Innovation territoriale et approche partenariale concertée : méthode gagnante ?

10 édition Rencontres de l’action internationale des collectivités
Le 31 juillet 2019

Les 2 et 3 juillet 2019 ont vu se réunir à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris  les représentants des collectivités engagées dans l’action internationale, dite aussi « extérieure », avec leurs partenaires publics et privés, universités, agences gouvernementales, entreprises.  Organisée par Cités Unies France, cette 10e édition des Rencontres de l'action internationale des collectivités territoriales a rassemblé plus de 1000 participants, dont les représentants de plus de 40 pays, autour du fil rouge "de l’action locale à l’action internationale : développons ensemble des territoires durables". Parmi les sujets abordés, il s’agissait de savoir si et comment une approche partenariale pouvait renouveler et élargir ce que l’on appelle encore la « coopération décentralisée » des collectivités. Les participants ont fait le point sur leurs expériences.

« Chasser en meute »

L’expression est de Jérôme Tébaldi, adjoint au Maire de Tours, délégué aux relations internationales et au rayonnement. Derrière la formulation sans détours, il y a ce constat : l’internationalisation des collectivités génère des opportunités, qu’il s’agisse de l’image du territoire ou de perspectives économiques, mais seules 15% des collectivités ont engagé une telle démarche. Il ne faut pas se lancer seul, ajoute l’édile, car le nombre fait nécessité pour convaincre.

Ainsi l’université de Tours et la région Centre-Val-de-Loire se sont-elles associées pour mener un projet pluridisciplinaire mêlant recherche, formation et développement socio-économique, en coopération avec les universités indiennes du Tamil-Nadu. Facteur central pour faire exister la coopération, la présence permanente d’un volontaire de solidarité internationale permet d’animer le projet au quotidien. Dans un pays très centralisé comme l’Inde, où, au surplus, l’histoire coloniale a laissé des traces, le formalisme est très rigide et les autorités participent timidement. Sur le terrain, le volontaire conforte et permet de s’assurer que l’action est réalisée au plus près des besoins locaux, et que les fonds alloués par la collectivité sont utilisés comme prévu. Les jeunes, comme les agents incités à partir via le congé de solidarité mis en place par la région, en reviennent transformés. En restituant leur travail au public, ils font connaître sur le territoire les possibilités d’action économique, sociale et culturelle en Inde.

Du côté universitaire, c’est par l’appui institutionnel et politique, technique et financier qu’un dynamisme est créé sur le territoire, avec la génération d’opportunités. C’est par exemple l’appel à projet « ARCUS », au financement tripartite entre l’université, la région et l’Etat, qui a permis de travailler sur la ressource et la qualité des eaux à Chennai. Il en ressort trois co-tutelles de thèse, quinze chercheurs accueillis, et un programme de français-langues étrangères (FLE). C’est encore le projet « Water-Pondi », porté par l’université de Tours et soutenu par la région Centre-Val-de-Loire, centré sur le fonctionnement du cycle de l’eau sur le territoire de Pondichéry et ses enjeux en matière de politique publique. Il associe des partenaires non-académiques, recrutés notamment dans le monde entrepreneurial via le pôle de compétitivité, ce qui pousse à travailler autrement.

Cela amène un autre constat : la transversalité au sein des services de la collectivité est indispensable pour animer le réseau d’acteurs, qui est lui-même transversal dès lors que recherche, culture, social et économie infusent dans la coopération.

Qu’est-ce qu’une approche concertée ?

Les retours d’expérience montrent une chose : à l’heure où les financements sont contraints, et où le citoyen examine à la loupe l’emploi des deniers publics, la coopération décentralisée « à la papa » n’est plus de mise. Pour être utile et durer dans le temps, la coopération doit se construire sur un intérêt partagé entre tous les acteurs impliqués ici et là-bas. Quelles que soient les modalités mises en œuvre localement, la concertation est le fil conducteur des projets.

Bordeaux et Wuhan se sont ainsi entendues sur la notion de « ville durable », axe ajouté aux travaux existants sur la santé et la qualité des eaux lacustres, et venant renforcer la coopération actée en matière de vie culturelle et patrimoniale. L’échange de modèles a été opéré pour développer en ce sens un quartier de la ville chinoise, comprenant le savoir-faire bordelais en matière de gestion portuaire. Ici, une fête du nouvel an chinois a été instaurée. À Douala, autre jumelage de la ville de Bordeaux, c’est un projet de maison des familles qui a vu le jour, associant des neurologues et pédiatres. Venant faire le pont, le ministère des Affaires étrangères a demandé à la ville de développer un partenariat avec les ports africains, et de même pour développer sur le continent les mobilités durables.

On le voit, l’eau, la santé et la mobilité forment des politiques publiques connexes, qui associent des partenaires multiples et suscitent de nouveaux cadres d’intervention. La valorisation des diasporas prend tout son sens, car une ville ou un territoire « durables » sont forcément inclusifs, et la concertation est la méthode adaptée pour y parvenir.

Patience et longueur de temps

Par nature, les efforts de coopération décentralisée ont tendance à être déséquilibrés. Concerter pour trouver l’angle d’action pertinente sur le long terme est une première exigence ; avoir le sens de la patience, du temps long… et de l’humour en constitue une deuxième.

