Ressources humaines et nouvelles technologies : embarquer tout le monde

Technologie et RH
Si la technologie peut être un véritable atout pour automatiser voire supprimer des activités répétitives et fastidieuses, elle est aussi porteuse de risques.
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Le 12 octobre 2023

La journée d’étude « RH et technologie, entre risques et opportunités » du 6 juillet 2023, à Nantes, a abordé les avantages du numérique bien sûr, mais aussi les risques, et les conditions à respecter.

Le 6 juillet 2023 se déroulait à l’Hôtel de région à Nantes, à l’invitation de l’Association des directeurs des ressources humaines des grandes collectivités territoriales (ADRHGCT), la journée d’étude « RH et technologie, entre risques et opportunités » : conférence, table ronde, ateliers. Elle a rassemblé une cinquantaine de DRH.

Facteur d’attractivité

Les avantages du numérique dans la Fonction publique territoriale (FPT) ont été largement abordés, avec d’abord la formation. ChatGPT apporte ainsi des plus : les formateurs du Centre national fonction publique territoriale (CNFPT) l’utilisent, par exemple, pour alimenter leurs contenus et structurer leur pensée. Jean-Louis Lehuger, directeur régional de Transdev1 Pays de la Loire a montré que se former en réalité virtuelle est utile pour ses conducteurs : « Grâce à un casque de réalité virtuelle, ils s’immergent dans un monde reproductible, appréhendent un accident de train, etc. Tout en apprenant plus vite : quinze-vingt minutes en virtuel équivalent à quarante minutes en réel. » Transdev a également formé ses conducteurs à l’écoconduite en les mettant en réalité virtuelle à la place des passagers. Résultat : le conducteur perçoit parfaitement la qualité ou non du freinage, le manque d’anticipation à un rond-point, etc. Autre apport du numérique avec les véhicules connectés : « En observant combien de fois le conducteur a freiné ou accéléré, on pourra aussi développer des formations (réelles ou virtuelles) spécifiques à des situations de dangers », note Jean-Louis Lehuger.

Le numérique peut être facteur d’attractivité. Pour attirer des jeunes dans la FPT, « il faut s’adresser à eux à travers de nouveaux outils, donc monter en compétences ses équipes », a rapporté Bruno Jarry, DRH du département du Maine-et-Loire et participant à l’atelier recrutement. De son côté, Jean-Louis Lehuger estime que la réalité virtuelle, le simulateur de conduite et la technologie embarquée utilisés par Transdev donnent un regard positif, par exemple, sur le métier en tension de conducteur de car.

Le numérique est aussi utilisé comme outil d’aide à la décision. Patrick Langrand, directeur de la Transformation numérique à la région Pays de la Loire a expliqué lors d’une table ronde comment « en aménagement du territoire, on reproduit les conséquences de l’implantation d’un lycée ou d’une piscine en matière technique, économique, climatique. On décide alors en connaissance de cause ».

Supprimer des tâches répétitives

Les avantages du numérique en matière de recrutement sont multiples : « En posant les bonnes questions à l’outil et en quelques clics, on sélectionne très vite deux ou trois candidats adaptés parmi de nombreuses données exploitables », a relevé Blandine Meignié, responsable du recrutement et développement RH au groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille. Avec à la clé un gain de temps précieux. En amont, Blandine Meynier assure que ChatGPT « fait mieux que l’humain, avec une rédaction plus attractive, susceptible d’attirer de meilleurs candidats », et ici encore, un gain de temps. Lors de l’entretien, la réalité virtuelle peut être aussi utile : « Pour tester quelqu’un en soudure nucléaire, le faire en réalité virtuelle est plus facile que d’aller dans une centrale nucléaire », note Blandine Meynier. Ces techniques se développent, même si des DRH préfèrent rester maîtres de l’évaluation. L’utilisation du numérique au service de la marque employeur a été évoquée dans plusieurs ateliers : « Les opérationnels nous y poussent au regard des difficultés à recruter », a indiqué Bruno Jarry.

L’intelligence artificielle (IA) permet donc de supprimer des tâches répétitives, au profit d’une valeur ajoutée métier : « Le DRH peut alors se concentrer sur le sourcing, la chasse ou l’analyse », a rapporté Bruno Jarry.

