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DGS de métropoles : l'ombre de la noblesse d'État ?

Toulouse métropole
Siège de Toulouse métropole
Le 31 octobre 2018

Les cadres supérieurs de la Fonction publique territoriale (FPT) et de la Fonction publique d’État (FPE) rivalisent désormais dans la conquête des postes de pouvoir au sein des grandes collectivités. Nouvel objet de convoitise : les métropoles. Dans ce contexte, cet article propose une analyse des profils des Directeurs généraux de services (DGS) de ces nouvelles institutions territoriales tout en portant la focale sur les recrutements récents qui ont porté à la tête des administrations des grandes agglomérations des représentants de l’État.

Résumé

Au-delà de l’analyse sociohistorique des positionnements stratégiques et des conflits d’intérêts entre cadres supérieurs de la FPE et de la FPT, cet article entend examiner le profil des DGS d’une institution territoriale dont la montée en puissance semble inéluctable ces dernières années : les métropoles. Plus précisément, il s’agit de voir dans quelle mesure et de quelle façon la récente émergence d’une administration locale puissante, ouvrant de nouvelles opportunités sur le marché du travail pour la haute fonction publique, propose un nouvel espace de compétition entre fonctionnaires territoriaux et d’État.

Plusieurs cas de figure se présentent en fonction du contexte local. Premier cas de figure : à l’occasion de la transformation de l’agglomération en métropole, la pérennisation ou le recrutement d’un DGS issu de la territoriale en « mode complice ». En plus de l’expérience, de l’expertise et du statut, c’est la proximité entre l’élu et le technicien qui est ici déterminante.

Deuxième cas de figure : le « mode rupture » qui procède des bouleversements politiques survenus à l’occasion des élections municipales de 2014. Les nouveaux élus optent alors tendanciellement pour le recrutement de hauts fonctionnaires d’État comme à Grenoble ou à Lille par exemple. Aux yeux des nouveaux élus, le choix d’un cadre de la la FPE apparaît en effet comme la garantie d’un accès privilégié aux administrations centrales et aux instances gouvernementales et parlementaires. Le recrutement de hauts fonctionnaires d’État dans les métropoles devrait se renforcer à l’issue des prochaines élections locales selon l’auteur, notamment sous l’effet des mutations institutionnelles, territoriales et politiques avec la fin du cumul des mandats.

« [Les] hauts fonctionnaires territoriaux [...] ont vocation, sous l’autorité des élus, à occuper les fonctions de direction générale et de direction dans les collectivités locales de plus de 40 000 habitants. [Ils sont] recherchés pour leur capacité d’adaptation, leur culture de l’innovation, leur parfaite connaissance de la réalité de terrain et la qualité de leur management [...]. » Rien de surprenant a priori dans cette assertion émanant de Fabien Tastet, président de l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) dont la vocation est précisément de valoriser et de promouvoir, dans une logique corporatiste, le « statut » de ses adhérents et de défendre leurs « intérêts »1. Plus étonnant, le fait que ce verbatim soit issu d’un courrier2 adressé à Patrick Ollier, président de la métropole du Grand Paris et qu’il constitue en réalité une offre de service, visant à favoriser le recrutement d’un administrateur territorial au poste de directeur général des services de l’agglomération parisienne laissé vacant par… un préfet, énarque de surcroît, Thomas Degos. L’entrisme dont fait preuve le président de l’AATF procède sans doute d’une exigence de réciprocité, les scrutins locaux de 2014 et de 2015 ayant consolidé les parts des hauts fonctionnaires d’État sur le « marché » des collectivités territoriales3. Leur prise de pouvoir à l’échelle régionale notamment s’avère spectaculaire : 65 % des DGS proviennent en effet de la technocratie étatique, contre 23 % d’administrateurs territoriaux, ces derniers voyant in fine leur nombre divisé par deux au sortir des processus de fusion de régions menés en France hexagonale.

En bref, l’interpellation épistolaire de Fabien Tastet s’inscrit clairement dans le registre d’une lutte pour la conquête des postes de pouvoir. Elle vise une meilleure reconnaissance des compétences et qualités spécifiques que l’AATF attribue à ses propres membres mais aussi, plus globalement, la production d’un nouveau modèle de légitimité pour la haute-administration publique, du moins pour ce qui relève du pilotage des principales collectivités territoriales sur lesquelles les « A + » de l’État semble progressivement prendre la main.

