Fabriquer en ville, un défi ?

©Choukhri Dje pour la Mairie de Paris.
Le 28 mars 2019

Le hacking de l’Hôtel de Ville réunissait le 21 mars dernier 3 500 acteurs de l’innovation du monde entier. Nous avons assisté au débat intitulé « la Fabrique en ville, un changement de paradigme » qui s’est tenu dans la salle du Conseil en présence de Jean-Louis Missika, Adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, d’Alysée Flaut, responsable communication de KickMaker (Communauté d’ingénieurs passionnés de nouvelles technologies, experts du passage du prototypage à la série de produits high tech), de Benjamin Carlu, co-fondateur d’Usine IO (qui accompagne les porteurs de projets novateurs dans la définition, le maquettage, le prototypage et l’industrialisation de leur produit) et modéré par Albane Godard, directrice de l’Urban Lab, le laboratoire d'innovation urbaine de Paris&Co.

Ce rendez-vous destiné à parler de l’avenir de la fabrique d’objets en ville démarre par une brève introduction sur la transformation de la physionomie parisienne.

Jusque dans les années cinquante, la capitale possède de nombreux ateliers et petites usines, la population parisienne se compose de 65% d’ouvriers. En 2010, ils ne sont plus que 29%. L’activité productive a été progressivement renvoyée en périphérie en raison des nuisances sonores, auditives qu’elle provoque et du manque d’espace pour accueillir les ateliers.

Suit un travail de définition de la fabrique en ville en 2019. Benjamin Carlu rappelle que la dernière usine parisienne se trouve quai de Jemmapes. Elle appartient à la marque Exacompta produisant sur place des chemises à rabat. Les trois intervenants s’accordent à dire que les porteurs de projet innovants ont besoin de fabriquer des prototypes rapidement en travaillant avec des fournisseurs locaux.

Alysée Flaut évoque la vision industrielle de la fabrique dans la capitale de Kickmaker avec l’ouverture prochaine d’un espace de 600m2 dédié à l’assemblage, permettant de rapprocher R&D et designers. Ces micros-usines modulaires favorisent une certaine flexibilité dans le développement de produits et la réduction des coûts par le biais de la mutualisation.

Pour Jean-Louis Missika, après l’ère de désindustrialisation amorcée sous le gouvernement Rocard, on assiste aujourd’hui à une remise en cause du modèle dominant avec les craintes suscitées par les ambitions de la Chine et la contestation environnementale. La question du circuit court, du réemploi et de l’économie circulaire se pose.

Vient ensuite le thème du lieu de production. Il s’agit de trouver un espace ne générant pas de crispation dans son environnement immédiat. Les trois intervenants coïncident sur le fait qu’il paraît difficile de réintroduire des activités générant des nuisances ou de la pollution. En revanche il y a de la place pour créer en petites quantités, des séries compactes, dans des espaces modulaires. En la matière Jean-Louis Missika donne l’exemple du label « Fabriqué à Paris » et insiste sur deux axes de la politique de la ville : la réactivation d’hôtels industriels pour accueillir des pépinières d’artisans et entrepreneurs « made in Paris » et la subvention accordée aux entreprises innovantes grâce à un accord passé avec la BPI.

Ce changement de paradigme nécessite une bonne gestion des compétences. Pour Alysée Flaut, en ouvrant un nouvel espace dans Paris, on évitera le départ des entrepreneurs pour l’assemblage de leurs produits, ils passeront davantage de commandes dans la région. Benjamin Carlu observe que le profil des porteurs de projet évolue. Auparavant majoritairement technique, il compte parmi les entrepreneurs qu’il accompagne 50% de personnes axées sur les solutions mais ne disposant pas de compétences techniques. Ils doivent donc découvrir l’univers industriel, se créer un réseau et se former.

Pour Jean-Louis Missika, la filière du luxe constitue un exemple de préservation des savoir-faire et distinguant Paris des autres capitales de la mode.  Il considère qu’il faut aller chercher des savoir-faire inventés dans les années cinquante, aujourd’hui en voie de disparition : que ce soit dans le domaine maraicher (80% de la production était assurée en petite couronne au sortir de la guerre), dans celui du rafraichissement des bâtiments, un sujet majeur pour les villes du futur exposées au réchauffement climatique, dans la filière bois. Selon lui toutes les activités humaines sont concernées par ce changement de paradigme.

Parmi les produits potentiellement fabriqués en ville, Alysée Flaut cite Wandercraft, une entreprise produisant un exosquelette permettant aux paraplégiques de marcher de façon autonome, Lunii, une boite à histoires audio pour les enfants ou encore des produits technologiques comme des vélos électriques ou des trottinettes. Quant à Jean-Louis Missika, il partage l’histoire d’Expliseat un fabricant de sièges d’avions en titane, successivement installé à Toulouse, dans le centre de la France avant de choisir de regagner un hôtel industriel de 600m2 dans le 11e arrondissement à Paris afin de se rapprocher des équipes de R&D.

En conclusion il apparaitrait qu’une place est bien à prendre en ville pour produire des petites séries d’objets à haute valeur ajoutée, à condition de revaloriser les métiers de la technique et de l’industrie, d’accepter cette nouvelle phase de la révolution numérique où les métiers conjuguent des aspects manuels et intellectuels.

Transformer Paris en ville productive, le plan de la mairie de Paris

La Ville de Paris a lancé en 2016 le plan « Fabriquer à Paris » afin d’encourager le développement et la relocalisation en ville des activités de fabrication et de production. L’objectif est d’accompagner l’émergence de filières de fabrication innovante et de transformer Paris en ville productive. Cette démarche fait écho au changement de paradigme auquel nous assistons qui encourage la production locale de produits plus durables et contribue ainsi à l’émergence d’une économie dé-carbonée. Le 19 février 2019, la Ville de Paris et Bpifrance ont lancé le PIA Fabrication pour soutenir la fabrication innovante.

 

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