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ExpertisesLes DRH relèvent-ils le défi de l’engagement ?
L’association des DRH de grandes collectivités réunissait le 7 octobre 2022, au siège du groupe La Poste à Paris, un panel de responsables des ressources humaines, de dirigeants et un spécialiste des neuro-sciences pour échanger sur le thème de l’engagement.
Comment le service public peut-il être un levier d'engagement ?
Première séquence de cette journée de réflexion, pilotée par l’association porte-voix des DRH territoriaux : une table-ronde riche en échanges pour tenter d'explorer les missions et les rôles des managers et la transformation des organisations pour favoriser un engagement au quotidien. L’intervention démarre par la prise de parole de Yohann Nédélec, Vice-président de Brest Métropole, Maire adjoint de Brest, et Président du centre de gestion du Finistère. Selon lui, la crise sanitaire apporte des éléments de réponse sur l’engagement des agents publics.
Yohann Nédélec défend le statut d’agent territorial, une véritable « chance », puisqu’il permet de faire carrière, sécurise le parcours, véhicule des valeurs communes et favorise l’attractivité. S’il admet qu’il est possible de le faire évoluer, il estime que ce serait une erreur de le supprimer.
Face à cette situation sans précédent, les Français se sont tournés vers leur mairie, le service public de proximité. Les agents polyvalents présents ont assuré et assumé des fonctions qui n’étaient pas prévues à l’origine. Cela marque un tournant dans la philosophie de l’agent public territorial.
Selon Nicolas Proust, conseiller référendaire à la Cour des comptes et ancien Directeur général des services de la ville de Montreuil, la très forte crise de l’engagement ne se résoudra pas par le statut mais la manière dont on prend soin de l’humain.
Il cite en exemple une expérience passée à la ville de Montreuil. Au service des jardins et de la nature en ville, l’on accordait une part importante à l’initiative individuelle, les habitants pouvaient participer notamment aux choix des essences à planter. Lorsqu’il a fallu réduire de 15% le budget de fonctionnement de cette ville de 110 000 habitants, la municipalité a omis de consulter le service. S’en est suivi une grève. Les principaux intéressés auraient certainement été les premiers à dresser une liste de propositions pertinentes pour effectuer des réductions. Cela a créé une véritable fracture, les agents se sont sentis remis en cause. Pour Nicolas Proust, ce contre-exemple illustre bien la manière dont on peut perdre l’engagement des agents de terrain lorsqu’on ne les associe pas aux décisions les concernant.
Nicolas Delmas, DRH des hôpitaux Bichat et Beaujon (AP-HP) est revenu sur son expérience professionnelle. Nommé à son poste le 1er janvier 2020, à peine deux mois après survient la crise sanitaire. La réponse de l’État ne se fait pas attendre, il multiplie les mesures exceptionnelles et les interlocuteurs pour les annoncer (point quotidien du ministre de la santé, annonces du président, prise de parole du premier ministre). Au sein de l’Institution, le directeur général écrivait tous les jours aux agents, le DRH prenait aussi la parole régulièrement. Paradoxalement on constate un véritable problème d’information des agents.
Pour engager les agents déjà faut-il qu’ils comprennent ce que l’on fait et souhaite faire pour eux. Le service RH crée un livret appelé « Covid et RH » synthétisant l’ensemble des mesures prises par la mairie de Paris, les municipalités environnantes, les crèches, les compagnies de taxis, tous les acteurs concernés.
Nicolas Delmas constate que lorsque l’on lance un groupe de travail sur un sujet très peu de gens y participent, il y a pourtant plusieurs outils, notamment des enquêtes en ligne permettant de solliciter les agents et de les associer aux décisions. Il donne l’exemple de fonds alloués aux espaces de soignants. La question s’est posée de créer un parcours sportif extérieur devant l’hôpital. Si pour le DRH, il paraissait inconcevable de réaliser des tractions devant les agents, 70% d’entre eux ont plébiscité la mesure.
Chez Socomec, entreprise employant 6000 personnes, la moitié en Europe, dont une partie au siège à Strasbourg et l’autre moitié aux Etats-Unis et en Asie, le DRH Christophe Lefèbvre a lancé une étude sur l’engagement et ses moteurs. Le groupe est spécialisé dans la recherche, le développement, la production, la mise en service et l’installation de convoyeurs d’énergie. Le premier constat révèle que la rémunération n’est plus le sujet principal.
De nombreux candidats ont pointé d’autres moteurs d’engagement tels que le lieu de travail, la flexibilité sur le lieu de travail, la reconnaissance, l’implication dans les décisions de l’entreprise. La direction générale souhaitait avoir conscience des réalités du terrain.
