Au procès ludique et fictif des services publics

Le procès du Service Public
Bureaucratie sclérosée, monopoles bénéficivores, fainéants statutaires —autant de mots pour caricaturer les maux du Service Public. Face au certain désaveu de son administration, la Fédération Francophone de Débat et le collectif Nos Services publics ont organisé au printemps 2023 le procès du Service Public.
©DR
Le 13 septembre 2023

Le collectif Nos services publics et la Fédération francophone du débat ont organisé, au printemps 2023, le procès fictif1 des services publics. L’occasion de passer en revue leurs forces et leurs faiblesses, mais aussi l’emprise du privé sur l’éducation, la santé, l’énergie et la sécurité sociale.

Il est 19 h, le procès démarre par le thème de la santé. Le président du jury appelle à la barre M. Sens, chief officer de l’entreprise Mac’qui’sait. Il commence par détailler son CV avec verve et autosuffisance en expliquant pourquoi il est parfaitement qualifié pour prendre la parole. À l’issue de ses études, brillamment décoré, il fait le choix, « pas le plus rémunérateur », de participer à la transformation de la société, et il déroule sa vision pour l’hôpital de demain qui permettrait de réaliser plusieurs milliards d’économies et sauver l’hôpital public : « Vous êtes des analphabètes, ce que vous ne saisissez pas, c’est que le parcours de soin est assimilable à une chaîne de production, à n’importe quelle activité. On peut ainsi se mettre dans la situation de chaque unité, collaborateur ou service. Le privé fait mieux que le public, c’est mathématique. Si vous voulez survivre, il faut rendre l’hôpital rentable et lui faire gagner des parts de marché », assène-t-il. Face à lui, une infirmière syndiquée dénonce l’utilisation des tableaux Excel et la numérisation des pratiques :

« À l’hôpital, chaque métier a ses exigences propres, mais le but ultime est le même : soigner. Ensemble nous avons vu notre métier se transformer, des chefs de service remplacés par des managers ne connaissant rien au domaine de la santé, mais qui comptent nous expliquer notre métier. La logique est devenue celle de l’entreprise », rétorque cette dernière. Et elle attaque directement les consultants externes : « Votre stratégie consiste à créer des problèmes pour être payés à les régler. » Elle décrit des conditions difficiles, l’augmentation de l’absentéisme, des accidents du travail et du taux de suicide.

Vient ensuite le tour de l’énergie, avec la parole de Fabien Ruissel, le président-directeur général (PDG) de Tatol Énergie. Sa plaidoirie est un festival de jeux de mots et de situations cocasses : « Tatol est un actionnaire heureux. Rejoignez-nous ! Les super-profits, je ne sais pas ce que c’est, nous on fait des profits, et ça, c’est super ! », se réjouit-il avant de préciser « sur notre courbe boursière, on peut faire de l’alpinisme ; sur celle des entreprises publiques, on fait du ski de fond ». Il associe le service public de l’énergie à des dinosaures, des « lentosaures », voire des « absentosaures » lorsqu’il s’agit de répondre au téléphone. Il conclut sa démonstration avec cynisme : « Ce qui est bien avec les fossiles, c’est qu’avec le temps, ils se désagrègent et deviennent du pétrole, que nous convertissons en carburant pour nous faire avancer. La seule solution pour que le service public nous permette d’avancer, c’est qu’il disparaisse. » Une salariée d’EDF prend ensuite la défense du service public qui fête ses 77 ans : « Vous êtes client chez nous, vous avez raison, nous sommes les moins chers ! » Elle revient sur l’histoire d’amour et de désamour avec l’État et sur la législation européenne. Elle met en cause la loi imposant de vendre 25 % de la production française à la concurrence : « Depuis 2010, EDF vit avec la plaie béante de la concurrence déloyale et nous peinons à stopper l’hémorragie. Pendant ce temps, les compétiteurs ne sont que les passagers clandestins de notre maison, ils n’investissent pas un euro dans les infrastructures ou la production. » À cela s’ajoute l’« indécision politique concernant le nucléaire et les énergies renouvelables », ajoute-t-elle.

Pour examiner la sécurité sociale, Mme Fink, PDG de Black Choc, dresse un tableau apocalyptique de ces milliers de guichets « prêts à recevoir de vaines supplications ». Dans une des agences, près de 6 000 demandes seraient restées sans réponse : « Tout cela nous coûte un pognon de dingue ! », avance-t-elle avant de défendre le « courageux libéralisme » qui, lui seul, peut mener la société au salut. « Je vous en conjure, renoncez à l’assistanat, tournez-vous vers l’esprit d’initiative, d’entreprise, l’ambition, la prise de risque, l’intelligence et le faire. » Face à elle, un agent de la sécurité sociale défend la promesse de solidarité de son organisme. Il protège des aléas de la vie, permet de supporter le chômage, la maladie, les accidents, la vieillesse : « La seule chose contre laquelle la sécurité sociale ne protège pas, ce sont les gouvernements libéraux, affirme-t-il. Le problème, ce ne sont pas les aides, mais que 30 % de ceux qui pourraient en bénéficier n’y ont pas recours », poursuit-il. Et il pointe du doigt les aides accordées aux entreprises du CAC 40, sans contreparties.

L’enseignement est le dernier service public accusé. D’un côté, la fondatrice d’une école de danse privée, dénonce une « Éducation nationale sclérosée, des enseignants désenchantés, exécutants d’un programme complètement dépassé ». De l’autre, un enseignant-chercheur vacataire, aux multiples casquettes, gages de l’office, dépeint une réalité extrême pour tous ces enseignants n’ayant pas le statut de professeur à temps plein.

À l’issue des différentes prises de parole, des plaidoiries du procureur et de l’avocat général, le verdict est sans appel : le service public est acquitté et les tenants de la privatisation condamnés. Les condamnations toutes plus fantaisistes : un stage de paintball-LBD à Sainte-Soline, une errance sur Parcours sup, la souscription d’un livret d’épargne à taux d’intérêt négatif, etc. L’humour, grand gagnant du débat, aura eu le mérite de susciter le débat et d’alimenter la réflexion.

  1. Ce procès fictif s’est tenu le 12 avril 2023 à la mairie du XIIe arrondissement de Paris.
×

A lire aussi