« L’attractivité de la fonction publique réclame une approche holistique »

Daniel Gerson & François Villeneuve
Entretien croisé avec les auteurs de ce rapport, Daniel Gerson (à gauche), responsable de l’unité Emploi et gestion publics de la division Gestion publique et budget, et François Villeneuve (à droite) , analyste de politiques publiques à l’OCDE.
©DR
Le 12 août 2023

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié, en avril 2023, le rapport Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale1. Nous avons interviewé les auteurs de cette étude sur les principaux points à retenir et sélectionné quelques bonnes pratiques dans les autres pays pour développer les compétences numériques des agents et renforcer l’attractivité de la filière numérique de l’État.

Un nombre croissant de pays membres de l’OCDE fait face à un défi d’attractivité de leur fonction publique, et ce, alors même que la gestion des politiques publiques, de plus en plus complexe, requiert de nouvelles compétences. Ce document cherche à identifier les facteurs d’attractivité de la fonction publique dans les régions françaises et à travers les pays membres de l’Union européenne, notamment dans un contexte de grandes tendances de l’emploi public en constante évolution.

Renforcer l'attractivité de la fonction publique en France

La première section vise à éclairer le diagnostic d’attractivité de la fonction publique d’État dans les territoires français, par le biais d’un focus principalement qualitatif sur quatre régions (Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France et Normandie) confrontées, en tout ou partie, à des difficultés pour attirer, recruter et fidéliser leurs agents publics. La deuxième section, au-delà d’une meilleure compréhension des grandes tendances affectant l’emploi public à travers l’Union européenne et les pays membres de l’OCDE et des implications pour la fonction ressources humaines (RH), explore les mesures mises en œuvre par d’autres administrations des pays membres de l’OCDE ainsi que dans le secteur privé pour développer ou adapter leurs politiques de ressources humaines afin de mieux planifier les efforts d’attractivité. Entretien croisé avec les auteurs de ce rapport, Daniel Gerson, responsable de l’unité Emploi et gestion publics de la division Gestion publique et budget, et François Villeneuve, analyste de politiques publiques à l’OCDE.

Quels étaient les objectifs et la méthodologie de cette étude sur l’attractivité de l’administration territoriale de l’État (ATE) ?

Daniel Gerson (D. G.) – Mon unité, Emploi et gestion publics, a remarqué que l’attractivité devient prioritaire dans beaucoup de pays. La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) qui souhaitait un regard extérieur pour mieux faire face, nous a sollicités en ce sens. L’étude a été financée par la Commission européenne.

L’attractivité de l’administration territoriale de l’État devient prioritaire dans beaucoup de pays.

François Villeneuve (F. V.) – Elle avait trois objectifs : comprendre la situation d’attractivité de l’ATE dans quatre régions françaises (Grand Est, Hauts-de-France, Île-de-France et Normandie), comparer cette situation à l’international dans le public ou le privé et réagir au diagnostic. Le rapport est articulé en deux grandes parties : état des lieux puis analyse des grandes tendances de l’emploi public avec propositions pour établir de bonnes pratiques RH. La méthodologie que l’OCDE utilise s’est fondée sur la co-construction avec la DGAFP. De plus, nous avons réalisé, fin 2021 à début 2022, plus de 100 entretiens dans plus de 40 services : préfectures de région et de département, directions régionales (des affaires culturelles [DRAC], de l’environnement, de l’aménagement et du logement [DREAL], de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités [DREETS], etc.), bureaux de la DGAFP, etc.

Dónal Mulligan (D. M.) – Nous avons sérié les principaux thèmes impactant l’attractivité et effectué un parangonnage international pour comprendre où la France se situait.

En Slovénie, l’académie de l’administration du ministère de l’Administration publique a lancé un programme de formation à la culture numérique des agents publics en 2019.

Vous analysez successivement quatre facteurs d’attractivité : nature de l’emploi, carrière, qualité de vie et considérations personnelles. Quelles sont les difficultés ?

F. V. – Trois grands défis sont à relever pour l’ATE. Ce sont les « 3 V » : la constitution de « viviers », la mise en place d’une véritable politique de « visibilité » des emplois, et la « valorisation » des emplois et des parcours.

D. G. – La question est « sous quel contrôle se situe le facteur d’attractivité ? » La nature de l’emploi et la carrière dépendent bien de l’employeur. La nature de l’emploi, ce n’est pas que la rémunération. Il y a aussi la qualité, l’expérience vécue ou la culture managériale. En matière de carrière, un emploi en région constitue-t-il un coup d’arrêt ou permettra-t-il au contraire un envol ? Qualité de vie et considérations personnelles, moins sous le contrôle de l’employeur, sont un peu à part, même si on peut accompagner.

