Revue

Dossier

Le Bus France services, avant-garde d'un « nouvel état d'esprit public » ?

Des conseillères du Bus France Services dans l'Yonne
Élodie G. et Élodie E, les deux conseillères du Bus France services de l’Yonne, installé devant la mairie, sur la place de l’Église. Nous sommes dans une zone très rurale, non desservie par des transports publics. L'intérieur du Bus, se présente comme un grand van aménagé avec deux banquettes à l'arrière et une table. Une cloison est prévue pour délimiter deux zones de confidentialité. Le Bus est équipé d’une connexion Wi-Fi autonome, d’ordinateurs portables, d’imprimantes et d'un scanner.
©DR
Le 9 janvier 2024

La crise des Gilets jaunes et le Grand débat qui s’en est suivi ont amené le gouvernement à repenser le déploiement des services de l’État dans les territoires. Dans la continuité des MSAP (Maison de Services au Public), l’État annonce en 2019 la labellisation d'ici à 2023 de 2500 espaces France services à travers un portage national de l’ANCT et une coordination des collectivités et opérateurs sur le terrain par les Préfectures. La plupart des territoires ruraux ont mis en place un dispositif nomade pour aller à la rencontre des populations les plus éloignées. Nous avons suivi en novembre le Bus France services de l’Yonne sur la commune de Mailly-le-Château. Ce dispositif instructif dessine les contours d’un « nouvel esprit public » de l’accueil et de la relation entre usagers et administrations.

Le dispositif du Bus France services dans l’Yonne

Mailly-le-Château est un village de 540 habitants situé à 30 kilomètres d'Auxerre dans l'Yonne. Nous sommes dans une zone très rurale, non desservie par des transports publics. Ce 7 novembre 2023 nous avons rendez-vous avec les conseillères du Bus France services de l’Yonne. Le Bus est installé devant la mairie, sur la place de l’Église. Deux kakemonos le signalent. Élodie G. et Élodie E. m'accueillent en ce début de matinée. L'intérieur du Bus, se présente comme un grand van aménagé avec deux banquettes à l'arrière et une table. Une cloison est prévue pour délimiter deux zones de confidentialité. Le Bus est équipé d’une connexion Wi-Fi autonome, d’ordinateurs portables, d’imprimantes et d'un scanner.

Le Bus a été mis en place trois ans plus tôt par le Conseil départemental. Il est le seul des 33 espaces France services de l’Yonne à être porté par le département. Florence Nunes l’animatrice du réseau France services de la Préfecture de l'Yonne, précise que la majorité des espaces « sont portés par des communes et des EPCI. Un l’est par un syndicat de communes (le SIVOM du Nord-Sénonais à Villeneuve-la-Guyard), enfin, trois espaces France services sont portés par des CCAS et cinq par la Poste ».

Le dispositif du Bus matérialise la démarche de « l’Aller vers » et donne corps à la promesse présidentielle que chaque français puisse disposer d'un Espace France services à moins de 30 minutes de chez lui. Le Bus se rend dans 30 communes de l'Yonne, à raison d'une  fois par mois.

Comme tout Espace France services, le Bus propose un accès aux 9 partenaires nationaux du bouquet de services rassemblés par l'ANCT : la CAF, CPAM, Pôle Emploi désormais France Travail, les Impôts, la MSA, la MDPH, le CARSAT (retraite) le Ministère de l’Intérieur (l'ANTS), le Ministère de la Justice (Point Justice) et la Poste. S’y ajoutent des partenariats territoriaux avec Domanys (logement social) et la Banque des Territoires. Les conseillères ont eu une formation initiale chez chacun des partenaires et bénéficient de formations continues. Il a été défini que leur intervention serait de « premier niveau ». Leur rôle est d'accompagner les usagers à travers leurs propres interfaces numériques. Si les conseillères n'ont pas accès aux outils et autres données des opérateurs, elles disposent d'une ligne directe en back-office avec chacun d'entre eux, pour démêler certaines situations. Ils s'engagent à répondre dans les 48h.

Ces premiers constats font apparaître que France services est conçu comme un dispositif de facilitation à l'accès aux services dématérialisés pour des populations considérées comme « illectroniques » et/ou ayant besoin d'un contact humain. La DITP a évalué à 20% cette portion de la population. Sur ce territoire très rural, le pourcentage est sans doute bien plus élevé.

