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Quand le management de la subsidiarité gagne les organisations publiques

Le 8 octobre 2022

Une dizaine de collectivités locales et deux organismes publics (Carsat et CCAS) sont embarqués durant dix mois (janvier-octobre 2022) dans un programme d’expérimentation « Capacités publiques » 1, animé par La 27e Région, pour tester trois nouvelles approches managériales, dont certaines ont (ré)émergé pendant la crise sanitaire2 : le portage d’initiatives spontanées, la micromobilité professionnelle et le management de la subsidiarité. Focus sur le groupe engagé dans la subsidiarité qui permet de mieux répartir les compétences au bon niveau pour gagner en efficacité.

« La subsidiarité, c’est l’inverse de la délégation. Il s’agit de redonner du pouvoir d’agir aux agents et leur permettre de mieux se saisir de leur travail », explique Marine Parent, la fondatrice du cabinet Oyena, qui nous accompagne dans la réalisation de ce dossier sur le management engagé et éthique. Pas étonnant que le management de la subsidiarité fasse partie de ses sujets de prédilection (innover dans son management et son organisation, bien mobiliser l’intelligence collective, conduire le changement). En effet, selon elle, « le principe de subsidiarité devrait être le fonctionnement normal de toute organisation. Aujourd’hui, on fonctionne encore trop par délégation, surtout dans la sphère publique […] La culture organisationnelle est encore trop descendante, étatique, la tête décide pour les autres, c’est encore trop dans l’ADN de notre culture du travail.

La crise sanitaire a montré qu’on pouvait faire autrement et mieux, notamment grâce à la subsidiarité », confie cette consultante qui accompagne des collectivités dans leur transformation managériale.

Le management de la subsidiarité, une logique ascendante « bottom up »

Que signifie exactement ce concept de subsidiarité un peu théorique, dont le citoyen lambda a entendu parler pour la première fois, plutôt à l’échelle de l’Europe, lors du traité de Maastricht (1992)3 ? La définition retenue par le groupe de travail (Nantes métropole, la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise, la Carsat Centre-Ouest, la ville et la métropole de Grenoble, la ville de Lyon, la communauté urbaine de Dunkerque) qui expérimente le management de la subsidiarité dans le cadre du programme « Capacités publiques » est la suivante : « Toute responsabilité est confiée à l’échelon le plus adéquat (“la bonne responsabilité au bon endroit”), à ceux qui sont confrontés à la problématique à résoudre, au plus proche du terrain. On ne réserve à l’échelon supérieur que ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. » 4

Comment construire un cadre de confiance entre managers et agents ? Comment répartir les responsabilités et les décisions aux bons niveaux ? Comment valoriser la prise de responsabilité autrement que par une prime ? Comment sécuriser les agents et les managers dans des situations exceptionnelles ? Comment simplifier et réduire les procédures, délais de validation ? Comment encourager et faciliter la prise d’initiatives ? Comment rassurer un agent à qui on confie de nouvelles responsabilités ? « Ces questionnements constituent le fil rouge du groupe de travail sur le management de la subsidiarité », explique Nadège Guiraud, directrice de projets à La 27e Région et qui coordonne ce programme d’expérimentation (voir encadré).

Une source d’inspiration : Caluire-et-Cuire

La ville de Caluire-et-Cuire (600 collaborateurs) a fait du principe de subsidiarité la base de son organisation. « La subsidiarité pose que chacun est légitime pour agir dans son périmètre d’action, parce qu’il est au plus proche du besoin, parce qu’il s’appuie sur des valeurs fixées et un cadre d’intervention de référence », explique Bernard Agarini, le directeur général des services (DGS) de la ville, qui est revenu sur la genèse et la démarche de subsidiarité de sa collectivité devant les agent·es impliqué·es dans le programme « Capacités publiques ». Un principe inscrit dans la charte managériale, ancré dans son projet d’administration : aujourd’hui, le projet d’administration fait l’objet d’une déclinaison dans tous les services : chaque service est invité à s’approprier et produire sa propre définition de la subsidiarité », explique le DGS, citant trois exemples de réalisation dans ses services : un « Monopoly simplicité » conçu par le service Guichet unique, avec une case « subsidiarité » – lorsque l’agent tombe sur cette case, il tire une carte correspondante et se retrouve face à une situation particulière qu’il doit arriver à gérer sans son responsable ; une infographie pour la police municipale, qui rappelle que la subsidiarité est une réalité, presqu’une obligation, au quotidien pour la police municipale : « En police, on dit que le terrain commande » ; et une affiche pour le service Parcs et jardins, affiche reprenant les flux des circuits de prises de décision entre responsable de service, managers et agents et faisant la part belle au triptyque « initiatives, autonomie, compétences » des agents. « Il faut du temps, de l’engagement, de la constance et de la cohérence, avec des agents reconnus et valorisés », selon Bernard Agarini, soulignant l’importance de mettre en place un service Organisation et méthodes pour déployer la subsidiarité.

