Des labs à la croisée des chemins ?

Les labonautes en action
Comment aider les laboratoires d’innovation publique à porter des ambitions de transformation plus fortes à l’avenir ?, cela a été le fil conducteur du programme Les Labonautes animé par la 27e Région, le TiLab à Rennes, et la Direction Interministérielle à la Transformation Publique (DITP), Une vingtaine d’animateurs de labos, praticiens, professionnels et chercheurs ont mené l'enquête entre janvier 2022 et mai 2023.
©https://leslabonautes.la27eregion.fr/
Le 24 août 2023

Pour gagner en connaissance, en maturité et en compétences afin de changer d’échelle, les laboratoires d’innovation publique qui se sont multipliés ces dernières années doivent se réinventer. C’est le constat partagé des participant.e.s au programme de recherche-action Les Labonautes qui a exploré durant près de 18 mois l’avenir des labs et a publié en juin dernier labonautes.fr un site internet de ressources pour passer à l’action.

« Après 10 ou 15 ans d’existence, les labs tels qu’on les connaît aujourd’hui n’ont pas encore véritablement transformé l’action publique. Pourquoi est-ce aussi difficile ? Il existe des marges de manœuvre nouvelles pour faire mieux et pour produire des effets plus transformateurs », explique Stéphane Vincent, délégué général à la 27e Région à l’initiative du programme d’enquête-action Labonautes, mené entre janvier 2022 et mai 2023 avec le TiLab à Rennes, la Direction Interministérielle à la Transformation Publique (DITP) et un noyau dur de compagnons de route de l’innovation publique.[1]

Plus de 80 laboratoires d’innovation publique

En effet, l’une des tendances marquantes ces dernières années dans l’écosystème de l’innovation publique, c’est la multiplication des laboratoires d’innovation publique au sein des ministères, des préfectures de régions, des collectivités territoriales, d’hôpitaux et d’opérateurs. La Direction interministérielle à la Transformation publique (DITP), la cellule innovation de l’État, anime et fédère une communauté de plus de 80 labs. Et pour y voir plus claire sur qui fait quoi, elle remet à jour un « Atlas des laboratoires d’innovation publique » qui a été publié pour la première fois en novembre 2022, à l’occasion du Mois de l’innovation publique. Les labs jouent clairement un rôle essentiel pour diffuser la culture de l’innovation dans les administrations (méthodes d’intelligence collective, innovation managériale, développement de la créativité, imaginer des solutions nouvelles avec les usages et les agents publics…).

Les laboratoires d'innovation publique en France

Le réseau des labs est d’ailleurs soutenu au plus haut niveau de l’État, notamment par Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation et de la Fonction Publiques, pour qui « les laboratoires d’innovation publique sont des outils clefs pour la transformation publique ».[2] Cependant, quelle que soit leur taille, ces labs luttent toujours un peu pour leur survie à long terme… et ils peuvent être confrontés à pas mal de difficultés. Le programme de recherche-action, les Labonautes destiné à « explorer l’avenir des labs d’innovation publique », en a justement dressé une typologie : les labs qui restent de simples « boites à outils », des labs perçus comme des « postes de coût », des labs utilisés comme de simples consultants internes, des labs un peu « hors champs » trop liés au top management…

Certains labs ont été instrumentalisés, d’autres sont restés plus indépendants en construisant une certaine autonomie. Il existe aujourd’hui une diversité de situations », précise Stéphane Vincent, qui a participé avec ses équipes de la 27e Région aux huit ateliers participatifs du programme Les Labonautes.

Tirer les enseignements pour aller plus loin

Les Labonautes a permis justement de tirer un certain nombre d’enseignements sur les limites rencontrées par les labs. Premier constat partagé par les responsables de labs, praticiens, professionnels et chercheurs qui ont participé au programme : les finalités de l’innovation publique demeurent encore trop floues.