L'illectronisme et l'immobilité comme défi à la dématérialisation

Élodie G. nous explique que la population reçue est en majorité âgée et que « ce sont des gens plutôt mal à l'aise avec le numérique (…) On va dire que 60% n'ont pas d'adresse e-mail ». Dans le Bus, les trois services les plus demandés sont : la retraite, les impôts et l’ANTS pour les permis de conduire, cartes d’identités et passeports. Les demandes varient en fonction des spécificités territoriales. Certains territoires ont plus de personnes âgées, de jeunes, de travailleurs indépendants, de migrants par exemple. La réforme des retraites a augmenté le nombre de demandes et les périodes de déclarations fiscales sont bien marquées.

Au cours de l'entretien, les conseillères relatent des situations permettant d'appréhender la diversité des situations rencontrées. Une personne est venue parce qu'elle s'est aperçue qu'elle devait payer l'intégralité de la paye à une aide-ménagère, pensant que le crédit d'impôt était imputé dès le départ. Des gens se sont déplacés depuis la Puisaye (une cinquantaine de kilomètres) en raison d'une urgence. Certaines personnes viennent tous les trois mois, car sur certains dispositifs, il faut indiquer ses ressources chaque trimestre. « Sinon elles abandonnent et cela donne le non-recours » rappellent les conseillères. Un problème en cache souvent un autre, comme la nécessité de refaire une carte d'identité en sus des démarches entreprises. Dans ce cas, il s'agit d'entamer plusieurs procédures à la fois. 

Élodie G. nous explique que chaque conseillère (ce sont toutes des femmes dans l’Yonne) est plus à l'aise avec certains services, en fonction de son parcours, sa sensibilité. Elle est titulaire d’un BTS dans le sanitaire et social et d’un Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS) et s’est spécialisée sur les questions de retraite. « J’ai un bagage sur la retraite qui me permet de répondre. Je me sers de mon expérience ». Élodie E. a occupé des fonctions dans l'accueil et le secrétariat et s'occupe de sujets sociaux. Toutes les deux se disent passionnées par ce nouveau métier, qui allie contact humain, polyvalence et diversité des situations.  Florence Nunes, l’animatrice du réseau France services en Préfecture précise que : « Où que vous soyez, dans chaque France services, vous devez trouver le même service public. Mais il est vrai que la qualité dépend du conseiller, selon qu'il a débuté il y a deux mois ou plusieurs années ».

Ce jour-là, le Bus reçoit Thierry, 65 ans, pour un dossier retraite. À l'issue de l'entretien, il accepte de me parler en privé. Thierry a travaillé dans cinq ou six secteurs différents, notamment en tant qu'artiste. Désormais, si l'usager s'aventure à vouloir faire un dossier papier, il doit prendre contact avec toutes les caisses, ce qui est vite hors de portée. Or Thierry n'a pas non plus d'e-mail, d'imprimante et de scanner. Il raconte que s'il avait dû faire son dossier numérique seul cela aurait été « trop démoralisant ». Dans une double impasse, il est informé de l'existence du dispositif par un agent départemental en charge du RSA. « Au moment, où j'ai dû signer mon contrat d'engagement, je lui parle de mon dossier retraite, que je ne sais pas comment constituer. Il me dit : vous savez qu’il existe un Bus ? ».

Thierry s'y est rendu une première fois, et Élodie G. a préparé le terrain avec lui pour finaliser son dossier. Ce jour-là, il est en possession de tous ses documents. Il est étonné de « voir toute sa vie défiler sur l'ordinateur » et découvrira au passage que certains de ses employeurs ne l'ont jamais déclaré. Pour Thierry, le Bus permet aussi d'éviter de se déplacer à Auxerre en étant incertain d'obtenir des réponses et être forcé d'y retourner. L'essence coûte cher. Il n’hésite pas à qualifier le service rendu par le Bus de «magique».

Quand on l'interroge sur ce qu'il pense de l'évolution de l'accueil dans les services publics en général, il répond : « J'ai l'impression de vivre dans un film de science-fiction, que j'avais vu dans les années 70. Là je suis dépassé. Je trouve ça tellement inhumain ». Il se demande ce qu'il se passera si un jour « tout grille » et se dit convaincu que cela finira par arriver.

Le Bus France Services à Mailly-le-Château

Le Bus France Services à Mailly-le-Château, un village de 540 habitants situé à 30 kilomètres d'Auxerre dans l'Yonne.