L’intelligence artificielle (IA) permet donc de supprimer des tâches répétitives, au profit d’une valeur ajoutée métier : « Le DRH peut alors se concentrer sur le sourcing, la chasse ou l’analyse », a rapporté Bruno Jarry. Même principe avec le chatbot utilisé dans des collectivités pour répondre aux questions RH des agents : on évite d’avoir à répondre la même chose à tous successivement…

Le numérique peut permettre de faire face à la demande. Le chatbot d’Orléans métropole est né juste après le passage en métropole et les transferts d’agents concomitants : « Il fallait répondre aux questions des agents sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur leurs rémunérations, congés, temps de travail, évaluations qui au début étaient d’ailleurs différents en fonction de l’origine des agents… », a expliqué l’ancien DRH Nicolas Lonvin. De manière générale, les outils numériques RH visent à répondre à une demande instantanée.

Le numérique permet d’anticiper les parcours et carrières, par exemple, selon l’atelier Évaluation des compétences, ceci en fonction des évolutions des technologies numériques… et des appétences en la matière des agents. L’anticipation concerne aussi la santé et l’absentéisme : « L’IA peut aider, en lien avec le service médical de la collectivité, à faire du repérage précoce avant le basculement d’agents en congé longue maladie ; elle peut aussi aider à la prévention de l’usure par automatisation des indices d’absentéisme », a relevé Isabelle Tendel, de la mutuelle Intériale pour l’atelier Prévention, santé, qualité de vie au travail.

Aujourd’hui, les conditions pour le développement de l’IA sont réunies a rappelé Henri Isaac, maître de conférences à Paris-Dauphine et spécialiste du numérique, puisque l’on dispose de données abondantes et partagées via Internet et d’une grande puissance de calcul : « Plus vous avez de données, moins vous vous trompez. » L’opportunité est nouvelle aussi pour les collectivités, avec des outils progressant constamment. Nicolas Lonvin a expliqué comment pour le chatbot d’Orléans métropole, par exemple : « Au début, on posait cinq questions pour obtenir la bonne réponse, maintenant une question suffit. Pour ce faire, on a identifié en back office les questions auxquelles le chatbot ne répondait pas. »

Le numérique ne fait pas tout

Les risques ont été largement abordés aussi lors de cette journée. Henri Isaac a évoqué la perte de repères : avec le métavers et ses avatars, crée-t-on un monde réel ou fictif (un avatar avec trois bras, nu, etc.) ?

« La montée en puissance de l’intelligence numérique n’est-elle pas en contradiction avec la frugalité numérique ? », a demandé la salle. « Oui, tous les modèles sont gourmands en énergie, du moins au début, a reconnu Henri Isaac. Ensuite, la réduction de la taille des modèles économisera de l’énergie. »

Autre risque, la suppression d’emplois. En matière de formation, Jean-Louis Lehuger a rassuré : « Les formateurs participent en amont à la création des modules de formation de réalité virtuelle de Transdev et animent les formations virtuelles de nos conducteurs. » Par ailleurs, « une machine n’apprend que dans la mesure où on lui aura appris les règles », a rappelé Henri Isaac.

Le numérique ne fait pas tout. En matière de recrutement, « vous aurez beau utiliser tous les outils numériques et virtuels possibles, si votre offre salariale est inférieure de 30 % à celle du marché ou que votre management est mauvais, vous n’obtiendrez pas le meilleur recrutement », avertit Blandine Meynier. « L’IA nous aide plutôt pour le recrutement des cadres, mais guère sur les métiers d’exécution », a rapporté quant à lui Bruno Jarry. « Attention !, a prévenu de son côté Vincent Lecomte, DRH de la région Pays de la Loire, le bon recrutement, c’est parfois celui qui ne colle pas à la fiche de poste et que l’IA n’aura pas trouvé… » En matière de relations RH et agents, « les contraintes d’outils préformatés ne répondant pas à nos besoins existant, a indiqué Yohann Cavignaux, rapporteur de l’atelier Communication et relations avec les agents, et adjoint carrière et paie du département de Loire-Atlantique. Un agent de collège n’a pas les mêmes questions qu’un assistant social ».

La progression du numérique dépend enfin de son acceptabilité sociale : les salariés sont-ils, par exemple, prêts à se faire recruter par une machine ?