Il y a un besoin de clarification, d’explicitation, de sortir du flou et d’être plus transparent : les labs doivent décrire plus clairement quelle(s) finalité(s) ils poursuivent vraiment, à quoi ils servent ? et comment ils s’y prennent pour le faire ?

« Très concrètement, ils pourraient produire leur « théorie du changement »[3], une méthode pour dire en quelques mots la finalité, les méthodes, comment on va mesurer, sortir du flou, de la confusion, du risque d’innovation washing », explique le délégué général de la 27e Région. Les labs pourraient aussi réfléchir à de nouvelles ambitions, comme par exemple mieux prendre en compte la justice sociale, mieux articuler transition écologique et l'innovation publique ou encore faire du féminisme un levier de transformation publique.

Deuxième enseignement : le besoin d’une montée en connaissance sur les méthodes, outils et concepts en matière d’innovation et de transformation. « Les innovateurs publics utilisent seulement 10 % des outils et méthodes de l’innovation, toujours le design orienté utilisateur, les sciences comportementales, les techniques de facilitation ou encore les méthodes d’enquête sociologiques alors qu’il y a plein de concepts et de théories nouvelles », précise notre interlocuteur.

Bref, les méthodes d’innovation classiques ne sont plus suffisantes pour embrasser la complexité et les nouveaux enjeux (transition écologique, justice sociale, ré-humanisation des services publics…).

Parmi les méthodes d'innovation nouvelles, les labonautes en présentent quelques unes sous la forme de fiches pratiques synthétiques (c'est quoi ? Quelle est la méthode ? Pourquoi c'est utile ? D'où ça vient ?). Il y a par exemple l'approche systémique [4] pour aborder des problèmes plus complexes, le design systémique, «une méthode d’innovation itérative basée sur la pensée empathique et la pensée systémique», le proofmaking, une méthode d’innovation fondée sur la preuve ou encore la théorie du U, «un processus de transformation en 7 étapes, qui vise à dépasser l’attention aux symptômes, les problèmes visibles».

Cartographie des différents courants de l'innovation

L’agence d’innovation britannique Nesta a cartographié une centaine de concepts, d’outils et techniques mobilisés dans l’innovation publique.

Le programme a permis aussi d’identifier un vrai besoin de formation initiale et continue des responsables et agents qui travaillent dans les labs, mais aussi de se rapprocher du monde de la recherche. Il faut aller plus loin que l’échange de bonnes pratiques entre pairs certes nécessaire mais encore trop dans la sensibilisation plutôt que la connaissance.

Troisième enseignement, les innovateurs publics doivent intérioriser davantage les marges de progrès et se situer dans une trajectoire de progression.

« Dans les Labonautes, nous avons conçu un outil de montée en maturité inspirée de la « matrice de montée en maturité »[5] pour identifier quatre paliers de progression des labs », précise Stéphane Vincent. Les labs sont invités à se positionner sur cette échelle avant de se questionner, de s’inspirer de ressources et de passer à l’action.

L'échelle des ambitions labonautes

Les labs sont invités à se positionner sur une échelle comprenant 4 paliers, inspirée de la « matrice de montée en maturité » pour identifier leur marge de progression. Ici, c'est l'échelle des ambitions disponible sur les labonautes.fr

Autre enseignement : les labs doivent être des espaces de réflexion sur les controverses de l’innovation publique, ils ne doivent pas être de simples exécutants de l’action publique. Des lieux pour enrichir le débat public et mettre en œuvre l’innovation tout en la questionnant, d’où l’importance de rapprocher davantage le mondes de labs et celui de la recherche.

Les chercheurs ne travaillent pas suffisamment avec les labs, et vice-versa. Il n’existe pas de cartographie des controverses de l’innovation publique, il y un vrai enjeu à rapprocher les innovateurs publics des chercheurs.

Enfin, dernier enseignement, la dimension politique des laboratoires d’innovation publique doit être (re) posée. « Les labs doivent construire leur indépendance, assumer l’existence de tensions et ne pas hésiter à traiter les risques de dépolitisation de l’action publique », confie Stéphane Vincent.

