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Nouveau contrat social : de la théorie à l’action

Le contrat social
Le pacte social au temps des Lumières n'a pas grand-chose à voir avec celui qui prévaut quatre siècles plus tard. Les tensions changent avec la société.
©Adobe Photostock
Le 17 décembre 2020

Après la crise sanitaire du covid-19, la question du contrat social dans « le monde d’après » n’a jamais été autant débattue. L’enjeu est maintenant de passer du débat à l’action. Et si, en changeant la focale, on s’apercevait qu’il se construit déjà sous nos yeux, à partir d’une myriade de mouvements et d’acteurs déjà à l’œuvre ?

Le contrat – ou pacte – social, c’est d’abord une pensée

Trois noms s’imposent lorsque l’on s’intéresse à cette notion : ceux des philosophes Thomas Hobbes et John Locke au xviie siècle, et surtout Jean-Jacques Rousseau au xviiie siècle. C’est donc au siècle des Lumières que le concept émerge et que l’on commence à étudier à quelles conditions le genre humain est capable de passer de l’état de nature à celui de société organisée. Plusieurs siècles plus tard, le pacte social n’a jamais quitté le débat d’idées, même s’il suscite encore des controverses. Il faut dire que l’enjeu sous-tendu est vertigineux : qu’est-ce qui fait « tenir » une société ? Comment obtenir de ses membres, aussi divers soient-ils, qu’ils s’entendent et acceptent les termes d’un contrat pourtant imaginaire ? Comment trouver une forme d’association qui nous convienne à tous ? Des questions dont la portée n’a jamais été aussi forte aujourd’hui.

Les conséquences de cette pensée sont concrètes et quotidiennes

Tant bien que mal, en général nous acceptons de payer nos impôts, nous reconnaissons l’autorité d’un policier qui nous contrôle, nous attendons notre tour à la CAF, nous essayons de déclarer nos formalités en ligne, nous touchons un salaire en échange d’un travail, etc., et depuis peu, nous faisons au mieux pour respecter les gestes barrières et nous suivons les instructions gouvernementales sur le confinement (et le déconfinement). Tous ces actes quotidiens et tant d’autres sont les manifestations concrètes de l’existence d’un contrat social. Mais aucun d’eux n’est anodin, ni irrémédiablement acquis. Il existe aussi, pêle-mêle, des situations de non-recours aux droits (involontaires mais aussi volontaires), de rejet de l’autorité, des infractions de toutes sortes, des atteintes à l’état de droit, des violences policières et des lanceurs d’alertes pour nous le rappeler, ou encore des phénomènes de résistances face à l’impôt. Comment tenir pareille ligne de crête, surtout lorsque l’horizon s’obscurcit çà et là ?

La météo qui influe sur le pacte social est fluctuante, imprévisible et de plus en plus agitée

Le pacte social au temps des Lumières n’a pas grand-chose à voir avec celui qui prévaut quatre siècles plus tard. Les tensions changent avec la société. Quand le Conseil national de la Résistance met en œuvre son programme fin 1944 dans un pays dévasté par la guerre, c’est pour construire un nouveau contrat fondé autour de l’intérêt collectif – notamment en créant la sécurité sociale – et contre les intérêts particuliers qui pourraient faire obstacle à la reconstruction. De nos jours ce n’est plus à proprement parler une guerre mondiale, mais de nouvelles formes de tensions qui s’exercent : mondialisation et financiarisation de l’économie, automatisation, suprématie de nouveaux géants des technologies, transformation du climat, fin du multilatéralisme, etc.

En réponse, chacun cherche son « nouveau contrat social »

Depuis les Gilets jaunes et jusqu’à la crise actuelle du covid-19, les prises de paroles se sont multipliées dans ce sens. On pense, par exemple, au président de la République fin 2019, et plus récemment le nouveau Premier ministre lors de sa prise de fonction en juillet 2020. On se souvient également d’une coalition d’ONG réunies autour de Nicolas Hulot et Laurent Berger (Les « 66 propositions pour un nouveau pacte social et écologique », en mars 2019), ou encore à l’occasion des dernières municipales, la maire de Nantes, Johanna Rolland. Un appel à un nouveau contrat social que l’on retrouvera quelques mois plus tard, à l’occasion de la célébration du 150anniversaire de la République française, ou encore de la création d’un nouveau commissariat au plan.

Mais c’est sans doute le niveau des investissements consentis par les différents plans de relance, 100 milliards d’euros en France, 750 en Europe, s’il marque suffisamment les esprits, qui pourrait donner une nouvelle acuité à la question du pacte social. En effet, sommes-nous bien certains que tout cet argent va servir à poser les bases de la société dont nous avons besoin ? Les citoyens que nous sommes sont bien démunis pour répondre à cette question.

Le contrat social

Le pacte social au temps des Lumières n'a pas grand-chose à voir avec celui qui prévaut quatre siècles plus tard. Les tensions changent avec la société.

Nous manquons d’outils pour relier théorie et réalités vécues

Aujourd’hui nous disposons de peu d’instruments pour connecter la théorie du contrat social et la réalité et la rendre plus accessible. Qu’à cela ne tienne, construisons-les ! Pour ouvrir le présent dossier dans ce numéro de la revue Horizons publics, nous avons donné la parole à un auteur pouvant décrire plus en détail la nature des multiples tensions qui s’exercent sur notre contrat social. C’est à Vincent Lassalle du think tank finlandais Demos qu’est revenu ce rôle. Dans sa contribution1, Vincent Lassalle décrit également les grands arbitrages qui s’imposent à nous, par exemple en matière de régulation économique ou encore pour l’avenir du travail.

