Fonction publique : les principales innovations de la réforme

Le 29 août 2019

Menée par Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, et Olivier Dussopt, son secrétaire d'État, la loi de transformation de la fonction publique, promulguée le 6 août au Fort de Brégançon, comporte des dispositions très novatrices et des mesures plus techniques. Application du « droit souple », la nouvelle loi réalise un équilibre subtil entre des instruments nouveaux qu'elle a créés et dont l’effet dépendra largement du comportement des employeurs publics utilisateurs, mais aussi des agents publics. L'élargissement du recours aux contractuels, la transposition du contrat de projet inspiré du secteur privé pour recruter un agent le temps d’une mission, la création d'une instance unique de dialogue social, l'expérimentation de la rupture conventionnelle ou encore la publication annuelle par certains employeurs de la somme des dix rémunérations les plus élevées font notamment partie des principales mesures contenues dans cette loi de 95 articles. Pour importante qu’elle soit, la loi du 6 août 2019 n’est finalement qu’un des éléments de la transformation de la fonction publique. Décryptage des grandes mesures d’ensemble et des principales évolutions dans les trois fonctions publiques.

Une année de concertation difficile

L’élaboration de cette loi présentée au Conseil des ministres du 27 mars 2019 par Gérald Darmanin et Olivier Dussopt[1] mérite attention. Le projet avait cheminé d'abord assez lentement depuis un Comité interministériel de la transformation publique du 1er février 2018. Il a connu ensuite une année de concertation difficile avec les organisations syndicales représentatives de la fonction publique, les représentants de l’État et ceux des employeurs territoriaux et des employeurs hospitaliers.

La préparation du texte a été émaillée de manifestations et de grèves à l'appel de tous les syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC, CGT, FA-FP, FO, FSU, Solidaires et Unsa)[2]. L’avant- projet a été soumis au Conseil commun de la fonction publique, aux Conseils supérieurs de la fonction publique de l’État (FPE), de la fonction publique territoriale (FPT) et de la fonction publique hospitalière (FPH), mais aussi au Conseil supérieur des personnels médicaux et au Conseil national d’évaluation des normes, avant l’avis donné par le Conseil d'Etat[3], le 21 mars 2019.

Sur ces bases, la procédure parlementaire a pu être rapidement conduite (en procédure accélérée) : déposé à l’Assemblée nationale le 27 mars, le projet (de 36 articles) a été définitivement adopté par le Sénat le 23 juillet après un accord en Commission mixte paritaire le 4 juillet. Il faut souligner ce quasi-consensus final alors que le texte au départ soulevait des oppositions profondes. Le Conseil constitutionnel a rendu le 1er août 2019 - en une semaine – une décision de conformité à la Constitution d’une douzaine d’articles contestés. La loi promulguée le 6 août (au fort de Brégançon) comporte 95 articles.

La loi constitue un texte riche, complexe et représentatif de la manière contemporaine de légiférer. Comportant des dispositions très novatrices et des mesures plus techniques, il juxtapose des mesures à effet immédiat et d’autres à entrée en vigueur différée (l'article correspondant est d'une longueur rare).

Application du « droit souple », la nouvelle loi réalise un équilibre subtil entre des instruments nouveaux qu'elle a créé et dont l’effet dépendra largement du comportement des employeurs publics utilisateurs, mais aussi des agents publics. L’État ne sera qu’un des acteurs de cette mise en oeuvre.

La loi comporte six titres relatifs au dialogue social, à la gestion des ressources humaines, au cadre de gestion des agents, à leurs mobilités et aux transitions professionnelles, à l'égalité professionnelle, avec le dispositif des entrées en vigueur.

Pour s’en tenir aux dispositions essentielles et pour la clarté, on distinguera les mesures générales « toutes fonctions publiques confondues » de celles qui sont particulières à l’un des trois versants.

Les grandes mesures d’ensemble

Recours aux contractuels et contrats de projets

Sous ce titre, on rangera en premier lieu, l’introduction d’une souplesse pour les recrutements. La crainte d'une suppression pure et simple du statut général avait alimenté les premières réactions hostiles à la réforme. Rien de tel ne s’est produit ; les quatre lois fondatrices de 1983, 1984 et 1986 (largement modifiées depuis) sont toujours là, mais la loi nouvelle (art. 15) élargi le recours aux contractuels lors des recrutements. 

À l’exception d'emplois qu’elle précise, le recrutement d’agents contractuels pour pourvoir des emplois permanents est prononcé à l’issue d’une procédure permettant de garantir l’égal accès aux emplois publics, mais adaptée au regard du niveau hiérarchique, de la nature des fonctions ou de la taille de la collectivité territoriale ou de l’établissement public ainsi que de la durée du contrat.

