Revue
DossierLa diplomatie : une compétence régalienne décentralisée ou désacralisée ?
Compétence régalienne par excellence de l’État français, la diplomatie est une composante majeure de sa sacralité. Depuis les années quatre-vingt-dix, les collectivités territoriales bénéficient d’un droit plus important en matière d’action internationale. Retour sur cette évolution majeure et ses conséquences sur l’action extérieure des collectivités territoriales (AECT).
Résumé
La diplomatie des collectivités territoriales n’est pas un mythe : longtemps ignorée puis combattue, elle est aujourd’hui reconnue à part entière, et participe de cette désacralisation multiforme de l’État contemporain. Cette diplomatie décentralisée se situe – comme son homologue national – à la rencontre du droit et de la politique. La stabilisation récente de son encadrement juridique s’est d’ailleurs accompagnée d’un début d’institutionnalisation, dans l’objectif d’une plus grande sécurisation.
Dans un contexte de tension budgétaire, de retrait des services de l’État et de mondialisation, la volonté d’une plus grande souplesse de gestion et les nécessités d’un contrôle démocratique au plus proche du lieu de décision placent l’action internationale des collectivités territoriales au cœur d’injonctions qui peuvent apparaître comme contradictoires. Le législateur a donc adopté successivement plusieurs textes prenant en compte ces contraintes et a ainsi dessiné les contours d’une nouvelle forme de diplomatie.
L’État doit composer avec les collectivités territoriales, notamment les plus éloignées de la métropole, en apprenant à les utiliser comme leviers de sa présence en de nombreux points du globe. Le régalien, loin d’être simplement décentralisé, est ainsi véritablement partagé et recouvre donc une nouvelle forme de sacralité.
Parler de diplomatie locale a de quoi surprendre tant on connaît – et on vénère – le monopole de l’État en la matière ! Si l’on veut bien accepter l’idée d’une coopération décentralisée et plus largement de multiples formes de collaborations ou de relations existantes entre les collectivités territoriales françaises et leurs groupements avec des autorités locales d’autres États, cela nécessite le recours à des conventions ou éventuellement à des actions plus informelles, héritées du jumelage ou animées par un objectif de prospection des entreprises étrangères, par exemple. Mais l’atteinte à une compétence de l’État – définie comme régalienne –demeure, en apparence, limitée. Pourtant, progressivement, subrepticement même, la sacralité de l’État en la matière a été diminuée. Alors même que le droit a longtemps été accusé de servir les seuls intérêts de l’État et d’entraver la libre administration des collectivités en ne prenant pas en compte la réalité de leur action internationale, il faut bien reconnaître que les quinze dernières années ont vu le droit de l’action extérieure profondément évoluer et se stabiliser, sous l’effet conjugué de plusieurs influences, parfois contradictoires. Du fait des interventions répétées du droit du Conseil de l’Europe, puis du droit de l’Union européenne notamment, mais aussi en raison d’un changement de position de l’État lui-même à l’égard de ces relations internationales des collectivités territoriales, le régime juridique est devenu à la fois plus complet, plus libéral et plus stable. « Aujourd’hui, l’État et les collectivités incarnent la diplomatie française »1 écrivait déjà André Laignel, dans son rapport remis en janvier 2013 au ministère des Affaires étrangères. Deux objectifs ont sous-tendu ces évolutions : la volonté de sortir les pratiques d’une véritable instabilité juridique et le choix de reconnaître une réelle compétence aux collectivités territoriales en matière d’action internationale.
Sortir de l’instabilité
Longtemps silencieux face à une action internationale des collectivités territoriales pourtant bien réelle, le législateur est progressivement intervenu pour sécuriser l’activité de coopération décentralisée.