Perception du Bus par les habitants et notoriété du dispositif

Pendant que les conseillères reçoivent d’autres usagers, je vais interroger les habitants de Mailly-le-Château. L'épicier me dit avoir eu recours au Bus une fois pour un courrier. « J'étais très content » lâche-t-il, avant d'expliquer à son tour qu'il n'a pas d'e-mail personnel et que désormais les démarches administratives « ce n'est pas simple ». Une habitante dont la maison se trouve en face du Bus se dirige vers la boîte aux lettres de la mairie. Elle dit avoir « 93 ans et demi », sait à quoi sert le Bus. Elle se dit favorable à l'expérience mais estime ne pas en avoir l'usage, avant d'ajouter : « J'irai si jamais j'ai un problème ».

Elle continue de remplir sa déclaration d'impôts sur papier et son diagnostic est sans appel : « Quand ma génération va partir, il n'y aura plus de papier. C'est ce que j'appréhende un peu. Mais je ne le verrai certainement pas ».

Dans la mairie, je tombe sur l'adjoint au maire Jean-Michel, qui accepte volontiers de me parler. « Pour nous, le Bus c’est tout bonus. On a que de bonnes choses à en dire ! » répond t-il tout de go. En discutant plus avant, il m'explique que « le Bus ne peut pas tout faire. Si les personnes doivent aller faire des photos d'identité, il faut bien qu’ils aillent au plus près à Vermenton. Et il n’y a pas de transport. Il faut donc compter sur de la famille de passage, des voisins. Le problème central ici, c'est la mobilité ». La mairie aimerait avancer sur ce sujet, mais la Communauté de communes qui en a la compétence peine à prendre en compte ces problèmes. « L’accueil, c’est pour les gens qui peuvent venir à un accueil », conclut-il. 

Il partage le constat de ses administrés à propos du difficile mélange papier/dématérialisation dans certains cas, et de ces dispositifs : « On attend que ces gens disparaissent. Et à terme, c’est ce qu’il va se passer ».

La mairie soutient ce dispositif avec les moyens. « Quand il pleut, on ouvre une salle d'attente » explique Jean-Michel. L'adjoint souhaiterait ainsi que le dispositif soit mieux connu. « On se rend compte par rapport à nos administrés, qu’il faudrait relancer l’information plus souvent. Nous repassons l’information sur Panneau Pocket régulièrement (l'appli mobile de la mairie), mais cela ne suffit pas ». D'après lui, les flyers doivent être diffusés davantage pour que la population y compris sa partie non "connectée" soit informée, car « le fait qu’il y ait un passage une fois par mois, fait que des personnes oublient » explique-t-il.

Je me rends au Café de l'Espérance, dans une rue adjacente. J'interroge Christian et Gérard. Ils ont déjà vu le Bus mais ne savent pas expliquer à quoi il sert. Après les avoir éclairés, ils se disent intéressés : « c'est vrai que quand on voit une personne, c'est plus simple ». Eux aussi pensent qu'il devrait y avoir plus d'informations, notamment devant la mairie, et croient aussi dans le bouche-à-oreille.

En fin de matinée, nous poursuivons l'échange avec les conseillères. Je les interroge sur les choix de programmation des tournées. Le nombre de personnes vues par matinée varie de 2 à 15 selon les communes. « Tous les semestres ou 6 mois, les circuits sont réévalués afin de voir s'il y a un intérêt ou non à venir dans un village.  Si on ne voit personne, pas d'intérêt que l'on reste » explique Élodie G. « À contrario, dans certaines communes, le bus est passé d'une demi-journée à une journée par mois, car la demande était forte ».

En ce qui concerne la communication, les conseillères passent des annonces dans les magazines du département. Elles adressent les infos et documents aux mairies. Elles diffusent des flyers à la boulangerie, dans les commerces, et travaillent en effet à intensifier la communication. Leur objectif à terme est de faire en sorte que chaque commune soit au courant de l'existence du Bus. Jean-Michel, l'adjoint au maire est sorti de la mairie et engage la discussion avec elles sur la communication, répétant qu'il faudrait « redoubler d'efforts ». On perçoit que l’enjeu de création d’une véritable notoriété du dispositif implique et dépasse encore tous les acteurs à ce stade.