L’article 18 de la loi élargit par ailleurs les possibilités offertes aux employeurs publics de recruter des agents contractuels pour occuper des emplois supérieurs ou de direction, dans les trois versants de la fonction publique. L’article 28 intègre dans le titre 1er du statut général la rémunération des agents contractuels : fixée par l'autorité compétente en tenant compte des fonctions exercées, de la qualification requise pour leur exercice et de l'expérience de ces agents, elle peut tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service.

La transposition au secteur public du contrat de projet inspiré du secteur privé a aussi été source de discussions : l'article 17 de la loi permet désormais, pour mener à bien un projet ou une opération identifiée, de recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l'échéance est la réalisation du projet ou de l'opération. Le contrat est conclu pour une durée minimale d'un an et une durée maximale fixée par les parties dans la limite de six ans. Il peut être renouvelé pour mener à bien le projet ou l'opération, dans la limite d'une durée totale de six ans ; il prend fin avec la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance. 

Réorganisation des instances du dialogue social

Afin de promouvoir un dialogue social plus stratégique et efficace, la loi du 6 août 2019 en réorganise profondément les instances et créé de nouvelles « lignes directrices de gestion ».

Principale innovation, un comité social (dénommé « comité social d’administration » dans la FPE, « comité social territorial » dans la FPT et « comité social d’établissement » dans la FPH va se substituer - avant le prochain renouvellement général des instances dans la fonction publique - aux actuels comités techniques et comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ce comité social reprendra l’ensemble des compétences aujourd’hui exercées par les comités techniques et les CHSCT. Il sera en outre consulté sur les lignes directrices de gestion.

Prises après avis du comité social, ces nouvelles lignes directrices de gestion vont déterminer la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Elles vont fixer les orientations générales en matière de mobilité et, d'autre part, les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours, sans préjudice du pouvoir d'appréciation des situations individuelles, des circonstances ou d'un motif d'intérêt général.

La nouvelle loi qui réorganise les commissions mixtes paritaires supprime l’avis préalable qu’elles donnaient en matière d'avancement et de promotion interne ; compétence leur est donnée quant au licenciement pour insuffisance professionnelle (en formation ordinaire). Elle harmonise par ailleurs l'échelle des sanctions disciplinaires dans l'ensemble de la fonction publique.

La rupture conventionnelle en expérimentation

Parmi les mesures destinées à favoriser la mobilité ou accompagner les transitions professionnelles, il faut relever l’innovation que représente l'expérimentation de la rupture conventionnelle dans le secteur public, assortie d’une extension du droit à l'allocation chômage pour ses bénéficiaires (ainsi que pour certains agents démissionnaires) et la portabilité des droits liés au compte personnel de formation en cas de mobilité entre secteur public et secteur privé.

La loi du 6 août prévoit une publication annuelle, par certains employeurs, de la somme des dix rémunérations les plus élevées ; elle renforce par ailleurs les contrôles déontologiques, généralise les dispositifs de signalement destinés aux victimes d'actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes et met en place des plans d'action obligatoires pour assurer l'égalité entre les femmes et les hommes. Plusieurs mesures vont moderniser le droit applicable aux agents en situation de handicap.

Ce tronc commun des réformes principales est complété par des mesures particulières pour chacun des « versants » de la fonction publique.

Les adaptations complémentaires spécifiques

Ces mesures particulières sont de portée inégale ; ajoutées aux mesures « inter - fonction publiques -, elles contribuent à la transformation sensible de chacun des trois versant. On ne retiendra que les plus marquantes.

Les évolutions dans la fonction publique d’État

S’agissant de la fonction publique d'Etat et de la gestion des ressources humaines, l’article 18 de la loi élargit les possibilités de recrutement sous contrat, tout en assouplissant aussi les conditions auxquelles des agents peuvent être d'emblée recrutés en contrat à durée indéterminée.

Le régime des mutations est adapté notamment en supprimant l'avis préalable de la CAP, en fixant des durées maximum et minimum aux mouvements de fonctionnaires et en objectivant les critères retenus par l'administration pour procéder à ces mouvements.

En matière de concours, on notera l’innovation de l’article 87 : les concours de la fonction publique d'État peuvent être organisés en vue de pourvoir des emplois offerts « au titre d'une ou plusieurs circonscriptions déterminées, dans des conditions et selon des critères définis par décret en Conseil d'État ».

La durée hebdomadaire de travail dans la fonction publique de l'État est désormais inscrite dans la loi par référence à la durée légale de travail des salariés de droit privé (soit 35 heures ou 1607 heures effectives), sans préjudice des dispositions statutaires fixant les obligations de services pour les personnels enseignants et de la recherche.