Dans ce contexte et au-delà de l’analyse sociohistorique des positionnements stratégiques et des conflits d’intérêts entre cadres supérieurs de la FPE et de la FPT4, cet article entend examiner le profil des DGS d’une institution territoriale dont la montée en puissance semble inéluctable ces dernières années : les métropoles. Plus précisément, il s’agit de voir dans quelle mesure et de quelle façon la récente émergence d’une administration locale puissante, ouvrant de nouvelles opportunités sur le marché du travail pour la haute fonction publique, propose un nouvel espace de compétition entre fonctionnaires territoriaux et d’État.

Chimiquement pur ?

En vertu du principe de libre administration des collectivités, les élus locaux ont toujours joui d’une grande liberté en matière de recrutement. On ne saurait ainsi présager d’une quelconque uniformité concernant les caractéristiques des DGS de métropole5, leurs profils renvoyant bien au métissage professionnel typique de la FPT.

En mode complice

Des territoriaux en responsabilité : c’est ce que met en exergue une première lecture des CV des DGS de métropoles, puisque les présidents des agglomérations de Bordeaux, Brest, Montpellier, Nantes, Rennes et Strasbourg n’ont pas hésité, dans la foulée de leur élection, ont confié les rênes de leur administration à un cadre supérieur de la FPT. Si Christian Fina, DGS de l’agglomération montpelliéraine s’inscrit dans le cadre d’emploi des ingénieurs territoriaux, ses « pairs » bénéficient quant à eux de celui d’administrateurs territoriaux6. En dehors d’Éric Ardouin, recruté par Alain Juppé de retour à la présidence de Bordeaux Métropole, ces DGS occupaient d’ailleurs déjà leur poste lors de l’adoption de la loi MAPTAM et des municipales de 2014. La réélection de l’exécutif n’a pas eu d’effet sur ces hauts fonctionnaires, solidement arrimés à leur siège, du moins à court terme7. Bien sûr, au principe de ces reconductions, on évoquera leur compétence et leur connaissance fine du contexte territorial, qui les imposent « naturellement » comme les plus à même de conduire leur communauté respective sur le chemin de la transformation en métropole. Mais c’est aussi un rapport de « complicité » au regard d’un engagement politique commun, qui lie certains d’entre eux à leur président dont ils apparaissent comme des « proches », à l’instar de Bertrand Uguen, homme de confiance de François Cuillandre à Brest.

Outre l’expérience, cette proximité entre l’élu et le technicien semble également peser dans la prorogation des DGS « contractuels » à la tête des services des futures métropoles de Lyon et Rouen. Le retour de Benoît Quignon aux commandes des services de la communauté urbaine lyonnaise en 2011, poste qu’il avait lâché deux ans auparavant, en est le parfait exemple : décrit comme « sûr » et « fidèle »8, c’est à lui que Gérard Collomb décide de confier le pilotage des grands chantiers de sa mandature – mutualisation des services, grand stade puis création de la métropole par fusion avec le Conseil départemental entre 2014 et 2015.

En sus de l’expertise et au-delà de leur statut, c’est bien la capacité pour ces cadres territoriaux à être l’« homme » du président qui assure leur maintien ou, le cas échéant, leur recrutement aux fonctions de DGS au sein d’institution intercommunale en passe de franchir la marche métropolitaine.

En mode rupture

Quid alors des représentants de l’État au sommet de la pyramide administrative des agglomérations désignées par la loi MAPTAM comme les futures métropoles ? À y regarder de près, ce sont également six DGS, ceux des agglomérations de Grenoble, Lille, Marseille, Nice, Paris et Toulouse, qui ont fait leur classe au sein de la FPE. À cet égard, le changement de DGS en 2014 dans le cas niçois s’apparente à une simple transmission de relai –Jean-Michel Drevet, énarque et préfet succédant à Anne Bocquet, énarque et préfète –, auprès d’un président privilégiant de façon récurrente les membres des grands corps de d’État ; de même, à Marseille, le choix de Jean-Claude Gondard, ancien attaché d’administration centrale au ministère des Finances et fidèle de Jean-Claude Gaudin depuis plus de 30 ans relève davantage d’une complicité historique entre l’élu et son collaborateur. C’est pourquoi il apparaît plus heuristique de se pencher sur les quatre autres configurations territoriales et sur les conditions qui ont permis le recrutement de représentants de la FPE.