« La crise sanitaire a montré qu’on pouvait faire autrement et mieux, notamment grâce à la subsidiarité », explique Marine Parent, la fondatrice du cabinet Oyena.

Cette immersion dans les principes de subsidiarité a pour objectif de donner envie de bouger les modalités de management dans les différentes organisations publiques impliquées dans cette expérimentation, qui doit se terminer à la fin de l’année 2022.

Management de la subsidiarité : plongée dans les tests

Depuis avril 2022, chaque participant·e au groupe « Management de la subsidiarité » s’est concentré sur le passage de l’idée au test « grandeur nature » : finir de préciser le périmètre et les étapes du test, identifier et mobiliser les équipes testeuses, définir les critères d’évaluation du test, autant de tâches qui nécessitent rigueur (organiser un test c’est un vrai travail !) et souplesse (il faut savoir s’adapter aux changements de contexte, aux contraintes et attentes des collègues testeurs, mais aussi saisir les opportunités : l’arrivée d’un nouveau chef de service ultramotivé ou un événement interne autour du management). Petit aperçu à mi-parcours.

Par Nadège Guiraud, directrice de projets à La 27 Région et coordinatrice du programme d’expérimentation « Capacités publiques » 6

À Nantes et Cergy-Pontoise : codéfinir et adopter des pratiques de travail plus en autonomie au sein d’une équipe

Comment une équipe peut-elle définir et clarifier collectivement les périmètres de responsabilité en son sein pour donner plus de pouvoir d’agir aux agents et valoriser leurs compétences ? Comment les managers peuvent-ils accompagner les agents dans l’exercice de leur autonomie ? C’est pour répondre à cette problématique que Nantes a choisi d’expérimenter au sein d’un accueil petite enfance (80 enfants, 35 agent·es réparti·es en quatre équipes) un processus de réflexion collective (ateliers) débouchant sur la mise en test, entre juin et octobre, de nouvelles pratiques professionnelles pour administrer des médicaments aux enfants ou répondre aux familles sur leur demande d’adaptation des horaires d’accueil.

Au cœur de ce test : le souhait de renforcer l’autonomie des auxiliaires de puériculture, éducatrices jeunes enfants et agents de crèche (tout en sécurisant cette prise d’autonomie), pour alléger les processus, nourrir l’engagement des agents et soulager les managers d’un excès de tâches qui ne devraient pas relever de leurs responsabilités dans un fonctionnement en subsidiarité. Pour les accompagnatrices du test, cette expérimentation, si elle est réussie, pourrait être étendue à d’autres équipements petite enfance ou médicosociaux de la ville de Nantes.

À Cergy-Pontoise, c’est au sein d’une équipe avec des problématiques tout autres, celle du service gestion administrative et statutaire de la direction des ressources humaines, qu’il a été décidé de tester un processus de formalisation des champs de subsidiarité comprenant plusieurs ateliers collectifs (managers, agents-managers, mixtes) et le test de nouvelles pratiques (« un pas de plus vers la subsidiarité ») entre les agents gestionnaires, la responsable de service, la directrice et la DGA, par exemple en termes de rédaction et signature de courriers, attestations et certificats professionnels (avec, en passant, une complexité propre au service : il faut parfois passer par un arrêté de délégation de signature pour permettre ces nouvelles pratiques). L’expérimentation devrait déboucher sur la coproduction d’un guide à destination d’autres équipes.

