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Fonction publique : moderniser hors la loi

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Le 6 juin 2019

Il n'y a rien d'évident à être un agent public en 2019. Outre que cela fait 15 (100 ?) ans que les fonctionnaires sont l'objet à la fois d'un dénigrement de leur utilité et d'une critique de leur nombre, sans que rien ni personne n'ait fait la démonstration qu'il était judicieux de le réduire, le service de l'action publique n'est pas de tout repos au quotidien : l'école, l'hôpital, la police, les tribunaux sont des lieux où la complexité et la détresse croissantes du monde se cristallisent, mais où la capacité à la prendre décemment en considération ne tient souvent plus qu'à un fil - quand celui-ci n'est pas rompu. Dans les services déconcentrés de l'État, dans les administrations centrales, dans certaines grosses collectivités locales... le désarroi est souvent le même.

Il y a un paradoxe à constater une certaine dévitalisation et une perte de sens de la fonction publique, alors que les transformations du monde qui sont en cours (et que dire de celles qui sont devant nous...) devraient la placer au cœur d'une mobilisation commune telle que la France en a connu dans quelques moments clés de son histoire.

Les enjeux qui découlent du dérèglement climatique sont immenses : ils appellent à une transformation des modes d'intervention des acteurs publics, comme d'ailleurs les révolutions numériques successives qui, mal comprises et mal chevauchées par l'État, ont réduit plutôt qu'augmenté son pouvoir d'agir et sa légitimité. En la matière, les acteurs privés, notamment associatifs et coopératifs, expérimentent et méritent d'être écoutés (sinon imités) et d’inspirer.

Plutôt que de profiter de la discussion de la loi de "transformation de la fonction publique" pour donner le cap, le sens, les outils et la confiance nécessaires à une telle mobilisation, tout se passe comme si la pensée de l'État et de l'action publique avait déserté les élites françaises, qui lui préfèrent l'imaginaire des startups, sorte de "nouveau" nouveau management public où l'agilité, l'Ux design et la plateformisation ont pris la place du lean, des KPIs et des PPP - les premiers comme les derniers n'étant ni bons ni mauvais en soi, mais dans l'usage fétichiste qui peut en être fait.

Dans ce contexte, tous les agents publics ne se désinvestissent pas. Celles et ceux qui sont en première ligne, face ou aux côtés des usagers et des citoyens, ne peuvent se le permettre. Mais nombreux sont ceux qui doutent et sont à la peine, au fur et à mesure que l'écart entre leur vocation et leur quotidien se creuse. C'est là, aussi, que viennent se nicher les épuisements professionnels, parfois jusqu’aux suicides qui touchent notamment les policiers et les professionnels hospitaliers.

Pour tenir bon ou pour préparer l'avenir (l'urgence et le long terme seront bientôt réconciliés par le climat), pour maintenir une fierté du travail bien fait et du service public, certains se créent des marges de manœuvre et des espaces de liberté. Seuls ou à plusieurs. Une sorte d'éthique du guichet : ce sont sans doute les agents qui accueillent le public aux guichets qui ont su développer le plus tôt, comme une condition de survie, une sorte de routine de l'exception.

Peut-être trouve-t-on, dans un tel état d'esprit, de quoi dessiner quelques perspectives pour les années qui viennent. Si les consignes ne sont pas à la hauteur des enjeux, n'y a t'il pas une vertu à s'en donner d'autres, à titre expérimental, et à revendiquer un droit à l’initiative couplé à un devoir d’exploration, avec pour boussoles la poursuite de l’intérêt général, l’éthique publique, la décence ordinaire et le bénéfice pour les usagers ? Cela peut commencer seul et petit - une information échangée avec un autre service, une relation établie avec un autre niveau de collectivité - mais cela gagnerait à faire l'objet de coopérations plus larges, tant au sein des acteurs publics qu'avec des acteurs extérieurs : organisations de la société civile, chercheurs, élus locaux …

Les agents peuvent se créer et trouver des marges de manoeuvre. Cela leur serait d'autant plus facile si les "décideurs", chefs d'administration et élus, faisaient évoluer leur conception de leur propre rôle. Dans un monde complexe et mouvant, qui se prête mieux à l'essai-erreur et à l'adaptation aux contextes locaux qu'à la décision et à la norme, le rôle des cadres est davantage d'orienter, d'autoriser et de faciliter l'initiative des agents publics, que de dicter et de réclamer obéissance.  Il s’agirait là, au plus haut niveau, d’un profond changement culturel. 

À un an des élections municipales, souhaitons que des candidats éclairés chercheront à renouveler le rapport entre politique et administration, pour le bien des Français.

Cécile Avezard, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts
Romain Beaucher, associé de Vraiment Vraiment
Alain Biriotti, 
facilitateur, Co-design It
Thibaut Chéron, administrateur territorial, directeur financier
Xavier Figuerola, designer, associé de Vraiment Vraiment
Laura Pandelle, designer à La 27e Région
Giulia Reboa, fonctionnaire d'Etat
Francis Rol-Tanguy, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts

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