Léonore Moncond’huy : «Le changement climatique ne nous attend pas, nous sommes en train de perdre la bataille du temps»

Léonore Moncond'huy maire de Poitiers
Maire de Poitiers (Vienne, 91 000 hab.) Léonore Moncond’huy est aussi vice-présidente de la communauté urbaine Grand Poitiers (40 communes) depuis juin 2020.
©©Jordan Bonneau
Le 26 août 2024

Rôle de l'éducation populaire dans les politiques publiques, avenir de l'écologie politique après le résultat des élections européennes 2024, transition écologique à l'échelle de Poitiers, transformation managériale de l'administration municipale ou encore enjeux de participation citoyenne aux politiques publiques locales... Léonore Moncond’huy, maire de Poitiers (Vienne, 91 000 hab.) s'est confiée à Horizons publics.

1 - Remettre l’éducation populaire au cœur des politiques publiques

Ensemble, nous sommes convaincus que l’éducation populaire est une réponse aux défis majeurs que traverse notre société.

Poitiers a eu l’honneur d’accueillir, pour la deuxième fois, les Rencontres nationales de l’éducation populaire, co-organisées du 31 mai au 1er juin 2024 avec le comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP). Un vrai succès, avec près de 700 participantes et participants en provenance de toute la France, qui se sont retrouvés au théâtre-auditorium de Poitiers (TAP), la scène nationale du Grand Poitiers. Avec un thème d’actualité pour cette deuxième édition : « Quartiers prioritaires, outre-mer, ruralités, etc., l’engagement de l’éducation populaire pour l’accès aux droits dans tous les territoires. » Nous avions un triple objectif avec cet événement : fédérer les acteurs de l’éducation populaire (associations, acteurs publics, etc.). Ce premier objectif s’est notamment traduit par la tenue de 50 ateliers qui ont animé la ville, offrant des espaces de réflexion et de partage pour se former, s’inspirer d’autres expériences, et construire des propositions. Deuxième objectif : renforcer la visibilité du mouvement d’éducation populaire et le remettre au centre des politiques publiques. Enfin, troisième objectif : porter un plaidoyer commun sur l’éducation populaire avec des propositions. Grâce à un atelier des lois géant avec 6 députés et 300 participant·es, une expérience d’ampleur inédite, nous avons pu poser les bases d’un futur parcours législatif pour les propositions. Cet événement n’est qu’une étape dans une culture de travail commun qui doit se poursuivre au quotidien : associations, collectivités, secteur public et parlementaires doivent continuer à coopérer. Ensemble, nous sommes convaincus que l’éducation populaire est une réponse aux défis majeurs que traverse notre société, et qu’elle est un ferment indispensable de cohésion sociale sur les territoires.

Le changement climatique ne nous attend pas, nous sommes en train de perdre la bataille du temps.

2 - Les enseignements à tirer du résultat des européennes

À titre personnel, je considère qu’il y a deux urgences : lutter contre les idées d’extrême droite et convaincre les citoyens que ce n’est pas la solution. Un autre enseignement à tirer de ces élections européennes de juin 2024 est le résultat très bas des écologistes, à peine plus de 5 %. Or, le changement climatique ne nous attend pas, nous sommes en train de perdre la bataille du temps. La progression du Rassemblement national (RN) traduit aussi une forte fracture territoriale. Aucun territoire n’est aujourd’hui épargné. Dans ce contexte, la dissolution du Parlement est irresponsable, car elle donne une clé d’accès au pouvoir. Je suis extrêmement inquiète sur les valeurs de la République si le RN venait à remporter le scrutin législatif. Les services publics reculent, les liens sociaux se délitent, la disparition des commerces de proximité s’accélère… Il y a un réel besoin de renforcer les services publics de proximité. C’est, pour moi, la meilleure réponse : remettre les services publics de proximité au cœur des politiques publiques.