Des ressources et des recommandations pour aider les labs à s’émanciper

Les initiateurs du programme ont mis en ligne labonautes.fr, un site pédagogique qui recense une centaine de ressources pour aider les labs et les innovateurs publics « à progresser dans le sens d’une transformation plus ambitieuse, et à traiter des problèmes toujours plus complexes. Labonautes.fr se veut ainsi « une source d'inspiration et d'ouverture, une boussole pour s'orienter et construire son propre chemin vers une innovation publique plus transformatrice, voire plus radicale » peut-on lire sur le site.

Neuf leviers d’action sur lesquels les labs peuvent agir dès maintenant pour changer d’échelle sont identifiés : le(s) ambition(s), les projets, les compétences, la gouvernance, l’évaluation, le management, le modèle de financement, la collaboration et les méthodes.

Pour chacun de ces axes, le site propose une échelle pour se positionner, des questions à se poser, des ressources pour s’inspirer, et des outils pour passer à l’acte. Une carte en grand format « Quel lab êtes-vous ? » à télécharger en PDF permet de réaliser son auto-diagnostic avant de passer à l’action.

Carte "Quel lab êtes-vous ?" Labonautes

Fruit de la réflexion collective, Les Labonautes débouchent aussi sur 12 recommandations pour donner une suite, l’enjeu étant de faire atterrir ce programme. 4 grandes familles d’action ont été identifiées : encourager le compagnonnage et les communautés apprenantes, développer la recherche dans l’innovation publique et les laboratoires d’innovation, outiller la formation initiale et continue et repenser la gouvernance de l’innovation publique, et les statuts et carrières dans l’innovation publique. « Les innovateurs publics sont dans une forme de précarité, les statuts sont fragiles… On sait que la précarité produit des effets, comme la rotation et le turn over des équipes… Il y une question radicale à se poser sur les statuts des gens en charge de l’innovation publique. Tous les designers par exemple sont des contractuels, en CDD, avec des statuts précaires », alerte Stéphane Vincent.  Voilà de quoi inspirer les décideurs publics et nourrir les futurs projets des labs...

[1] Ce noyau dur est composé du Lab AH, la Fabrique à Projets, la Base à Bordeaux, l’EHESP à Rennes, l’Université de Paris Créteil, l’agence Itinéraire Bis, l’agence Nuunat à Lyon, l’agence GRRR à Nantes, des experts permanents et ponctuels (Cécile Robert à Sciences Po Lyon, Emmanuel Bodinier, Mickaël Poiroux…).

[2] Editorial, Atlas des laboratoires d’innovation publique, mai 2023

[3] La théorie de changement est issue de la théorie du programme en évaluation (dont fait partie l’analyse du cadre logique, Cf l'axe "Evaluation") auquel on ajoute une préoccupation pour la participation et l’apprentissage. Elle a formellement été proposée par Carol Weiss en 1995 (Weiss, 1995). La technique s’est ensuite popularisée au cours des années 2000 avec la publication de guides et de ressources par, notamment, la Kellogg Foundation (W.K. Kellogg Foundation, 2004) et l’Aspen Institute (Anderson, 2005). Source : labonautes.fr

[4] L’approche systémique cherche à résoudre des problèmes complexes en les analysant, en s’attachant davantage aux échanges entre les parties d’un système plutôt qu’à l’analyse des parties. Elle convoque le principe d’homéostasie, qui analyse des mobilités et les “états stables” possibles d’un système. Source : labonautes.fr

[5] Une matrice de montée en maturité désigne un ensemble d’étapes à franchir entre une nouvelle connaissance et son application opérationnelle. Les matrices de montée en maturité peuvent aider à identifier les degrés de progression d’une organisation publique en matière d’innovation, d’un laboratoire ou d’une équipe en charge d’innovation, ou encore des projets d’innovation qu’ils portent. Source : labonautes.fr

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