Jacques Toubon s'inquiète pour les laissés pour compte de la dématérialisation

Dématérialisation  et inégalités d’accès  aux services publics
Le 23 janvier 2019

Observateur privilégié des situations où les services publics ne respectent pas les droits et libertés des usagers, le Défenseur des droits a parmi ses missions de lutter contre les discriminations. Alors que le programme Action publique 2022 s'est donné pour objectif la dématérialisation de l’intégralité des services publics à horizon 2022 et en pleine crise des Gilets jaunes, le constat dressé par Jacques Toubon est plus qu'inquiétant. Ses services ont reçu plusieurs milliers de réclamations sur le seul sujet de la dématérialisation de la délivrance des permis de conduire et des certificats d’immatriculation et les chiffres sur l'exclusion numérique sont toujours très élevés : 7 millions de personnes (12 % de la population française) ne se connectent jamais à internet. Et 18 millions de citoyens s'estiment incompétents lorsqu'il s'agit d'utiliser un service public en ligne.

Ce constat a conduit le Défenseur des droits a consacrer pour la première fois un rapport complet sur la dématérialisation et les inégalités d’accès aux services publics, rendu public le 17 janvier dernier, en recommandant notamment des actions rapides pour les laissés pour compte de la dématérialisation : personnes en situation de handicap, majeurs protégés (plus de 730 000 personnes) et les personnes détenues. Un rapport qui remet au centre de l'actualité la nécessité de renforcer les politiques publiques pour lutter contre la fracture numérique et qui pourrait utilement alimenter le Grand Débat national actuel.

Si la dématérialisation constitue un puissant levier d’amélioration de l’accès aux droits, on ne peut ignorer les difficultés d’une partie de la population et les besoins spécifiques de certaines catégories d’usagers. Sa mise en œuvre doit respecter les principes fondateurs du service public : l’adaptabilité, la continuité et l’égalité. Comme le notent de manière prémonitoire les auteurs du rapport, sous-estimer cet obstacle conduirait à priver de leurs droits et à exclure davantage de personnes en difficulté, avec un recul inédit du service public et une dégradation du respect des droits et libertés par les administrations et les organismes chargés d’une mission de service public.

Après une analyse méthodique des progrès apportés par la dématérialisation des services publics mais aussi des menaces découlant des modalités de sa mise en œuvre qui nécessitent un accompagnement des usagers, le rapport du Défenseur des droits retient cinq séries de recommandations qui peuvent utilement alimenter le Grand Débat actuel.

1 - Conserver toujours plusieurs modalités d’accès aux services publics

• Une disposition législative devrait d’abord imposer de préserver plusieurs modalités d’accès aux services publics pour qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée.

2 – Mieux prendre en compte les difficultés des usagers

• En cas de problème technique, une clause de protection des usagers doit leur éviter d’être considérés comme responsables du non-aboutissement de la démarche.

• Envoi sous forme papier des notifications d’attribution, de suppression ou de révision de droits comportant des délais et des voies de recours, sauf si la personne consent expressément et au préalable aux échanges dématérialisés.

• Délai garanti pour faire des rectifications lors d’une démarche administrative dématérialisée.

• Prévoir des exceptions juridiques aux obligations de paiement dématérialisé imposées par la réglementation ; garantir l’existence d’une autre modalité de paiement que par voie bancaire.

3 - Repérer et accompagner les personnes en difficulté avec le numérique

• Le rapport propose d’évaluer les apprentissages de l’usage du numérique à l’occasion de la journée défense et citoyenneté.

• Evaluer systématiquement les besoins d’accompagnement liés aux projets de dématérialisation, avec les moyens dédiés.

• Redéployer une partie des économies générées par la dématérialisation pour des dispositifs pérennes d’accompagnement des usagers.

• Créer un service public de proximité réunissant un représentant de chaque organisme social, des impôts, de pôle emploi, un travailleur social ainsi qu’un médiateur numérique pour réaliser un accompagnement de la population, en particulier la plus fragile.

4 - Améliorer et simplifier les démarches dématérialisées pour les usagers

• Le rapport préconise d’utiliser un identifiant unique pour accéder à l’ensemble des services publics dématérialisés.

• Mieux faire connaitre la gratuité des démarches administratives et mettre fin à l’orientation des usagers vers un service privé payant. 

• Former les travailleurs sociaux et les agents d’accueil des services publics à l’usage numérique, à la détection des publics en difficulté et à leur accompagnement.

• Former les volontaires du service civique à l’accueil des publics fragiles pour conforter les agents de l’organisme qui dématérialise des procédures.

5 - Prendre en compte les publics spécifiques

Trois situations font l’objet de propositions :

• Pour l’ensemble des personnes privées de liberté, leur permettre de disposer d’un accès effectif aux sites internet des services publics, des organismes sociaux et aux sites de formation en ligne reconnus par le ministère de l’éducation nationale.

• Pour le majeur protégé et le mandataire judiciaire, généraliser le double accès aux comptes personnels à tous les sites des services publics.

• Pour les personnes handicapées, leur permettre d’accéder effectivement à leurs droits en cas d’impossibilité avérée de mise en accessibilité d’un site internet existant et dans l’attente de la mise en place d’un site répondant aux normes d’accessibilité.

Axé sur les seuls services publics, cet ensemble de préconisations protectrices, formulé au bon moment mériterait sans doute d’être relayé utilement vers les collectivités territoriales au cœur du Grand Débat en cours.

 

 

 

 

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