En contrepoint de cette vision globale, nous avions besoin d’un regard sensible, inscrit dans les réalités locales. C’est pourquoi nous avons demandé à la sociologue Elvire Bornand de nous donner son interprétation de l’état du contrat social dans le territoire nantais2. Sa contribution nous permet à la fois de mieux comprendre de quelle façon l’acteur public répond aux enjeux posés par le contrat social, en quoi cette action s’inscrit dans une histoire locale des solidarités, et combien il est crucial mais aussi difficile de créer de nouveaux imaginaires dans le système capitaliste actuel.

Un nouveau contrat social est déjà là, en préparation

Plutôt que de voir le contrat social comme un événement ou le fruit d’un ensemble de décisions à venir, nous faisons plutôt l’hypothèse qu’il se construit déjà sur la base de mouvements et d’acteurs déjà à l’œuvre, anciens et plus émergents, souvent issus des communautés et dynamiques territoriales. Pour rendre compte de ces mouvements, mes collègues Nadège Guiraud, Sylvine Bois-Choussy, Louise Guillot et moi-même avons tenté de les cartographier, du mouvement des communs jusqu’à la démocratie d’entreprise. Le résultat3, sous forme de carte stellaire, est une boussole pour identifier tous ces mouvements, et une invitation à les faire converger vers un contrat social combinant justice sociale et écologique

Nous avons ensuite proposé à deux auteurs de témoigner sur ces mouvements : Olivier Petitjean, journaliste pour Bastamag, nous fait découvrir l’étendue du mouvement en faveur de la remunicipalisation et de la relocalisation économique, notamment au nord de la Grande-Bretagne4. François Jégou, designer et fondateur de Strategic design scenario, témoigne de la vigueur du mouvement des villes en transition en Europe et dans le monde5. Fort des nombreuses expériences auxquels il a eu l’occasion de participer, notamment dans le cadre du programme communautaire Urbact, il décrypte en détail l’originalité des approches qui permettent à ces villes de prendre en main leur transition, notamment en matière d’alimentation.

Quel rôle pour l’acteur public ?

Nul ne peut décréter le nouveau contrat social, qui ne peut évidemment être que le fruit d’un processus collectif, sur la durée. Si ce processus peut sembler théorique de l’extérieur, plusieurs expériences récentes nous montrent qu’il est possible de bâtir un projet de mandat, des politiques publiques et des stratégies territoriales dans ce sens. Dans le nord de la Grande-Bretagne et aux États-Unis, plusieurs villes gravement touchées par les crises minières et financières ont réussi à rebondir en épousant les principes du « community wealth building » (traduisible par « relocalisation des richesses »), un concept promu en Grande-Bretagne par le Center for Local Economic Strategies qui milite pour une économie au service de la justice sociale. La ville de Wigan, dans le Grand-Manchester, est l’une d’entre elles.

Pour en parler et créer des passerelles entre nos deux pays, nous avons proposé à David Molyneux, chef de l’exécutif de la ville de Wigan en charge du Wigan deal de s’entretenir avec Léonore Moncond’huy6, nouvelle maire de la ville de Poitiers. Un échange stimulant entre un élu vétéran proche du labour britannique (parti travailliste), et une élue Europe écologie les verts (EELV), dont la ville fait partie de la vague verte qui a également déferlé lors des dernières municipales – notamment à Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Besançon, Annecy, Grenoble, etc. Partant de l’expérience de Wigan, ils reviennent ensemble sur les pré-requis de ce type de démarche, sur les leviers dont dispose leur collectivité pour la faire aboutir.

À l’heure du Brexit, cette conversation franco-britannique fait du bien, et les expériences dont les deux maires témoignent redonneront une bouffée d’optimisme à toutes celles et ceux qui se battent, chacun à leur manière, pour fonder une nouvelle société. Alors, ce nouveau contrat, on le signe quand ?

Une réflexion collective et participative sur le nouveau contrat social dans laprès-covid-19

Ce dossier est le prolongement d’une réflexion collective et partagée, qui a démarré avec l’organisation d’un webinaire le 11 juin 2020 sur le thème de « L’après-covid-19 : les collectivités locales sur la piste d’un nouveau contrat social ? », organisé en partenariat par Horizons publics, La 27Région et Demos Helsinki, avec la participation d’Olivier Landel, délégué général de France urbaine et Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France, dans le cadre du Learning Festival States of Change.

  1. Lassalle V., « Le contrat social au temps du covid-19 », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 16.
  2. Bornand E., « Faire société dans un monde en transition : l’expérience nantaise », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 40.
  3. Vincent S., Guiraud N., Bois-Choussy S. et Nessi J., « Monde d’après : les mouvements qui préparent un nouveau contrat écologique et social », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 24.
  4. Petitjean O., « Relocalisation et remunicipalisation : quand les collectivités veulent “reprendre le contrôle” », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 66.
  5. Jégou F., « Territoires en quête d’une souveraineté de transition », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 58.
  6. Vincent S., « Wigan, Poitiers : deux villes à la conquête d’un nouveau contrat social », Horizons publics sept.-oct. 2020, n17, p. 72.
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