À la Carsat Centre-Ouest : concevoir une charte managériale « en subsidiarité »

La Carsat Centre-Ouest s’est saisi d’une opportunité, celle d’un projet de charte managériale autour de la bienveillance et de la santé/sécurité au travail inscrit dans le récent projet d’entreprise, pour expérimenter concrètement la subsidiarité dans une organisation à la culture hiérarchique forte. Et si les premiers concernés (les managers) produisaient eux-mêmes cette charte, plutôt que la direction générale ?

Il s’agit donc de tester la coconception de cette charte par un groupe de managers volontaires, sur un mode expérimental et itératif (les managers testeurs définiront et s’engageront sur un ensemble d’actions et pratiques quotidiennes, facile à mettre en œuvre, à tester auprès de leur équipe en septembre pour nourrir l’élaboration de la charte). Le but : une charte vraiment utile, dans le fond et la forme, que les autres managers puissent s’approprier, car elle a été conçue par leurs pairs, et un collectif managérial reconnu, notamment par le comité de direction, et mis en capacité d’agir plus en autonomie.

À Dunkerque : un cadre de sécurité pour une mission exceptionnelle

Comment poser un cadre clair et imaginer un mode opératoire pour venir en appui des agents à qui on confie une mission exceptionnelle, car ils sont les mieux placés pour la mener, mais qui ont besoin d’être sécurisés ? C’est l’objet de l’expérimentation menée à Dunkerque, avec pour premier terrain le service Logistique animation de la ville de Dunkerque, dont le chef de service a été chargé d’une mission à dimension intercommunale de recensement du matériel des dix-sept communes de la communauté urbaine Dunkerque (CUD). Plusieurs outils et modalités d’accompagnement (numéro vert, lettre de mission, protocole coconstruit, etc.) seront testés en lien avec l’agent chargé de cette mission exceptionnelle, son manager, un parrain et une psychologue du travail. Un cadre de sécurité qui pourra être utilisé et/ou transposé à d’autres situations (notamment dans le cadre d’autres missions exceptionnelles liées à la mutualisation des services entre la CUD et les villes) si le test est concluant.

À Lyon et à Grenoble : se former à de nouveaux modes de management et « routines » d’équipes

À Lyon, l’expérimentation vise à coproduire et tester (en partie) une maquette de form’action autour d’un nouveau mode de management (« Manager à la lyonnaise ») pour accroître l’autonomie des encadrant·es en cohérence avec leurs responsabilités.

À Grenoble, l’objectif de l’expérimentation est de faire découvrir et tester une méthode de gouvernance partagée à des équipes pour clarifier qui fait quoi, valoriser le travail réel (et pas seulement celui de la fiche de poste !), et encourager la prise d’initiative et la créativité des agents dans un cadre sécurisé, où tout est « explicite ». Un parcours d’initiation en mode « jeu sérieux » a donc été conçu et sera testé à la rentrée avec un service de la métropole et un service de la ville.

  1. Dans la lignée de l’enquête « Réflexes publics » sur les innovations nées dans les administrations au début de la pandémie en 2020, le programme « Capacités publiques » propose de préfigurer, par la pratique, l’administration résiliente de demain, en expérimentant autour de trois pistes : le portage d’initiatives spontanées, la micromobilité professionnelle et le management de la subsidiarité (https://www.la27eregion.fr/capacites-publiques).
  2. Guillot L., « Six pistes prospectives pour bâtir les capacités publiques post-covid-19 », Horizons publics sept.-oct. 2020, no 17, p. 90 et s.
  3. Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieur – ici l’Union européenne (UE) –, ce que l’échelon inférieur – les États membres de l’UE – ne pourrait effectuer que de manière moins efficace. Ce principe vise à permettre l’exercice du pouvoir au plus près des citoyens, l’Union n’intervenant qu’à titre subsidiaire. Il a été introduit dans le droit européen par le traité de Maastricht (1992).
  4. « Capacités publiques, renforcer la résilience des administrations », groupe miroir du 20 mai 2022.
  5. Un article publié le 18 juillet 2022 sur le blog « Capacités publiques » (https://capacitespubliques.la27eregion.fr).
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