Il ne s’agissait pas uniquement de lancer l’enquête mais surtout de savoir ce que l’on allait en faire ensuite. Lancer une telle enquête engendre des attentes et crée une responsabilité supplémentaire pour les managers: savoir ajouter le dimension de « gestionnaire" vis-à-vis des équipes dont on a la responsabilité, c’est à dire savoir les « tirer vers le haut », être à leur écoute, rentrer dans une sphère de confiance, reconnaitre leur travail. Pour les managers, cela consistait à être prêt à ouvrir la « boite de Pandore », s’approprier les résultats et mesurer les moteurs de l’engagement (travail, bien-être, soutien managérial, empathie, communication transparente). Première étape, le directeur général a transmis aux équipes de direction la responsabilité qu’ils devaient assumer et leur a confié la mise en place d’un plan d’action transparent sur 3 ans. Ce changement est passé par la mise en place d’une culture du dialogue au sein de l’entreprise, d’une approche holistique prenant en compte l’ensemble des forces vives de l’entreprise.
Nicolas Proust rappelle que les cadres dirigeants dans la fonction publique territoriale et hospitalière, moins bien payés que dans le privé, ont donc d’autres motivations telles que le sens.
La fonction publique territoriale dépend des dotations de l’État, malgré leur discours sincère sur l’engagement des agents, les élus sont contraints financièrement. Si la rémunération n’est pas le seul facteur d’engagement, c’est un socle sans lequel on ne peut pas construire. Sans remettre en cause le statut de l’agent public, il faudrait rendre plus simple le dialogue entre l’État et les élus.
Selon Yohann Nédélec, mettre en avant la qualité de vie au travail est une bonne approche. Depuis mars 2020, le télétravail est entré dans les mœurs, les collectivités ont d’ailleurs tranché en ce sens. Si la rémunération n’est pas le critère principal, il considère anormal qu’un agent territorial touche un salaire de 1400 euros mensuel. Cela conduit à une situation schizophrénique pour l’élu: il souhaite mener une politique salariale ambitieuse mais celle-ci pèse sur le budget municipal allant parfois jusqu’à représenter près de 50% de ce dernier. Il confie d’ailleurs que certains élus commencent à ne plus remplacer des agents absents ce qui pose la question de la continuité des missions de service public.
Dans le groupe Socomec, on effectue un benchmark tous les ans afin d’être compétitifs sur la question des salaires. Ceci dit, selon Christophe Lefèbvre, la grille salariale peut se situer sous les prix du marché sans que cela soit un élément bloquant pour l’arrivée de nouveaux salariés, recherchant « autre chose ». Certains peuvent être attirés par une entreprise française, encourageant la mobilité, investissant massivement sur le développement professionnel.
Chez Socomec, une académie professionnelle accompagne 2800 collaborateurs par an dans le processus de certification de compétences.
Le DRH insiste aussi sur d’autres aspects participant à l’attractivité de la marque comme la flexibilité concernant le lieu de travail, la prise en compte de la qualité de vie au travail, la possibilité de pratiquer des sports, le respect de certaines valeurs. Il souligne aussi l’importance d’avoir couplé à l’enquête une série d’outils de mesure et de mise en action afin que les valeurs de l’entreprise se reflètent dans la posture des managers.
Nicolas Proust rappelle l’intervention d’un directeur général d’un office HLM sur le concept d’organisation libérée lors d’un précédent colloque de l’Association des DRH des grandes collectivités. Il s’agit d’appliquer à son organisation des principes encourageant le sens au travail, le respect de l’humain pour développer la performance. Le statut des offices HLM, plus proche de celui d’une entreprise, confère une marge de manœuvre plus importante aux techniciens par rapport aux collectivités. Il donne l’exemple d’un manageur de terrain au sein d’un établissement médico-social, travaillant avec une dizaine d’agents. Depuis dix ans il déploie des manières de travailler différentes. Le premier levier n’est pas le financier, ce dernier est perçu comme un rattrapage indispensable. Il s’applique à lui-même ses règles, en donnant l’exemple; fonde toute son action sur le sens à savoir le service rendu aux usagers de ce centre médico-social, des personnes atteintes de handicaps lourds, en accueil de jour ou en résidence. Comme de nombreux autres secteurs, il a été confronté à une crise des vocations, de l’absentéisme, une difficulté de recruter. Avant même le Ségur de la Santé, comme il avait développé un management favorisant l’engagement, à la différence d’autres établissements médico-sociaux, le taux d’absentéisme a été divisé par deux, il n’a plus rencontré de problématique de turn-over.
Investir sur le capital humain donne des résultats bien réels, chiffrables pour un DRH, sur le long terme, à condition que le manager ne change pas tous les six mois et que la direction générale ou l’élu lui laisse la possibilité de le faire.
Pour Nicolas Delmas à la tête des ressources humaines d’une organisation de 7500 agents, tout l’enjeu consiste à accompagner les managers qui seront le relais de la parole de l’entreprise. Tous les lundis une lettre RH est envoyée aux cadres, les managers de proximité qui ensuite informent les agents, essentiellement des soignants. Des formations à destination des cadres ont aussi été mises en place. En général les services de soins dotés de bons encadrants n’affichent pas de postes vacants.
