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Le maire, une vocation qui se professionnalise

Le 9 avril 2019

Fabien Bazin, maire de Lormes (Nièvre, Morvan) et Jean-Marc Morvan, maire d’Orcines (Puy-de-Dôme, Auvergne-Rhône-Alpes) exercent la fonction de maire depuis de nombreuses années. Ils ont accepté, pour Horizons publics, de réagir à notre dossier. Ils s’accordent notamment à dire que le quotidien de maire est devenu de plus en plus complexe et défendent l’importance de leur rôle en tant qu’élu de proximité, proche des habitants.

Fabien Bazin

Fabien Bazin est maire de Lormes (1 400 habitants) et vice-président du conseil départemental. Très impliqué dans sa commune, il milite pour réinventer l’action publique locale en associant davantage les habitants. Il est à l’origine du « bouclier rural » : proposition pour faciliter l’accès aux services publics, adapter la fiscalité aux petits commerces, dynamiser l’accompagnement bancaire de l’activité sur le modèle de la loi américaine de réinvestissement local de l’épargne (Credit Reinvestment Act), déployer la fibre optique partout et pour tous, mettre en place une véritable péréquation entre villes et campagnes et lutter contre les déserts médicaux. Il est également impliqué dans une démarche prospective pour imaginer les villages du futur dans le Morvan.

On vit « une transformation majeure » pour reprendre l’expression de Michel Serre. Le maire se retrouve en première ligne et a ainsi une responsabilité énorme. La crise des gilets jaunes et plus globalement la transformation de la société nécessitent de repenser l’action publique de fond en comble !

Jean-Marc Morvan

Jean-Marc Morvan est maire d’Orcines (3 336 habitants) depuis 2008. Élu de terrain, il est aussi très investi dans l’innovation de son territoire. Il est vice-président, en charge de l’université, la recherche, l’innovation et l’attractivité à Clermont-Auvergne métropole.

 C’est devenu un métier à part entière qui demande beaucoup d’énergie. Pour réussir, il faut avoir eu plusieurs activités dans sa vie.

Quel est votre quotidien ?

Fabien Bazin – Nous sommes en suractivité à tout point de vue, c’est une période compliquée pour tous ceux qui sont dans l’action publique. Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer cette situation : quatre ou cinq générations cohabitent grâce à l’allongement de l’espérance de vie, 50 % des métiers dans dix ans n’existent pas aujourd’hui, les réformes territoriales, les bouleversements climatiques et la crise des gilets jaunes. On vit « une transformation majeure » pour reprendre l’expression de Michel Serre. Le maire se retrouve en première ligne et a ainsi une responsabilité énorme. La crise des gilets jaunes et plus globalement la transformation de la société nécessitent de repenser l’action publique de fond en comble !

Jean-Marc Morvan – Nous sommes toujours sur le feu. Le rôle du maire est de faire de la pédagogie au quotidien en expliquant aux administrés que nous devons gérer des transferts de compétences, de budget et de personnel. Avec les réformes territoriales, nous avons, par exemple, transféré la voirie, l’eau et l’assainissement à la métropole, ce qui implique des délais de réaction plus longs et parfois l’incompréhension de nos concitoyens. Je suis souvent interpellé par les habitants car nous avons été élus en 2014 avec des projets que nous ne pouvons plus réaliser aujourd’hui en raison des baisses de dotation qui n’étaient pas prévues, des transferts de compétences ou encore de décisions qui viennent d’en haut (changement des rythmes scolaires, suppression de la taxe d’habitation, etc.). Il y a un ras-le-bol de ces changements permanents.

Être maire, est ce devenu un métier ?

Fabien Bazin – Très clairement, je vois mal comment répondre à tous ces défis si on n’exerce pas ce mandat à plein-temps et si on n’a pas une connaissance fine de l’ensemble des bouleversements en cours. Nous changeons de paradigme et de repère.

Jean-Marc Morvan – C’est devenu un métier à part entière qui demande beaucoup d’énergie. Pour réussir, il faut avoir eu plusieurs activités dans sa vie. J’ai travaillé dans le privé, dans l’associatif et dans le public. La difficulté est technique aussi, le suivi des dossiers, les recherches de subventions ou encore les nouvelles normes (permis de construire) imposent de se former en permanence. Le maire doit avoir des projets qui ne coûtent pas cher pour ne pas augmenter les impôts. Il consiste aussi à chercher des financements au niveau de la région, de la métropole, de l’Europe. Nous sommes, par exemple, en train de reprendre des travaux de rénovation de l’école de notre village grâce aux subventions de la métropole.

L’offre de formation et le statut de l’élu local sont-ils suffisants pour permettre au maire de remplir leur mission de proximité ?

Fabien Bazin – La meilleure formation est celle qui se fait entre pairs, et je ne suis pas sûre que l’offre actuelle soit suffisante. Les transformations de la société sont tellement importantes que l’action des maires doit aujourd’hui se situer dans la réinvention des politiques locales, non dans des formations dépassées ou un statut figé. Nous expérimentons dans le Morvan une démarche originale, basée sur la participation des habitants et des citoyens, intitulée « Les villages du futur ». Cela consiste à faire intervenir un architecte, un paysagiste et un designer de service pour bâtir la vision du village à 50 ans en évitant les lieux institutionnels mais plutôt dans les cafés, là où bat la vie du village. Il faut reprendre le goût de refaire les choses ensemble et imaginer collectivement le commerce du futur dans les villages pour lutter contre les drones et Amazon. Nous avons créé, par exemple, quatre boutiques associatives. Le rôle du maire est celui d’un animateur local, il doit agglomérer différents talents. Dans le mot maire, il y a le verbe « aimer ». Il y a une dimension très charnelle au métier de maire. On doit faire de la dentelle pour chaque territoire. La ruralité mérite un traitement particulier, comme nous l’avions proposé avec le projet de « bouclier rural » (proposition de loi qui posait un certain nombre de principes : l’accès aux services publics, le très haut débit Internet, interroger la question de l’installation des médecins généralistes, la fin de la fermeture des hôpitaux de proximité, soutien des circuits courts, etc.).