Des fondements juridiques adaptés
En se référant au principe constitutionnel d’indivisibilité de la République et au monopole du président de la République qui en découle pour négocier et signer toute convention internationale, la moindre reconnaissance d’une compétence internationale dévolue aux collectivités territoriales a longtemps semblé exclue, sauf à être analysée comme un simple prolongement de la clause générale de compétence et donc nécessairement limitée par l’intérêt public local. Certes, dès 1956, un premier texte autorise une collectivité décentralisée – en l’occurrence la commune – à signer un accord avec une collectivité d’un autre État, mais il s’agit d’un texte isolé et à l’ambition très réduite, qui place déjà de telles coopérations pourtant modestes sous contrôle du ministère de l’Intérieur. En 1982, le législateur va accepter de reconnaître aux seules régions le droit de conclure des accords de coopération transfrontalière, mais avec l’autorisation du Gouvernement. Le progrès est réduit mais réel et le Gouvernement va ensuite assouplir son contrôle. En ce qui concerne l’Outre-mer, un droit plus libéral s’est progressivement mis en place dans le cadre de dispositions législatives et réglementaires spécifiques.
Mais il ne s’agit encore que de tâtonnements, loin des avancées majeures proposées par la loi d’orientation du 6 février 1992, relative à l’administration territoriale de la République, dont un titre est intégralement consacré à la coopération décentralisée. Est enfin reconnue explicitement la compétence extérieure des collectivités territoriales, même si des limites sont évidemment posées et ultérieurement précisées par la jurisprudence. Outre le respect des « engagements internationaux de la France », la coopération doit s’appuyer sur des conventions qui ne peuvent être conclues qu’avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, ce qui exclut par conséquent les États au nom du respect de la souveraineté.
La loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire puis la loi du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau (communément dénommée « loi Oudin ») vont proposer de nouvelles avancées. Puis la loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements a sensiblement modifié l’état du droit, en reconnaissant expressément la compétence internationale des collectivités territoriales comme une compétence à part entière. La signature d’une convention suffit désormais, convention dont le contenu et les aspects financiers deviennent cependant plus précis. Cette exigence de convention est même suspendue en cas d’urgence humanitaire, tout au moins de manière temporaire. Par la suite, la loi du 16 avril 2008 visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interterritoriale permet à une collectivité décentralisée française de signer, dans certains cas, une convention avec un État étranger. Après de nouvelles avancées législatives en 2014 puis 2015, la loi du 5 décembre 2016 dite « loi Letchimy », complète à son tour le droit de l’action extérieure des collectivités territoriales. Ce texte comporte à la fois un article qui s’applique à toutes les collectivités françaises, leur permettant dans certains cas de passer des conventions avec des États étrangers, et des dispositions relatives à la coopération régionale des collectivités d’outre-mer, dans leurs voisinages respectifs. Certes, les conventions avec des États souverains, lorsqu’elles sont possibles, sont toujours soumises à l’accord préalable des autorités étatiques afin de préserver la cohérence de l’action diplomatique de la France. Mais la loi harmonise également et élargit le champ géographique des coopérations régionales menées dans l’océan Indien, la Caraïbe et autour du plateau Guyanais. Les collectivités d’outre-mer peuvent désormais toutes orienter leurs actions extérieures vers les pays voisins dans le cadre de programmes-cadres de coopération régionale, adhérer dans certains cas à des banques régionales de développement et participer à leur capital, ou encore affecter des agents territoriaux auprès des représentations diplomatiques de la France.
La loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements a sensiblement modifié l’état du droit, en reconnaissant
expressément la compétence internationale des collectivités territoriales comme une compétence à part entière.
Une vigilance de l’État préservée
L’État semble donc avoir compris qu’il lui fallait accompagner et réguler cette coopération, au lieu d’entretenir une méfiance traditionnelle à son encontre. Ainsi, le délégué à l’action extérieure des collectivités territoriales a vu son rôle évoluer sensiblement durant ces trente années d’existence vers une fonction de médiateur et facilitateur, en lien étroit avec la personnalité des personnes qui remplissent cette fonction. Par ailleurs, l’État s’est doté d’une Commission nationale de la coopération décentralisée avec la loi Administration territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992, en dépit d’une première expérience peu concluante et des fortes réserves émises par le Sénat à son encontre. Chargée par la loi de tenir à jour un état de la coopération décentralisée et de formuler toute proposition tendant à son renforcement, elle est composée de représentants de l’État et de représentants de collectivités territoriales. Installée en 1996, son bilan au terme d’une décennie était cependant en demi-teinte tant ses réunions restaient finalement rares et son fonctionnement alourdi par sa composition. La réforme de cette structure (allégement de sa composition et instauration d’un bureau) à partir de 2006 a néanmoins permis quelques sensibles améliorations et un dialogue plus constructif entre l’État et les collectivités territoriales en matière de coopération décentralisée.
