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Dossier

Les grandes collectivités doivent réinventer le dialogue social

Le 4 juillet 2018

Les évolutions sociétales et les transformations en cours dans les collectivités locales réinterrogent les relations sociales. À l’heure où on parle décloisonnement, mode projet, culture de communication interne, management bienveillant, co-construction, expérimentations de solutions nouvelles issues du terrain, qualité de vie au travail, le dialogue social doit se réinventer.

Résumé

Perçu comme une lourdeur ou un frein par les dirigeants publics, instrumentalisé ou caricaturé par les organisations syndicales à des fins parfois trop individuelles, le dialogue social semble montrer des signes d’essoufflement dans la fonction publique, sur fond de transformation sociétale et d’évolutions technologiques. Comment réinventer ce dialogue social ? Quelles sont les pistes pour lui donner un nouveau souffle ? Quel rôle place les ressources humaines peuvent-elles jouer dans cette nouvelle configuration ? Comment innover pour améliorer la qualité du dialogue social ? Comment mieux associer les agents publics aux transformations ? Comment sortir des cadres hiérarchiques, procéduraux et syndicaux propres à la sphère publique ?

Les deux auteurs, en activité dans des directions des ressources humaines dans les collectivités locales, apportent des éléments de réponse sur toutes ces problématiques.

Aujourd’hui, le dialogue social prend une dimension plus large, sociétale, dans la mesure où les employeurs publics associent de plus en plus directement leurs agents dans la conception et l’évaluation des politiques publiques et dispositifs internes, en particulier grâce aux outils numériques. Ils appellent à imaginer un dialogue social qui s’appuie davantage sur les nouveaux outils digitaux. Par exemple, les start-up RH sont une source d’inspiration pour les décideurs pour renouveler la relation avec les agents.

Ils préconisent également d’aller vers un dialogue social plus prospectif, en rendant obligatoire l’élaboration d’agendas sociaux annuels ou pluriannuels, et recommandent de faire évoluer les instances du dialogue social. Enfin, la formation de toutes les parties prenantes est aussi la clef du succès pour améliorer la qualité du dialogue social dans les organisations publiques.

Un dialogue social à bout de souffle ?

Les jeux d’acteurs, les postures des uns, les passages en force des autres conduisent à une interrogation récurrente sur la légitimité du dialogue social dans la fonction publique. On finit par plus échanger à propos du dialogue social que des sujets de fond ! Il est pourtant évident que la prévention ou la résolution des conflits passe par le développement du dialogue social qui doit recouvrer différents moyens comme la négociation collective, la médiation ou le renforcement des instances représentatives. Si le préambule de la Constitution de 1946 reconnaît aux fonctionnaires des droits sociaux (droit syndical, droit à la grève et droit à la participation), aujourd’hui encore, de grandes insuffisances du dialogue social dans la fonction publique sont régulièrement soulignées. Perçu comme une lourdeur ou un frein par les dirigeants publics, instrumentalisé ou caricaturé par les organisations syndicales à des fins parfois trop individuelles, le dialogue social semble montrer des signes d’essoufflement dans la fonction publique. Les agents publics eux-mêmes semblent douter de son utilité si on en juge par la participation aux dernières élections professionnelles. Si aujourd’hui la négociation sociale est parfois difficile et source de pression, il ne faut pas surestimer l’effet grossissant de certains conflits ou laisser penser qu’on pourrait se priver des corps intermédiaires, à savoir les organisations syndicales. Il faut surtout réfléchir à créer les conditions d’un dialogue social positionné sur les sujets stratégiques.