Pour Florence Nunes, l'institution « sait bien qu'il y a une population qui n'a jamais entendu parler de France services ». Elle évoque une nouvelle campagne de l'ANCT sur le sujet et demeure réaliste. « Je discutais hier avec une amie qui publie un petit journal. Des administrés se plaignent que tout soit dématérialisé. Mais on constate qu'ils ne lisent pas non plus le journal. Le problème c'est qu'on ne peut pas prendre tous les administrés par la main ».

Parmi les jeunes, une population exclue par la complexité administrative

Lorsque je relate aux conseillères du Bus que le dispositif peut être vécu par des habitants comme un service d'appoint pour des personnes âgées, « le temps que cette génération disparaisse », elles s'inscrivent en faux. « Nous avons aussi des jeunes de 20 ans », répond Élodie E. « Les jeunes sont connectés, mais ne sont souvent, pas du tout à l'aise avec les services administratifs. Déjà, pour nous professionnelles, c'est parfois compliqué  (...) Moi, j'ai appris à l’école à rédiger un chèque ». D'après elle, il devrait y avoir à l'école, une initiation à la maîtrise informatique et à la création d'e-mail.

« On fait du Python et du Scratch, mais les bases des systèmes administratifs, on ne les apprend pas » déplore t-elle. Elle explique que la complexité du numérique s'est en partie accrue avec la lutte contre la fraude. « On parle de fraude mais il faut aussi se poser la question des droits ».

La situation de nombreux jeunes fait en attendant apparaître un sujet moins visible que celui de « l'illectronisme », qui lui est souvent contingent. Ce sont les personnes présentant, ce que nous pourrions appeler une « allophonie administrative », à savoir ne parlant pas le langage administratif, qu'il soit numérique ou non. Ce sujet est en général adressé par la « facilitation administrative» avec la réduction et la réécriture des formulaires. Mais le chantier consistant à repenser en profondeur l'accessibilité des politiques publiques à travers leur langage, reste encore prospectif.

L'émergence d'une nouvelle génération « administrativement allophone » indique que le processus de « l'Aller vers » contiendrait plusieurs enjeux de réduction de distance : aller vers les personnes géographiquement éloignées ; parvenir à se faire comprendre dans les deux sens ; savoir accueillir et accompagner de manière efficace tout usager. Dans cette mise en pratique plus pointue, les conseillères du Bus France services semblent représenter à ce jour une avant-garde.

Les deux doctrines de l’accompagnement administratif numérique

Afin de saisir la nature de cette avant-garde, voici une observation réalisée dans une agence CPAM de la même région, quelques semaines plus tôt. Une conseillère se trouve à une borne d'accueil. Il y a une file d'attente de cinq personnes. Une femme d'une soixantaine d'années se présente. Elle a besoin d'une attestation de sécurité sociale. La conseillère la renvoie à un poste informatique, lui allume l'imprimante. La femme dit ne s'être jamais connectée sur Ameli via un ordinateur et n'est pas sûre d'avoir ses codes. L'agente retourne tout de même à sa borne pour accueillir une autre personne. Une jeune femme se présente avec un problème de remboursement. L'agente l'installe a un poste informatique pour qu'elle vérifie elle-même ses paiements sur Ameli. Après avoir tenté à plusieurs reprises d'obtenir de l'aide, la première femme ne parvient pas à se connecter et repart en lançant à la cantonade dans la file d'attente : « A quoi ça sert de se déplacer ? ». La jeune femme quant à elle, reviendra à la borne au bout de quinze minutes, avec les mêmes questions qu'au début.

La doctrine du Bus France services semble présenter une différence fondamentale dans la philosophie de l'accueil traditionnel. « Ici, on ne laisse personne repartir sans rien » martèle Élodie G. « Les gens sont contents d'avoir quelqu'un en face d'eux et pas qu'une machine ».

Une grande différence avec un accueil classique, c'est que si les usagers n'ont pas d'e-mails, de compte Ameli ou France Connect, elles les créent avec eux. Or cette forme « d'accueil avancé » engendre une situation nouvelle comme nous l’explique Élodie G. « Clairement, la démarche numérique c’est bien, mais ce que je m’oblige à faire, c'est que les personnes repartent avec un récapitulatif. C’est normal qu'elles repartent avec une preuve de ce qui a été fait... ».