Coût à évaluer

Le numérique est aussi parfois limité : « Les données RH sont encore peu nombreuses sur le net, car personnelles et nécessitant des précautions liées au règlement général sur la protection des données (RGPD), précise Henri Isaac. Du coup, l’IA permet-elle de garder les bons candidats in fine, de distinguer les performances collectives et individuelles ? » Les questions juridiques ne doivent pas être ignorées par l’IA : discrimination, égalité femmes et hommes, etc. En outre, « les nouvelles technologies ont davantage à ce jour intégré les RH que la montée en compétences », constate Bruno Jarry.

Dans les relations avec les élus, l’atelier Évaluation des compétences qui se déroulait l’après-midi a permis de constater qu’il y a parfois un décalage entre leur demande et les RH : « Les élus voient souvent l’intelligence numérique comme une opportunité en matière de recrutement, rendant alors les RH responsables en cas de difficultés », a rapporté Loïs Ramet, conseiller en organisation au CNFPT.

Enfin, le numérique et l’IA ont un coût à évaluer en fonction des moyens, mais aussi de l’opportunité et des risques : « Les logiciels RH sont peu considérés comme prioritaires », a rapporté Bruno Jarry. Les risques de cybercriminalité, cybersécurité et liés à la RGPD ne sont pas à négliger non plus. Bruno Jarry a indiqué pour son atelier que « les DRH se plaignent de ne pas avoir d’outils performants en RGPD et communiquant entre eux (logiciels carrière ou recrutement, coffres-forts numériques, etc.) ». « Nous avons beaucoup de données personnelles (RIB, numéros de sécurité sociale, remariages, etc.), a ajouté Nicolas Lonvin pour l’atelier Management de la donnée. Il faut ne pas les perdre, ne pas se les faire voler, savoir qui a le droit d’y accéder, etc. »

Pour encadrer une IA galopante, Anne de Pomereu, formatrice, a abordé comment prendre soin des capacités cognitives des agents. Elle part du constat que « ces capacités (cerveau) n’évoluent pas, tandis que les transformations technologiques sont très rapides ». Des questions se posent alors : que fait-on du temps gagné ? Comment préserver notre attention que rien ne remplacera ? « L’attention se laisse distraire par le numérique, on fait plusieurs choses en même temps, et on est porté à aller vers le moindre effort », note-t-elle.

Le risque est bien de voir se développer une société à deux vitesses, avec ceux qui suivent… et ceux qui sont peu ou mal connectés. Bruno Jarry a constaté que les DRH aussi n’atteignent pas tous les agents : « Certains ne se connectent pas, il faut donc aller les chercher », a ajouté Yohann Cavignaux. L’enjeu n’est pas seulement comment on communique aux services opérationnels, mais « comment un DRH parle avec un directeur des systèmes d’information (DSI) », a évoqué Nicolas Lonvin. Pour pouvoir emmener tout le monde, il faut parfois sortir du numérique. Le chatbot d’Orléans laisse, par exemple, la possibilité de consulter l’agent source de l’information. Si les outils servent à être plus efficaces, « attention à ne pas déshumaniser les rapports : les RH ne doivent pas se cacher derrière leurs outils », a rapporté Yohann Cavignaux. À suivre.

Petit lexique

Avatar : personnage virtuel que l’utilisateur d’un ordinateur choisit pour le représenter graphiquement ;

Business Information Modeling (BIM) : méthode de travail utilisant une maquette numérique 3D intelligente comme élément central des échanges entre les différents intervenants à l’acte de construire (urbaniste, architecte, bureau d’études, collectivité, usagers, etc.) ;

Chatbot (robot conversationnel) : agent conversationnel logiciel capable de dialoguer avec un utilisateur, de fournir à ce dernier des réponses pré-enregistrées ;

ChatGPT (generative pre-trained transformer) : prototype d’agent conversationnel utilisant l’IA, développé par OpenAI, capable de répondre à des questions, d’écrire des articles, de tenir des conversations avec des humains, etc. ;

Intelligence artificielle (IA) : processus d’imitation de l’intelligence humaine à partir de la création de programmes informatiques complexes et nécessitant un grand nombre de données et une puissance de calcul élevée ;

Métavers (meta-univers) : monde qui associe la réalité virtuelle (perçue par un casque de réalité virtuelle) et la réalité augmentée (un meuble à acheter qu’on projette dans son salon réel)/version future d’Internet avec ses espaces virtuels en 2D ou 3D.

  1. Groupe français de transports publics et mobilité.
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