Nous assistons davantage à des dialogues sociaux qu’à un dialogue social, tant les pratiques sont diversifiées, les syndicats différents dans leur positionnement, tout comme les dizaines de milliers d’employeurs territoriaux. En tant que fonctionnaire territorial, quand on a cette chance de travailler pour et avec différents territoires et niveaux de collectivités, on réalise réellement que le dialogue social fait partie intégrante de la culture locale, de l’histoire socio-économique et, évidemment, de la place des conflits sociaux dans la construction de son identité voire de son modèle de développement local. Force est également de constater, pour avoir travaillé avec des syndicats des secteurs publics comme privés, qu’il n’y a pas de réelle spécificité intrinsèque du dialogue social dans les collectivités par rapport à celui qui a court dans les entreprises, de services notamment. Les organisations syndicales (OS) elles-mêmes travaillent d’ailleurs de plus en plus à exercer leur mandat en transversalité dans le cadre des unions régionales et départementales interprofessionnelles qui se développent, si nécessaire en prenant des positions « très locales », au regard d’orientations nationales plus « généralistes ou idéologiques ». Les collectivités aussi par-delà les clivages politiciens mènent leurs propres politiques de gestion interne, qui émanent de l’exécutif et de la direction générale, quand bien même l’héritage social des mandats précédents ne disparaît pas après les élections. Il est nécessaire de faire un distinguo entre le dialogue social national et le dialogue social local, les deux pouvant se correspondre parfaitement, comme se démarquer selon les besoins. C’est une matière bien vivante et c’est là toute sa richesse. Le terme de dialogue qui implique la présence de deux parties, voire plus et de souplesse, est plus préférable aux termes à la mode de calendrier ou d’agenda social qui ont une connotation plus contractuelle et bilatérale et de fait statique au moins dans leur appellation. Le risque dans tout cela est d’avoir un dialogue social trop cadré et donc inapte à s’adapter et à évoluer en fonction des nécessités locales et temporelles.

Associer les agents publics à la transformation

La valorisation des organisations syndicales passe par un devoir de responsabilité réciproque entre les employeurs et les syndicats. Les premiers doivent garantir l’effectivité des droits syndicaux et leur donner les moyens de fonctionner. Les syndicats doivent utiliser ces droits syndicaux à des fins collectives et porter des revendications dans le respect d’autrui. Ces principes fondamentaux rappelés, qui ne tolèrent aucune dérogation, doivent permettre d’instaurer un climat de confiance.
Celui-ci, comme toute relation sociale, demande du temps, des preuves et de l’écoute. Les prochaines élections professionnelles du 6 décembre, selon le taux de participation, montreront si le dialogue social sait évoluer selon les attentes des agents.

Pour les employeurs, comme les représentants des salariés, l’enjeu principal est de réussir à montrer aux agents – mais aussi aux usagers – en quoi le dialogue social est nécessaire pour préserver la qualité de nos services publics et l’intérêt général, en quoi c’est une richesse que de s’écouter et de construire ensemble et non, pas simplement, une contrainte réciproque de responsabilité. À l’heure où l’on valorise de plus en plus l’intelligence collective dans nos modes de faire, il faut remettre sur les rails des relations de travail porteuses de valeur ajoutée entre les employeurs publics et les OS.

Il ne faut donc pas que les discussions les accords ou les instances paritaires apparaissent comme des éléments de blocage d’évolutions qui sont observées partout autour de nous : nos concitoyens attendent de leurs administrations qu’elles soient à la pointe du changement et non pas en retard.

Dans une société en pleine évolution, où l’intelligence artificielle fait évoluer le travail, le secteur public n’est pas une île, bien au contraire, il doit en être le réceptacle tout en prévoyant les garde-fous garants de l’équité et de l’inclusion de tous. Aujourd’hui, le dialogue social prend donc une dimension plus large, sociétale, dans la mesure où les employeurs publics associent de plus en plus directement leurs agents dans la conception/l’évaluation des politiques publiques et dispositifs internes, en particulier grâce aux outils numériques. Outils que les syndicats investissent aussi de plus en plus (mails, intranet, réseaux sociaux, YouTube, etc.)

Agir par-delà les cadres hiérarchiques, procéduraux et syndicaux

La maîtrise du temps nécessite de planifier et d’offrir une visibilité aux parties. Nombre de collectivités ont mis en place des agendas sociaux pluriannuels qui permettent de prévoir les chantiers à ouvrir avec les organisations syndicales. Des points d’étapes réguliers sur l’avancement des dossiers, pas uniquement lors des instances paritaires mais dans des groupes de travail représentatifs, permettent des échanges plus fluides. La qualité du dialogue social ne se résume pas au nombre de réunions mais aux résultats concrets auxquels elles aboutissent, dans le respect des engagements pris par chacun. Trop souvent, les mises en scène théâtrales débouchent sur des incompréhensions et des accusations de trahison de la parole donnée. C’est pourquoi, il est préférable d’engager la concertation dès le départ, en associant les agents. Trop de dirigeants prétendent faire le bien des agents malgré eux et échouent, par défaut de concertation, à obtenir en comité technique un avis favorable sur un dossier.