Au titre de la sécurisation des transitions professionnelles, l’article 75 crée un dispositif global d'accompagnement pour les fonctionnaires dont l'emploi est supprimé dans le cadre d'une telle opération.

Les ajustements dans la fonction publique territoriale

La fonction publique territoriale a fait l’objet de multiples ajustements spécifiques. On relèvera à ce titre :

D’abord, la mesure sensible portant sur l’exercice du droit de grève dans certains services des collectivités. L’article 56 indique que l’autorité territoriale et les organisations syndicales disposant d’au moins un siège dans les instances au sein desquelles s’exerce la participation des fonctionnaires peuvent engager des négociations en vue de la signature d’un accord visant à assurer la continuité des services publics de collecte et de traitement des déchets des ménages, de transport public de personnes, d’aide aux personnes âgées et handicapées, d’accueil des enfants de moins de trois ans, d’accueil périscolaire, de restauration collective et scolaire dont l’interruption en cas de grève des agents publics participant directement à leur exécution contreviendrait au respect de l’ordre public, notamment à la salubrité publique, ou aux besoins essentiels des usagers de ces services.

Afin de garantir la continuité du service public, cet accord détermine les fonctions et le nombre d’agents indispensables ainsi que les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible de ces services, l’organisation du travail est adaptée et les agents présents au sein du service sont affectés. L’accord doit être approuvé par l’assemblée délibérante.

À défaut de conclusion d’accord dans un délai de douze mois après le début des négociations, les services, les fonctions et le nombre d’agents indispensables afin de garantir la continuité du service public sont déterminés par délibération de l’organe délibérant. Dans le cas où un préavis de grève a été déposé, en vue de l’organisation du service public et de l’information des usagers, les agents en cause doivent informer, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, comprenant au moins un jour ouvré, l’autorité territoriale ou la personne désignée par elle, de leur intention d’y participer.

Lorsque l’exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service, l’autorité territoriale peut imposer aux agents ayant déclaré leur intention de participer à la grève d’exercer leur droit dès leur prise de service et jusqu’à son terme.

La loi a aussi prévu que :

  • Tous les trois ans, le ministre chargé de la fonction publique présentera au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale une feuille de route indiquant les orientations en matière de gestion des ressources humaines dans la fonction publique et leur impact prévisionnel sur les collectivités territoriales et leurs établissements ;
  • Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, les centres de gestion et le CNFPT font l’objet d’aménagements spécifiques ;
  • Le régime indemnitaire dans la fonction publique territoriale fait l’objet d’un « renforcement » (art. 13 bis) ;
  • Les dérogations à la durée annuelle de travail de 1 607 heures sont supprimées (art. 47) dans un délai d’un an suivant le prochain renouvellement général des assemblées délibérantes des collectivités territoriales de chaque catégorie ;
  • Un encadrement des disponibilités pour suivre son conjoint ou son partenaire de PACS est prévu à l’article 74 et à compter du 1er janvier 2020.
  • Des garanties nouvelles  ont été apportées aux directeurs généraux des services quittant leurs fonctions.

Les mesures spécifiques à la fonction publique hospitalière

S’agissant de la fonction publique hospitalière, plusieurs mesures spécifiques sont aussi à relever :

  • La modification du régime de la prime d’intéressement collectif pour prendre en compte la qualité du service rendu (art. 74) ;
  • La volonté de développer l’apprentissage dans la FPH : l’article 61 sécurise le recrutement d'apprentis et leur parcours de formation dans les professions d'infirmier, de masseur-kinésithérapeute, de pédicure-podologue, d'orthoptiste et d'orthophoniste ;
  • Le nouveau dispositif global d'accompagnement pour les fonctionnaires hospitaliers dont l'emploi est supprimé dans le cadre d'une restructuration (art. 75) ;
  • La création d'emplois saisonniers dans la fonction publique hospitalière de manière à pouvoir satisfaire des besoins ponctuels et saisonniers (art. 19).

Pour importante qu’elle soit, la loi du 6 août 2019 n’est finalement qu’un des éléments de la transformation de la fonction publique. Avec l’aval du législateur et après lui, l’exécutif va dans les mois prochains devoir produire plusieurs ordonnances et des dizaines de décrets et d’arrêtés qui poursuivront cette transformation progressive. Pourrait – il en être autrement ? Difficilement sans doute, car la fonction publique française constitue aujourd’hui un ensemble considérable et composite de personnels employés dans des services et des contextes très différents.

[1]  Respectivement ministre de l’action et des comptes publics et secrétaire d'Etat auprès de ce même ministre.

[2]  Notamment les 9 mai 2019, 22 mai et 22 mars 2018, après le 10 octobre 2017

[3]  Section de l'administration, n° 397088.

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