F. V. – Oui, par exemple, l’agence de reconversion de la défense, Défense mobilité (qui dépend de la DRH du ministère des Armées), a un dispositif d’appui à l’emploi pour les conjoints de militaires, qui pourrait intéresser des filières en tension.

D. M. – Il faut mieux communiquer sur ces quatre facteurs dans les fiches de postes, sur les réseaux sociaux, etc.

Les régions françaises étudiées se différencient-elles ? Sur quels facteurs ?

F. V. – Oui et non. Oui, parce que ces régions ont leurs particularités. Le Grand Est a récemment fusionné, l’Île-de-France est marquée par le poids de Paris, les Hauts-de-France ont leurs défis spécifiques (contrôle des frontières, etc.), la Normandie compte des départements peu attractifs. Non, car, même s’il y a de grandes différences sur la qualité de vie2, les pistes d’amélioration se recoupent d’une région à une autre.

Parmi les douze pistes d’amélioration du diagnostic, lesquelles sont prioritaires ?

F. V. – Au-delà des 3 V, il est difficile de hiérarchiser ou de ne privilégier qu’une seule piste. La démarche d’attractivité réclame précisément une approche holistique.

D. M. – Les nouveaux comités locaux de l’emploi public illustrent bien cette nécessité. Sous l’égide du préfet de région, ils réunissent toutes les parties prenantes et les trois fonctions publiques (FP) : d’État, territoriale et hospitalière.

La fonction RH doit s’adapter : outils d’attractivité proactifs, soutien à la formation continue, concentration des processus de recrutement sur les compétences.

Dans une seconde partie, vous cherchez à prévoir les évolutions de l’emploi. Qu’en est-il ?

D. M. – Trois grandes tendances se dessinent. L’ATE est en moyenne plus âgée que le marché de l’emploi global en France, d’où des défis de gestion des effectifs. La transformation numérique et ses implications (télétravail, visioconférences, etc.) doivent être prises en compte. La réforme de l’État vers plus de déconcentration et de décentralisation nécessite des adaptations de l’ATE.

En Australie, 90 % des experts en numérique et en données vivent en dehors de la capitale. Cette situation requiert un degré plus élevé de flexibilité dans les modalités de travail.

Quelles sont vos propositions d’adaptations des politiques RH à partir des mesures mises en œuvre par d’autres administrations des pays de l’OCDE ou par le secteur privé ?

F. V. – Il n’y a pas de recettes prêtes à l’emploi ! Notre objectif n’est pas de dire quel pays fait mieux, mais d’objectiver, à partir de données fiables, les pratiques de chacun pour permettre aux autres, le cas échéant, de s’en inspirer. La fonction RH doit effectivement s’adapter : outils d’attractivité proactifs, soutien à la formation continue, concentration des processus de recrutement sur les compétences.

D. G. – Oui, souvent dans les pays de l’OCDE, certains examens d’entrée dans la FP demandent encore de réciter des textes et références juridiques. Les FP doivent regagner en attractivité. Que recherchent les candidats potentiels ? Des choses que le secteur public peut offrir : trouver du sens à son travail, en mesurer l’impact ; évoluer au sein de carrières variées ; apprendre dans son travail. La FP ne communique pas assez sur ces aspects.

Certaines réussites de nos voisins ou du secteur privé ne seraient pas transposables. Mais certains freins apparents ne sont-ils pas surmontables ?

D. G. – La DGAFP y est très attentive. Des pays se rendent compte que telle action pourrait fonctionner chez eux. En France, Marque employeur3 ou le site Internet Place de l’emploi public, qui centralise les offres des trois fonctions publiques, ont été mis en place en cours d’étude. Les plateformes RH permettent à l’État de développer une véritable stratégie territoriale dans les régions.

D. M. – Les récents fonds d’innovation RH (FIRH) visent eux à soutenir des initiatives RH innovantes développées en administration centrale.

Comment être attractif sans tomber dans le piège de recrutements non adaptés ?

D. M. – C’est tout le défi de ce projet. Si on s’assure que chaque talent peut postuler dans la FPE, alors cette question devient un non sujet.