Il faut savoir sortir de nos certitudes, voire de nos représentations qui ont vécues, pour associer nos agents, valoriser leurs expertises d’usages, leur redonner du champ pour s’exprimer et agir par-delà les cadres historiques qu’ils soient hiérarchiques, procéduraux, syndicaux, etc.

De nombreuses OS agissent au quotidien pour avoir l’exclusivité de la parole ou de la représentation des agents, afin d’éviter la consultation directe des agents par leur employeur. Si l’on peut comprendre cette position au regard de leur volonté de bien exercer leur mandat syndical et de porter une vision de l’intérêt général, il n’est pour autant pas acceptable que la parole des agents soit confisquée par qui que ce soit. La diversité des positions, mais aussi des médias utilisés, est donc garante d’une réponse qui ne soit pas simpliste mais adaptée à la complexité de nos réalités modernes. Il nous faut donc savoir sortir de nos certitudes, voire de nos représentations qui ont vécues, pour associer nos agents, valoriser leurs expertises d’usages, leur redonner du champ pour s’exprimer et agir par-delà les cadres historiques qu’ils soient hiérarchiques, procéduraux, syndicaux, etc., c’est la condition sine qua non de la représentativité pour les OS et de la qualité de vie au travail pour les employeurs. Le changement générationnel tout comme la révolution digitale vont accélérer tous ces mouvements : ou nous les anticipons collectivement – employeur comme syndicat – ou ils s’imposeront à nous.

S’emparer des nouveaux outils numériques

La DRH doit le faire vivre mais le dialogue social n’est pas l’affaire que de la DRH. Les managers s’enferment parfois trop dans le travail technique au détriment du dialogue social et de la discussion avec les équipes. Par ailleurs, les administrations publiques connaissent de profondes mutations dans un contexte de raréfaction des ressources et de réorganisations qui affectent les agents et les métiers, ce qui crée des situations complexes. Or, c’est précisément dans ces situations complexes que le dialogue social a son rôle à jouer, en amont des transformations et non in fine comme le regrettent de nombreux acteurs d’acteurs. Enfin, je pense qu’il faut aussi imaginer un dialogue social qui s’appuie sur les nouveaux outils digitaux. Les start-up RH sont une source d’inspiration pour les décideurs RH pour renouveler la relation avec les agents. Par exemple, on peut suivre le climat social, l’engagement des agents via des questionnaires hebdomadaires ludiques, pour ensuite objectiver les échanges avec les OS.

Les évolutions sociétales, tout comme les transformations à l’œuvre dans nos organisations publiques réinterrogent, bien sûr l’ensemble des relations internes. Le dialogue social doit s’emparer des nouveaux outils numériques et modes de gouvernance et inversement. À l’heure où on parle décloisonnement, mode projet, culture de communication interne, management bienveillant des collectifs de travail, co-construction, expérimentations de solutions nouvelles issues du terrain, qualité de vie au travail, le dialogue social doit en être le vecteur et le facilitateur. Or trop souvent encore, il est vécu comme un frein. La fonction RH est quant à elle au cœur de ces évolutions et souvent le moteur. En bref, le dialogue social doit être transmetteur de changement et l’accompagner et non pas seulement intervenir dans les situations problématiques, notamment individuelles, qui sont certes du rôle des DRH, des managers en lien avec les OS, mais ce n’est plus là que son rôle est attendu aujourd’hui. D’où les évolutions proposées pour faire évoluer le fonctionnement et les missions des instances paritaires notamment.

Vers un dialogue social plus prospectif

Les DRH sont souvent plus accaparées par l’organisation matérielle et pratique des instances paritaires que par du véritable dialogue social… C’est pourquoi, il faut, d’une part, alléger les procédures, d’autre part, réviser le périmètre des instances. Ainsi, les commissions administratives paritaires (CAP) ne devraient être que des instances d’appel pour les demandes de changement de positions administratives (détachement, disponibilité, etc.). C’est une lourdeur inutile de les réunir pour systématiquement répondre favorablement aux demandes des agents. On doit aussi se poser la question du rapprochement du comité technique et du Comité d’hygiène, de sécurité et  des conditions de travail (CHSCT), voire de leur fusion. Il s’agirait dans la suite des accords de Bercy du 2 juin 2008 de conférer une véritable compétence au CHSCT sur tous les dossiers RH. Actuellement le comité technique (CT) reste l’instance phare, sans doute parce que ses membres sont élus et qu’on cantonne le CHSCT à une vision trop restrictive des conditions de travail. C’est l’occasion de réviser le domaine de compétence du conseil de discipline. L’association des DRH des grandes collectivités porte l’idée que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne relève plus de la compétence du conseil de discipline qui devrait être saisi exclusivement pour les questions de fautes liées à une violation des obligations du fonctionnaire et non de défaillances liées à la manière de servir. Enfin, comme la qualité du dialogue social dépend de la bonne volonté des parties, il faut poser les conditions pour cela. Nous portons la proposition de rendre obligatoire l’élaboration d’agendas sociaux annuels ou pluriannuels, présentés lors des orientations budgétaires. C’est une garantie de visibilité des politiques RH.