Institutionnaliser une nouvelle compétence
Dans ce contexte de recherche d’une plus grande sécurité juridique, l’institutionnalisation de la coopération est rapidement apparue comme une démarche bienvenue. Mais le recours à des instruments de coopération performants a d’abord nécessité d’éclaircir la question de la légalité de la compétence de chaque niveau de collectivités territoriales en la matière.
Une compétence à part entière
« Les formulations retenues par la loi Thiollière puis, encore plus largement, par la loi Canfin font basculer l’Action extérieure des collectivités territoriales (AECT) d’une simple modalité de mise en œuvre des compétences internes des collectivités à une compétence proprement dite dans toutes les hypothèses dans lesquelles elles sont autorisées à intervenir »2, explique Romain Bourrel. La loi de 2007 a en effet consacré l’intervention internationale des collectivités au rang de compétence d’attribution pleine et entière, permettant ainsi de dépasser l’obstacle de la clause générale de compétence qui exigeait de faire la preuve de l’existence d’un intérêt public local, c’est-à-dire direct pour les populations locales et non suspect de partialité.
Grandement facilitée dès 2007, l’action internationale des collectivités territoriales l’est encore davantage avec la loi de 2014 qui leur permet d’agir dans toutes les hypothèses sans nécessairement conclure de convention. Communes, départements, régions, etc., tous les niveaux décentralisés bénéficient donc depuis lors d’une compétence d’attribution relativement large en matière internationale, même si la loi Canfin ne signifie pas pour autant le refus de tout contrôle de la part du juge administratif de l’existence d’un intérêt public local.
Lors de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) du 4 juillet 2016, la secrétaire d’État chargée des collectivités territoriales a de surcroît clarifié les conséquences de la loi NOTRe du 7 août 2015 sur la capacité de toutes les collectivités territoriales françaises à agir à l’international, quelles que soient leurs compétences sur le territoire national. En effet, pour la secrétaire d’État, il n’y a aucune hésitation : la nouvelle répartition des attributions en droit interne résultant de la loi NOTRe et la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions ne saurait empêcher toutes les catégories de collectivités de poursuivre ou d’entreprendre des actions à l’international, même en dehors des sphères de compétence exclusive ou partagée qui leur sont assignées par la loi.
Une fois cette question de la compétence enfin tranchée de manière durable, quels outils sont-ils mis à disposition des collectivités territoriales par le droit interne ? En quoi le droit administratif permet-il d’organiser concrètement l’action extérieure des collectivités décentralisées ?
Une institutionnalisation variable
Les instruments offerts aux collectivités qui souhaitent entreprendre des actions extérieures ont évolué ces dernières années. Au-delà des outils issus du droit européen tels que le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) abordés dans d’autres contributions de ce même ouvrage3, la convention demeure bien évidemment l’instrument privilégié. Mais le droit interne français offre désormais aux collectivités et à leurs groupements plusieurs instruments institutionnels susceptibles de répondre à leurs attentes.
Longtemps construite sur la base d’associations selon le modèle de la loi du 1er juillet 1901, l’action internationale des collectivités repose encore parfois sur cet outil : l’association peut en effet accueillir parmi ses membres des partenaires étrangers et demeure ainsi une forme classique d’administration en tant que délégataire de la gestion d’un service public. Elle offre de surcroît une souplesse de gestion reconnue, bien qu’elle ne soit pas toujours adaptée à de telles coopérations internationales.