La transformation numérique des administrations publiques à travers l’OCDE

Que font les autres pays de l’OCDE pour développer les compétences numériques de l’ensemble des agents et renforcer l’attractivité de la filière numérique de l’État ? Quelques bonnes pratiques tirées du rapport4.

« En Slovénie, l’académie de l’administration du ministère de l’Administration publique a lancé un programme de formation à la culture numérique des agents publics en 2019. L’objectif de ce programme est de permettre aux agents publics d’utiliser les outils numériques de manière créative, sûre, et stratégique. Ce type de programme est d’autant plus important en Slovénie, où 77 % des agents publics interrogés dans une récente enquête déclarent manquer de motivation pour améliorer leurs compétences numériques. »

« En Irlande, et en lien avec le déploiement de la stratégie nationale de télétravail précédemment mentionnée, de nombreuses entreprises privées sont épaulées par des organismes publics de formation pour développer des formations en lien avec la communication, les compétences de gestion à distance des équipes, les compétences informatiques ou le renforcement de la confiance. »

« Au Canada, l’Académie du numérique de l’École de la fonction publique du Canada (EFPC), qui existe depuis 2018, cherche à former les agents publics aux approches et mentalités numériques et propose un programme spécifique aux managers et hauts fonctionnaires. “Découvrez le leadership numérique” cherche à détailler ce que signifie être un manager à l’ère numérique. De surcroit, l’Académie du numérique a récemment proposé aux hauts fonctionnaires un programme intensif de trois mois cherchant à répondre de manière innovante à des problématiques pratiques. »

« La DGEAC de la Commission européenne a mis en place depuis 2016 un programme de mentorat inversé, permettant à des stagiaires de la Commission d’être jumelés avec des directeurs en fonction d’intérêts identifiés par les deux parties. L’objectif ici était de permettre aux directeurs, avec plus d’expérience, d’en apprendre plus sur la communication sur les réseaux sociaux. Les stagiaires et directeurs sont ainsi invités à échanger 4 à 6 fois pendant la durée du stage pendant au moins une heure afin d’aboutir à des échanges profonds. Tout au long du processus, la DGEAC fournit des conseils aux mentors et mentorés pour définir des attentes communes. »

« En Australie, entre 25 et 33 % des employeurs rencontrent des difficultés pour recruter des spécialistes numériques et des données, ce qui correspond à 75 000 emplois non pourvus, et ce alors qu’il faut compter environ 8 ans pour qu’une nouvelle recrue du secteur public puisse devenir un expert. Dans le contexte d’une fonction publique qui se doit d’offrir un égal traitement entre les candidats, de nombreux pays cherchent à donner une plus grande place à des politiques de GRH sur mesure pour des métiers et des filières en tension, comme la filière numérique, qui connaissent leurs propres spécificités. »

« Au Royaume-Uni, le Digital, Data and Technology (DDaT) Cross-Government Recruitment Service cherche à permettre au secteur public de constituer un vivier unique de talents numériques. Ce service accompagne les équipes demandeuses en mettant en place des stratégies de recrutement ou en travaillant sur la qualité des offres d’emploi. De manière plus stratégique, il permet également de consulter une liste dite “de réserve” des autres départements, accélérant ainsi l’identification des talents nécessaires. »

« La question de la mobilité géographique est également centrale. Pour des emplois dont l’ensemble des tâches peut généralement s’effectuer à distance et dont les connaissances spécifiques à l’agence requises sont limitées, il peut être intéressant de mener une réflexion sur la notion même de lieu de travail, voire d’offrir la possibilité de travailler à distance à temps plein : en Australie, 90 % des experts en numérique et en données vivent en dehors du territoire de la capitale, alors que la majorité des campagnes de recrutement cible ce territoire. Cette situation requiert une adaptation de la visibilité des offres d’emploi, et un degré plus élevé de flexibilité dans les modalités de travail. »

Au Canada, l’Académie du numérique de l’École de la fonction publique du Canada (EFPC), propose un programme spécifique aux managers et hauts fonctionnaires. « Découvrez le leadership numérique » cherche à détailler ce que signifie être un manager à l’ère numérique. 

  1. Gerson D., Villeneuve F. et Mulligan D., Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale, rapport, 2023, OCDE.
  2. Ibid., p. 73-84.
  3. Marque employeur met en avant les valeurs et engagements partagés par les employeurs publics et mis en œuvre par leurs agents.
  4. Extraits de Gerson D., Villeneuve F. et Mulligan D., Renforcer l’attractivité de la fonction publique en France. Vers une approche territoriale, op. cit., p. 50-53.
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