Le dialogue social sera ce que nous décidons collectivement d’en faire dans nos fonctionnements, il peut clairement gagner des outils numériques tout comme être totalement ostracisé s’ils n’intègrent pas ces nouveaux modes d’interrelations et l’immédiateté recherchée notamment par les nouvelles générations.

La formation, une condition de la transformation

Les lourdeurs administratives obèrent effectivement le déploiement d’une fonction RH plus investie sur la qualité de vie au travail au sens large, alors même que c’est là qu’elle est attendue par nos agents. Il en est de même pour le dialogue social qui doit monter d’un cran pour aborder et peser sur les choix stratégiques, qui préparent l’avenir de nos organisations et nos personnels. Pour ce faire, il doit être plus prospectif que réactif et se situer dans son temps. À cette condition, il restera légitime et crédible. Les instances paritaires doivent donc être revues à l’aune de ces enjeux et non pas assurer la seule continuité de combats sociaux. Leurs membres doivent tous bénéficier d’une formation à l’image de ce que nous développons pour les cadres. Il en va de l’impact en termes de participation des agents à un projet d’avenir pour leur collectivité, pour leur poste de travail, pour le développement de leurs compétences et de leur bien-être. Au cœur de tout cela, les missions des managers sont aussi en mutation : ils sont davantage responsabilisés, d’une part et outillés, d’autre part. Nous développons les leviers managériaux et créons des dispositifs de soutien. Fluidifier le recours aux instruments disciplinaires fait partie de cette dynamique. Le pendant est un renforcement de la mission d’accompagnement des agents dans le cadre d’une l’amélioration plus globale de l’expérience collaborateur pour les aider à s’adapter aux évolutions rebondir si besoin.

La qualité du dialogue social dépend avant tout des intentions des acteurs. Donc les réseaux sociaux ou autres outils digitaux ne signifient pas la fin du dialogue social. Mais il est clair que toutes les procédures, toutes les instances officielles ou informelles, peuvent ne servir à rien si le dialogue se résume pour l’administration à donner de l’information et pour les syndicats à critiquer tous les projets. C’est pourquoi, l’écoute nécessite pour les organisations syndicales une plus grande acculturation aux contraintes administratives, réglementaires et financières. C’est pourquoi, de plus en plus de collectivités organisent des formations pour les sensibiliser à de nouveaux enjeux. Si la finalité des organisations syndicales est de défendre les intérêts des agents, elles doivent aussi admettre que les administrations publiques optimisent les services aux citoyens dans un environnement contraint. En parallèle, les employeurs publics doivent impérativement accompagner ces transformations d’améliorations des environnements de travail des agents. C’est la conciliation de ces trois critères qui permettra au dialogue social de se renouveler.

La désintermédiation et l’ubérisation de nos sociétés ont un impact non négligeable sur nos quotidiens, questionnant de plus en plus la place de certains services publics et donc les missions des agents publics. Pour autant, la relation humaine reprend une dimension nouvelle, porteuse de valeur ajoutée, de promotion et revalorisation de nombreux métiers (du care notamment). Le dialogue social sera ce que nous décidons collectivement d’en faire dans nos fonctionnements, il peut clairement gagner des outils numériques tout comme être totalement ostracisé s’ils n’intègrent pas ces nouveaux modes d’interrelations et l’immédiateté recherchée notamment par les nouvelles générations. L’impact de la toile se fait sentir partout, on a toujours besoin de professeurs et de chercheurs même si les connaissances sont accessibles partout, tout le temps. Nous avons justement besoin de garants de leur juste compréhension et parfois de garde-fous : si le dialogue social se connecte à ces besoins, il en ressortira légitimé à nouveau, tant du point de vue des syndicats que des employeurs, œuvrant tous deux au bénéfice des agents mais aussi in fine de notre raison d’agir à tous : la qualité du service public.

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