Les conseillères fournissent sur une fiche dédiée, les adresses des sites et les codes personnels, qu'elles ne gardent jamais avec elles. On comprend que si les usagers « papier » et « numérique » autonomes ont une trace et un lien direct avec les opérateurs, les « aidés » de France services peuvent sinon n'avoir aucun lien direct avec l’opérateur, la relation devenant alors plus abstraite qu'elle ne l’a jamais été. Enfin le « quelque chose avec lequel chacun doit repartir » ne relève pas seulement de la technique. Élodie E. nous raconte qu'un homme vivant seul est venu avec un problème de sécurité sociale occasionnant des problèmes financiers. « Il a dit : j'ai 73 ans aujourd'hui. Je lui ai répondu : il faut vous faire du bien aujourd'hui. Allez chercher un petit gâteau. Il est reparti en disant : aujourd'hui j'ai vu le Seigneur ». En gardant la tête froide, elle explique que « ce qui fait plaisir dans ce métier, c’est de se sentir utile ».

Vers un « nouvel état d'esprit public » dans la relation usager et administration ?

Les situations auxquelles ces agentes sont confrontées, les placent à un poste d'observation précieux en ce qui concerne les affres de la dématérialisation, la transversalité inaboutie entre les services de l’État, les effets de « l'allophonie administrative », pas seulement sur les 20% d’illectroniques. Les conseillères du Bus ont au départ pour consigne de rester à un « premier niveau » d’aide, mais elles sont souvent confrontées à des situations complexes, qui les amène à penser leur contribution en réseau et non pas en silo. « Quand on arrive sur des problèmes compliqués, on renvoie vers les travailleurs sociaux mais aussi des conseillers numériques du territoire, des conseils juridiques » raconte Élodie G. « Par exemple une personne passait en justice et voulait contester le résultat. Les professionnels lui disaient qu'ils ne pouvaient rien faire. Je l'ai orientée vers d'autres professionnels. Ces derniers disposent aussi de services de Bus ».

Même si elles ne sont pas enjointes de le faire à ce jour, dans certains cas, les conseillères peuvent être amenées à suggérer à des opérateurs et professionnels de prendre l'initiative de rappeler des usagers. « C’est aussi de l’analyse. Quand je vois que les gens sont très timides, je demande à un collègue de rappeler. Je ne peux pas me dire que la personne est venue au Bus et qu’elle repart sans rien. Je dois l’accompagner. Le principe du Bus est de ne laisser personne seul. Soit on apporte une réponse maintenant, soit en différé, soit on va aller chercher l'info » raconte Élodie G. Florence Nunes, coordinatrice de la Préfecture, a conscience de cet aspect vivant du métier : « On dit aux conseillers qu’ils doivent rester au niveau 1. Mais certaines personnes comme Élodie G. sont très à l'aise. Après c’est une affaire de feeling et de personnalité. Difficile de dire à un conseiller : tu t’arrêtes là ».

Les compétences de ce métier de conseiller de proximité nomade sont : l'autonomie, la débrouillardise et l'adaptation, le souci du résultat, le travail en réseau, la polyvalence culturelle. « Oui on est des agents polyvalents, même si on est conscientes que ce terme n'est pas utilisé » reconnaît Élodie G. Or cette polyvalence ne va pas sans investissements sur la durée, car les conseillères doivent régulièrement « se mettre à jour » à travers des Webinaires notamment.

Florence Nunes, reconnaît que « la professionnalisation des conseillers France services passe par des formations à distance régulières qui prennent du temps et qui pourraient à la longue devenir chronophages ». Guillaume Clédière, directeur du programme national France services nous l'explique dans l'entretien qu'il nous a accordé par ailleurs, que l'ANCT a pris conscience de ce sujet, et travaille actuellement à l'amélioration de la formation continue.

Il y aurait bien des bornes spécifiques dans l'exercice de ce nouveau métier. Mais elles seraient moins dans la frontière entre premier et deuxième niveau d'intervention numérique, que dans les efforts et moyens à rassembler pour maintenir une capacité d'accueil et d’accompagnement qualitative pour chaque personne accueillie. Cette avant-garde de l'accueil et de l'accompagnement n'aurait pas seulement vocation à s'adresser aux « derniers illectroniques du 21e siècle » mais aussi aux nombreux cas « d’allophonies administratives et civiles », qui font à ce jour, de la relation entre administrations et usagers, quelque chose de complexe et parfois de violent. On peut y voir les prémices d'un nouvel « état d'esprit public ».

La ruralité et les « territoires perdus » de la République peuvent être considérés comme des avant-postes privilégiés pour dessiner et fixer les contours de cette nouvelle culture.

×

A lire aussi