3 - La transformation écologique à l’échelle de Poitiers

Certains axes avancent mieux que d’autres : ce qui marche, c’est la végétalisation de la ville, avec la plantation de 30 000 arbres pendant le mandat et surtout une forte appropriation citoyenne de ce projet. Nous avons aussi déployé un programme de formation et d’éducation à la nature dans les écoles. Nous avons organisé les Rencontres internationales de la classe dehors, une innovation pédagogique soutenue par le ministère de l’Éducation nationale. Ce sont, à mon sens, les deux points qui avancent le plus, et de vrais marqueurs de la transition écologique à Poitiers. Ce qui pourrait aller plus vite, c’est le sujet de la mobilité entre les communes rurales vers le centre-ville (mobilité douce, cyclable ou collective). C’est aujourd’hui une compétence communautaire à l’échelle du Grand Poitiers. Il faut répartir les moyens entre les 40 communes. Notre objectif est de relier le centre-ville, le campus et le centre hospitalier universitaire (CHU). Nous allons inaugurer, le 31 août 2024, une voie cyclable sécurisée (3 km) sur l’un des axes les plus circulants de Poitiers pour favoriser le report modal sur le vélo. Nous lançons aussi l’offre « vélo gratuit pour les étudiants » pour ceux qui s’inscrivent à l’université. Autre chantier en cours : l’urbanisme, avec l’adoption récente d’une deuxième version de notre charte pour un urbanisme résilient. En matière de transition énergétique, nous allons aussi étendre le réseau de chaleur urbain au quartier des Montgorges, à l’ouest de Poitiers, pour alimenter en chauffage urbain 42 ensembles immobiliers de ce secteur. La nouvelle chaufferie sera alimentée à 93 % par des énergies renouvelables. Ce projet sera opérationnel en 2025.

4 - Changer les pratiques managériales et transformer l’administration municipale

En 2021, nous avons réorganisé l’administration en quatre pôles pour incarner notre programme politique : « Transition écologique et résilience » (aménagement urbain, gestion de l’eau, gestion des déchets et voirie), pour adapter la ville au monde de demain ; « lien social et éducation » (solidarité et éducation populaire), pour créer du lien social et de la solidarité ; « développement local et rayonnement du territoire » (enseignement, sport, culture et tourisme), pour mettre en lumière les ressources du territoire ; « fonctionnement institutionnel et démocratie » (ressources humaines [RH], budget et participation citoyenne), pour favoriser la participation citoyenne. Nous avons mutualisé le cabinet (Poitiers et le Grand Poitiers) qui fonctionne pour les deux fonctions (maire et vice-présidente).

Nous avons aussi refondu, grâce à l’appui de notre mission transversale de gestion de la crise et de résilience, le plan communal de sauvegarde (PCS) permettant de mieux connaître nos vulnérabilités, mieux les prévenir et mieux se préparer. Parmi les principaux risques identifiés figurent les risques « sécheresse » et « falaise ». Poitiers comprend plusieurs dizaines de kilomètres de falaises, nous avons établi un diagnostic complet avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), il s’agit d’un risque complexe, car il y a de nombreuses parcelles privées empêchant d’avoir une visibilité sur le linéaire des falaises. Les variations de température fragilisent la falaise, l’entretien des jardins et des coteaux. Cette mission transversale, mise en place au début de la mandature, a aussi pris en compte d’autres crises, par exemple énergétique, notamment le risque de délestage électrique ou encore la qualité de l’eau en 2023. Nous planchons également sur le plan intercommunal de sauvegarde (PIS) et sensibilisons aussi les habitant·es sur les risques et la résilience. Nous avons créé une réserve communale de citoyens volontaires et formés sur la sécurité civile pour être prêts à intervenir. Par exemple, si la distribution de l’eau à l’échelle d’une petite commune est gérable, elle nécessite plus de ressources humaines à l’échelle de Poitiers.

En 2022/2023, première année d’expérimentation, l’assemblée citoyenne et populaire de Poitiers a exploré le sujet « Comment lutter contre les incivilités dans l’espace public ? ».

5 - La participation citoyenne à Poitiers

La participation citoyenne et la démocratie locale sont au cœur de mon mandat. L’objectif est de développer tous les espaces de participation citoyenne, de la simple consultation à la co-construction d’une politique publique locale. Sur les budgets participatifs, nous avons consacré 800 000 euros en 2023 pour développer des projets proposés par les habitant·es. C’est un budget conséquent, il y a eu une montée en gamme des budgets participatifs, avec de nombreuses réunions publiques. Par exemple, le nouveau skate park de Rébeilleau (1 300 m²) inauguré en décembre 2023, a vu le jour grâce aux budgets participatifs. L’extinction de l’éclairage public ou encore la fauche tardive dans les parcs pour favoriser la biodiversité font aussi partie des initiatives proposées par les habitant·es. Nous avons aussi expérimenté des outils innovants pour favoriser la démocratie locale, par exemple, l’assemblée citoyenne et populaire. Composé de 30 habitant·es, d’élu·es et d’agent·es, c’est une instance de débat et de décision qui pousse assez loin la participation citoyenne. En 2022/2023, première année d’expérimentation, l’assemblée citoyenne et populaire de Poitiers a exploré le sujet « Comment lutter contre les incivilités dans l’espace public ? ». Des actions ont été mises en place pour renforcer la réappropriation de l’espace public et de favoriser une ville accueillante.

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