Le travail commence ici, sur notre propre territoire. Comment faire pour animer une coopération au sein du tissu associatif de solidarité internationale ? demande un participant. Le sujet est complexe, lui répond-on. Tours a travaillé à une programmation construite avec les associations locales, visant à présenter au public les actions menées et à permettre en retour aux associations d’identifier les compétences, les financements possibles. Également dans le rôle de « facilitateur », Rennes dispose d’une maison internationale. Un festival des solidarités y est organisé annuellement ; un millième (250 000€) du budget de fonctionnement de la ville est alloué pour financer les projets étudiés et choisis par une commission constituée de pairs, avec le soutien de la maison internationale. L’objectif est double : sensibiliser la population, et aider les associations à mûrir.

D’autres collectivités témoignent de l’importance qu’elles accordent à la formation et à l’enseignement supérieur pour inscrire une action dans le temps long. Toulouse et l’agglomération de La Rochelle, notamment, ont développé des spécialités universitaires qui rendent possible le développement de projets opérationnels. Par exemple, la coopération sur le cycle de l’eau sur l’île des Célèbes n’est possible que parce que l’université rochelaise dispense depuis vingt ans l’enseignement de l’indonésien, tandis que ni l’anglais ni (encore moins) le français ne sont vraiment pratiqués là-bas. L’intermédiation de l’université reste essentielle.

La délicate coopération franco-chinoise

La coopération avec la Chine fait émerger une question épineuse : avec ce pays, dont on ne peut plus considérer qu’il est en développement, la coopération décentralisée glisse vers l’action économique, et il n’est pas certain que les bénéfices en soient équilibrés. Les collectivités l’affirment sans fard : il s’agit de ne pas (plus) se montrer naïf vis-à-vis de la Chine, qui constitue au demeurant un partenaire incontournable pour de nombreuses entreprises locales.

À Rennes, on a choisi de privilégier les axes de la citoyenneté, de la solidarité, de l’attractivité du territoire municipal et métropolitain, afin d’en servir tous les acteurs par-delà le cercle associatif. La présence d’un institut Confucius, sur un territoire très sinisant, a permis de renforcer l’investissement dans l’enseignement supérieur. De leur côté, les acteurs économiques locaux préfèrent s’abstenir de toute publicité sur leur activité avec la Chine. L’attractivité du territoire en tant qu’axe de coopération internationale s’entend ainsi de préférence sous l’angle du tourisme et de la ville durable. Il a fallu des mois de négociation pour faire venir des tour-opérateurs chinois, mais cela a abouti. Et lorsque les étudiants rennais ont remporté le « Solar Decathlon », sorte de « jeux olympiques » de la ville durable organisés par la Chine, les travaux engagés depuis cinq ans autour de projets de construction d’habitats durables, ont trouvé leur valorisation.

Rouen, comme Toulouse, ont toutes deux un partenariat avec Xianjin, ville qui accueille une usine d’Airbus. Dans ces conditions, si l’on ne peut faire l’économie d’une coopération, c’est le tourisme qui a été choisi pour valoriser le territoire français. L’aide du MAE a été sollicitée pour raccourcir le délai d’obtention des visas, premier levier pour encourager le tourisme chinois. À Tours, on a lancé une démarche d’évaluation des échanges avec la Chine : derrière le protocole et les manifestations courtoises d’intérêt, y a-t-il une substance qui puisse être concrétisée à l’échelle de la ville ? Les arrière-pensées de nature économique des visiteurs chinois dépassent les compétences municipales. À la région Centre-Val-de-Loire, on a choisi de confier sans naïveté les relations franco-chinoises à l’agence de développement économique, ce qui permet à la coopération décentralisée de se déployer sans interférences.

Agir en réseau, une évidence ?

La coopération décentralisée a évolué, et pas simplement sur le plan sémantique avec le vocable d’« action extérieure » des collectivités. La tripartition des rôles entre collectivités, associations et entreprises locales conduit aujourd’hui à parler de coopération de territoire à territoire. Mais avec quelle réalité ?

Si l’implication des associations est ancienne, la tradition d’intervention esseulée n’est plus possible. Il leur faut donc être membres d’un réseau, dont l’animation est difficile. L’approche concertée est nécessaire, mais on observe trop peu de projets « multi-acteurs », signe que les enjeux et intérêts des uns et des autres sont souvent divergents. Sur le plan institutionnel, des territoires décident d’articuler coopération décentralisée et développement économique, en faisant intervenir leurs entreprises, tandis que d’autres préfèrent s’en tenir à la culture, à l’eau, l’énergie, ou à la santé. C’est sans compter, signale un élu, qu’il est parfois difficile pour une collectivité d’établir une coopération… avec sa propre région, quand les politiques menées ne sont tout simplement pas concurrentielles.

Sur le papier, la répartition des compétences et des moyens devrait donc favoriser la fédération des initiatives sur un même territoire entre collectivités, universités, entreprises, et représentants de l’État. Dans la réalité, le dialogue est souvent la clé de voute manquante. Il requiert une énergie dont on peut être tenté de faire l’économie…

A (re)lire sur le sujet dans la revue Horizons publics : La diplomatie : une compétence régalienne décentralisée ou désacralisée ?, par Nicolas Kada, numéro 5 "La sacralité de l'État, un renouveau apparent ?", septembre-octobre 2018

Cités Unies France, une association engagée dans la promotion de l'action internationale des collectivités locales (AICL)

Créée en 1975, Cités Unies France fédère les collectivités territoriales françaises qui ont fait le choix de s’engager à l’international en tissant des liens avec une ou plusieurs collectivités étrangères. L’association défend l’idée de coopération de
territoire à territoire et met en avant les retombées positives en France de l’action internationale.

Pour plus d’informations : www.cites-unies-france.org
Site dédié aux Rencontres : www.raict.org

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