Christophe Lefèbvre confirme l’importance de l’encadrement, en effet 80% des personnes quittent l’entreprise en raison de difficultés avec leurs responsables. L’objectif consiste à être conscient et faire prendre consciences aux encadrants qu’ils ont un rôle et un mandat essentiels : la responsabilité d’accompagner une équipe et de favoriser son bien-être (développement professionnel, personnel). Chez Socomec, tous les managers sont formés sur les attitudes et comportements du groupe. La direction veille au recrutement mais aussi aux « mises à jour » tout au long de la carrière professionnelle. Ce seront aussi des « lanceurs d’alerte », notamment de situations personnelles ou professionnelles complexes. Selon Christophe Lefèbvre l’entreprise donne les moyens aux managers d’accompagner les équipes et les incite à se remettre en cause, à apprendre de leur erreurs, à accepter la réalité sans pour autant adopter une politique du blâme.
Selon Yohann Nédélec, le sujet est extrêmement complexe pour les élus. Ils ne sont ni chefs de service ni responsables des ressources humaines alors même qu’ils sont les employeurs. Cette mission incombe aux RH ou au Directeur général des services. Néanmoins dans les conseils de discipline qui peuvent être convoqués, le management a une place capitale. Lorsqu’un agent rencontre une difficulté avec son manager direct, la machine peut s’enrayer. Dans le Finistère, 80% des communes sont de petite ou de taille moyenne, le dysfonctionnement est vite repéré. Il n’est pas anormal qu’un adjoint aux RH accompagne le DGA sur des décisions mais en aucun cas l’élu n’a à intervenir directement sur le management.
Les neurosciences pour mieux comprendre les ressorts de l’engagement
Gaetan de Lavilleon, docteur en neurosciences et fondateur de Cog’X, agence de conseil spécialisée dans l’amélioration des conditions de travail, résume les ressorts de l’engagement face aux nouveaux modes de travail. Au terme d’engagement, il préfère celui de motivation, plus adapté aux neurosciences. Pour effectuer un choix simple, un trajet Paris-Barcelone en train ou en avion, une personne se trouve face à une équation à 4 inconnues, le sentiment d’utilité, de récompense, l’effort à fournir et le délai. Notre cerveau est doté d’une capacité à prédire les sentiments de récompense et d’utilité, elle est ancrée dans notre système biologique. Or première difficulté, nous devons faire face à un environnement changeant ce qui réduit notre capacité de prédiction. De plus, le morcellement des activités peut nuire au sentiment d’efficacité dans la mesure où la finalité de la tâche disparaît.
Selon Cog'X, le futur du travail s’écrit avec des organisations engagées pour la préservation des ressources cognitives de leurs collaborateur·rice·s.
Faire cela, c’est permettre à chacun·e de mobiliser ses compétences en conciliant efficacité et bien-être au travail.
Par ailleurs le cerveau traite en priorité les informations d’approbation sociale, les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en tête, l’ont bien compris. Dans ce contexte, les enjeux collectifs à long terme sont la performance collective, le service public, la crise climatique et le climat social. Les efforts à fournir reposent sur des ressources cognitives, physiques et matérielles.
L’effort mental, une notion essentielle, est pourtant difficile à jauger. Lorsque le niveau d’effort augmente l’individu peut avoir tendance à dévaluer la tâche ce qui modifie la prédiction de la récompense.
Gaetan de Lavilleon rappelle que le cerveau est un organe optimisé pour évoluer dans un environnement A (avec un enjeu de survie) et il doit fonctionner dans un environnement B. La charge mentale et la fatigue causées par les nouveaux modes de travail demande de nouveaux efforts à notre cerveau. Or il faut partir du principe que les ressources dont nous disposons sont limitées. Une personne ne peut traiter plus de 7 informations à la fois. Dans ce contexte, le cortex frontal aura du mal à fonctionner provoquant des difficultés à réguler les émotions, à mémoriser, à se concentrer, à collaborer, à faire preuve de créativité. Notre mémoire de travail fonctionne comme une centrale hydraulique un flux constant d’informations qui entrent et sortent en permanence (99% d’entre elles sont oubliées).
Trois facteurs permettent de réguler notre charge mentale, la complexité de la tâche, notre état interne, l’environnement. Notre environnement ultra digitalisée nous sollicite en permanence, cherchant à capter notre attention. Le fait de réaliser plusieurs tâches à la fois a un coût élevé: on interrompt l’activité des neurones chargées de garder en mémoire notre première tâche, cela augmente le coût cognitif, diminue l’attention et la réactivité.
Pour éviter la fatigue mentale, le docteur en neurosciences souligne l’importance des pauses régulières (sans écrans). Être actif autrement permet au cerveau de récupérer tout comme les siestes courtes. Il rappelle qu’au-delà de 55 heures de travail par semaine les risques d’infarctus augmentent. Ces temps de retour à l’équilibre sont essentiels.
Autre effet pervers du morcellement des tâches, à force d’efforts ne conduisant pas à la récompense attendue, le cerveau peut acquérir la notion d’impuissance.
Gaetan de Lavilleon conclut sur la difficulté d’afficher les 4 indicateurs -sentiment d’utilité, de récompense, l’effort à fournir et le délai- « au vert ». Il convient de trouver un mode de régulation de ces 4 éléments. Aujourd’hui, la possibilité de les évaluer existe, l’effort fourni par les individus est trop important car ils ne sont pas suffisamment formés à leur prise en compte.