Le groupement d’intérêt public (GIP) est une autre possibilité à laquelle ont recours les collectivités décentralisées françaises. Il ne peut être créé que pour une période déterminée avec des collectivités appartenant à des États membres de l’Union européenne et dans un champ restreint de la coopération interrégionale et transfrontalière. L’État demeure par ailleurs très présent au sein du GIP. Dès lors, la formule n’a que peu séduit les collectivités qui lui ont très tôt préféré la formule du groupement européen de coopération territoriale et le dispositif a finalement été abrogé (sans toutefois remettre en cause les GIP déjà créés).
Il est également possible pour une collectivité territoriale et/ou un groupement de recourir à une société d’économie mixte locale (SEML) en accueillant en son sein une participation publique étrangère. À quelques réserves près, le recours à une SEML permet d’abriter des capitaux étrangers pour réaliser des opérations d’intérêt public : aménagement, construction ou exploitation d’un service d’intérêt commun. Leur statut a été largement refondu par le législateur au fil du temps, mais la formule demeure encore faiblement séduite tant les exemples de participation de collectivités étrangères à des SEML restent encore relativement rares.
Dans des cas (nécessairement plus restreints) de coopération transfrontalière, les collectivités françaises peuvent également avoir recours au district européen. Ce dispositif, créé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet en effet aux collectivités territoriales et à leurs groupements d’instituer, avec leurs homologues étrangers, un groupement local de coopération transfrontalière dénommé district européen, qui sera ainsi doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’objectif est alors de satisfaire des missions qui présentent un intérêt pour chacune des personnes publiques participantes et/ou de créer et gérer des services publics et les équipements afférents.
La diplomatie des collectivités territoriales se situe donc à la rencontre du droit et de la politique. La stabilisation récente de son encadrement juridique n’enlève rien à la nécessité de son institutionnalisation, dans l’objectif d’une plus grande sécurisation.
Enfin, le droit français autorise les collectivités et leurs groupements à adhérer à un organisme public étranger ou de participer au capital d’une personne morale étrangère. Cette possibilité n’est néanmoins concevable que dans les limites des compétences des collectivités concernées et dans le respect des engagements internationaux de la France. Les exemples sont finalement à ce jour encore peu nombreux, toujours à proximité de la frontière franco-espagnole : l’un au Pays basque et l’autre en Catalogne.
La diplomatie des collectivités territoriales se situe donc à la rencontre du droit et de la politique. La stabilisation récente de son encadrement juridique n’enlève rien à la nécessité de son institutionnalisation, dans l’objectif d’une plus grande sécurisation. Devant de surcroît composer avec les contraintes d’ordre budgétaire, le souhait d’une plus grande souplesse de gestion et les nécessités d’un contrôle démocratique, l’action internationale des collectivités territoriales se trouve ainsi confronté à des injonctions qui, si elles sont toutes légitimes, n’en deviennent pas moins contradictoires : un enjeu que l’approche juridique, bien que nécessaire, ne saurait occulter. Le régalien, loin d’être simplement décentralisé, est ici véritablement partagé et conserve donc sa part de sacralité.
Pour aller plus loin
• ARRICOD, L’action internationale des collectivités territoriales, 2012, Éditions du Cavalier Bleu.
• Bourrel R., « L’action extérieure des collectivités territoriales », in Kada N. et al. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, 2017, Berger-Levrault.
• Laye P., La coopération décentralisée des collectivités territoriales, 2011, Éditions Territorial.
• Laignel A., Rapport sur l’action extérieure des collectivités territoriales française. Nouvelles approches, nouvelles ambitions, févr. 2013
• Tulard M.-J., La coopération décentralisée, 2006, LGDJ.
1. Laignel A., Rapport sur l’action extérieure des collectivités territoriales françaises. Nouvelles approches, nouvelles ambitions, févr. 2013.
2. Bourrel R., « L’action extérieure des collectivités territoriales », in Kada N., Pasquier R., Courtecuisse C., et Aubelle V. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, 2017, Berger-Levrault, p. 29.
3. Kada N., Pasquier R., Courtecuisse C. et Aubelle V. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, op. cit.