Jean-Marc Morvan – Pour être franc, un maire n’a pas le temps de faire des formations la semaine. C’est surtout grâce à l’acquis de l’expérience, la connaissance des collectivités, le tissage de toute la toile depuis la préfecture jusqu’à la permanence locale, que le métier de maire s’apprend. Nous avons quelques formations, le plus souvent proposées par l’AMF, comme une journée de formation sur le PACS, qui sont aujourd’hui faites par les mairies. Nous avons été obligés de nous former. La meilleure formation, c’est le territoire, la commune. Il faut passer dans les villages, taper aux portes au lieu de passer à toute vitesse en voiture…

En avez-vous déjà eu ras-le-bol ?

Fabien Bazin – Oui tous les jours, cela vaut pour tous les élus. L’homme à tout faire de la République c’est le maire. Nous vivons les problèmes de nos concitoyens, des moments heureux comme les naissances aux épisodes plus difficiles comme les suicides ou les situations dramatiques de ceux qui cherchent un emploi qu’on souhaiterait aider… Les frustrations sont nombreuses car cela ne va jamais assez vite, nos partenaires comprennent mal ce qu’on veut construire localement. Il y aussi des immenses joies, le sentiment d’être utile lorsqu’un projet voit le jour.

Jean-Marc Morvan – Je puise mon énergie dans les soucis, c’est souvent ce que j’ai coutume de dire. C’est plus qu’un métier, c’est une vocation et un investissement de tous les instants. Je comprends le mouvement de ras le bol des maires, car nous sommes toujours en première ligne pour répondre aux crises. La crise des gilets jaunes l’a bien montré.

Quel regard portez-vous sur le Grand débat national ?

Fabien Bazin – Les maires ruraux reviennent au centre du jeu, l’utilité du Grand débat est réelle ; c’est toujours bien de discuter ensemble, c’est une bonne chose. Pour avoir fait six ou sept grands débats, ce qui revient souvent c’est que ces débats ne changeront rien, mais il faut continuer à se voir sur des sujets d’enjeux locaux.

Jean-Marc Morvan – Au niveau de la commune, nous avons ouvert un cahier de doléances. Nous avons fait remonter ces doléances via l’AMRF, celles-ci ont été remises au président de la République. C’est positif car cela permet d’écouter toutes les doléances. Mais il faut savoir ce qui va ressortir du Grand débat national…

Les représentants des trois principales associations d’élus locaux, Association des maires et des présidents d’intercommunalité (AMF), Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France ont remis le 13 mars dernier leur contribution au Grand débat national, qui appelle à aller encore plus loin dans la décentralisation1. Que pensez-vous des propositions de Territoires Unis au Grand débat national ?

Fabien Bazin – Très bien, mais peut mieux faire ! Ce qui est à l’ordre du jour, c’est le sujet de la co-production des grands choix publics par les gens, il faut penser un nouveau rapport à nos concitoyens : où sont-ils dans l’histoire ? Il faut sortir d’une approche trop technocratique, il faut aller plus loin en transformant l’action publique locale pour associer tous les citoyens (budgets participatifs, design de service, etc.).

Jean-Marc Morvan – Je suis plutôt d’accord avec ces propositions. Mais aujourd’hui, on nous demande de mettre les bâtiments en conformité et on nous supprime les dotations. Remettre la commune au centre de la démocratie de proximité nécessite des moyens. Si la métropole ne met pas la main à la poche, c’est devenu compliqué et impossible. Nous avons encore la chance d’avoir un bureau de poste aujourd’hui à Orcines, mais peut-être plus pour très longtemps car il y a une vraie chute du taux de fréquentation. Le rôle du maire est aussi d’inciter les habitants à se servir des services publics de proximité.

Comment imaginez-vous le maire dans 50 ans ?

Fabien Bazin – L’élu de demain sera mieux reconnu et travaillera à temps plein sur sa (ou ses) collectivité(s). Sa préoccupation première sera d’associer les citoyens aux décisions locales qui contribueront et participeront activement aux politiques publiques locales.

Jean-Marc Morvan – Demain, quand il y aura plus de maire, vous sortirez avec des pancartes pour trouver un nouvel élu de proximité vers qui se tourner en cas de problème. Le maire de demain aura un rôle de chef d’entreprise, l’élu de demain devra avoir des connaissances, cela pourrait devenir un métier, mais au risque de perdre « l’esprit du maire ». Les élus d’aujourd’hui ne seront pas ceux de demain !

1. Le document « Contribution de territoires unis » au Grand débat national fixe les 5 objectifs d’un acte III de la décentralisation : 1 – Réformer les principes organisant les relations entre l’État et les collectivités locales afin de garantir leur libre administration ; 2 – Assurer réellement l’autonomie financière des collectivités territoriales ; 3 – Mettre la commune au centre de la démocratie de proximité ; 4 – Renforcer le rôle des collectivités dans les politiques publiques assurant la cohésion sociale et territoriale de la Nation ; 5 – Établir une nouvelle répartition des compétences concernant certaines politiques publiques de proximité ;

Les propositions de Territoires Unis au Grand Débat National

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