). Autour de ces « communs » s’inventeront de nouveaux lieux, de nouveaux services et de nouvelles relations entre habitants et institutions.
Au terme de votre travail, que souhaiter pour 2050 ?
Plus qu’un outil d’aide à la décision pour les décideurs publics, nous espérons que cet atlas sera une aide au débat démocratique. Nous avons entamé un tour de France pour susciter localement des échanges autour des questions ouvertes par cet atlas, avec des élus et des habitants. Ce pays a les atouts nécessaires en main, la question est de savoir s’il se donnera les moyens de les jouer : la solution sera démocratique !
- Métropolitiques est une revue électronique créée pour favoriser les débats et confronter les savoirs et les savoir-faire sur la ville, l’architecture et les territoires (https://metropolitiques.eu/).
- Gilli F., Delpirou A. et Vanier M., La France en perspectives. Imaginer 2050, 2024, Éditions Autrement.
- (Eurostat, Institut national d’études démographiques [Ined], Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques [DARES], Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse [Arcep], Institut national de la recherche agronomique [INRAE], Conseil d’orientation des retraites [COR], Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire [INJEP], centres de recherche universitaires, etc.)
- Ibid., p. 92.
- Id., p. 48.
- Bouissou J. et Leplâtre S., « La compétition féroce entre grandes puissances pour le cuivre, le lithium, le nickel et autres minerais critiques », Le Monde 30 mai 2024.
- Gilli F., Delpirou A. et Vanier M., La France en perspectives. Imaginer 2050, op. cit., p. 92.
- Ibid., p. 88.
- Id., p. 138-139.
- Id., p. 126.