Point commun aux agglomérations de Grenoble, Lille et Toulouse : les élections municipales et communautaires se sont soldées par de véritables ruptures politiques. À Grenoble, c’est Christophe Ferrari, maire de la commune de Pont-de-Claix – 11 000 habitants – qui est élu président de la communauté d’agglomération, à la faveur de la victoire surprise d’Éric Piolle à la mairie de la ville-centre qui modifie les équilibres politiques préexistants. Du côté lillois, c’est Damien Castelain, maire d’une commune de moins de 1 000 habitants, qui s’impose à la tête de l’exécutif de la communauté urbaine, Martine Aubry, jusque-là en fonction, pâtissant de la perte par le PS de plusieurs villes clefs. Quant à Jean-Luc Moudenc, il prend sa « revanche » en 2014 sur Pierre Cohen qui lui avait ravi la mairie de Toulouse en 20089, et s’empare, dans la foulée, de la communauté urbaine. Enfin, dans un registre différent, la création ex-nihilo de la métropole du Grand Paris en 2016, présidée par le député des Hauts-de-Seine Patrick Ollier, constitue également un bouleversement dans l’échiquier politique francilien, dans la mesure où elle fait émerger un nouvel acteur territorial majeur entre la ville de Paris et la région Île-de-France.

Grenoble, Lille, Paris, Toulouse : quatre contextes territoriaux différents, mais caractérisés par de profondes mutations politiques voire institutionnelles. Surtout, à l’issue de leur élection, des présidents qui font le choix d’embaucher quatre hauts fonctionnaires d’État plutôt que de miser sur des cadres issus de la territoriale. D’un point de vue statistique, ces édiles contribuent au caractère composite de l’emploi public local, loin d’être, force est de le constater, « chimiquement pur ». D’un point de vue analytique, il faut aller plus loin. D’emblée, c’est l’argument de la compétence qui fait mouche. « J’ai une longue expérience du corps préfectoral et une confiance dans ses capacités »10, allègue le tout premier président de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier, à propos de son DGS, le préfet Thomas Degos. Rien de révolutionnaire dans la bouche de l’élu francilien, ancien président de l’Assemblée nationale, habitué à fréquenter la haute fonction publique d’État, et dont le choix s’apparente à un gage de crédibilité mais aussi et surtout de maîtrise des arcanes ministériels, partie intégrante du paysage politique francilien. Car c’est bien cela que promet en réalité le haut fonctionnaire d’État : un accès privilégié aux administrations centrales et aux instances gouvernementales et parlementaires. Un avantage comparatif apparemment sans prix pour des présidents de grandes agglomérations nouvellement élus, ayant uniquement exercé des mandats locaux et dépourvus de ce fait de capital relationnel étatique.

Des signaux faibles pour une tendance lourde ?

Car ce qui distingue essentiellement les présidents des futures métropoles de Grenoble, Lille et Toulouse, c’est bien leur parcours politique essentiellement local, voire exclusivement municipal et intercommunal pour Damien Castelain et Christophe Ferrari. Certes, de son côté, Jean-Luc Moudenc peut se prévaloir, outre d’avoir rempli des responsabilités départementales et régionales, d’un mandat national, puisqu’il a été élu député en 2012 ; néanmoins, il n’a exercé son mandat que durant deux années, démissionnant à l’occasion de son élection à Toulouse en 2014. En bref, aucun de ces trois élus intronisés à l’échelle métropolitaine n’a de visibilité nationale et ne dispose a priori de ressources politiques et administratives suffisantes liées à un « réseau » d’interconnaissances construit dans le temps long au niveau national.

La magie de l’État

Les travaux menés par Pierre Grémion dans les années soixante-dix autour de la notion de « pouvoir périphérique »11 ont souligné le rôle clef joué par les préfets dans la régulation des relations entre les notables locaux et les autorités de tutelle. C’est bien le représentant local de l’État qui assurait la transmission des requêtes des élus à Paris, bénéficiant, en échange du soutien des édiles dans son action départementale. Au regard des profondes évolutions politiques et institutionnelles qu’a depuis traversé notre pays, le modèle proposé par le sociologue apparaît aujourd’hui certainement obsolète. Sauf que le processus d’autonomisation des collectivités conjugué au repositionnement territorial de l’État, contribue à réhabiliter la figure du haut fonctionnaire de l’État jouant le rôle d’intercesseur entre le local et le national. Seule différence, et non des moindres : cette fois, cette fonction est en passe d’être internalisée au sein même des collectivités. Du moins, c’est ce pourrait illustrer le recrutement massif de cadres de la FPE opéré par les présidents des nouvelles régions et, en parallèle déterminer l’option prise par les présidents des agglomérations de Grenoble, Lille et Toulouse. C’est sur Xavier Patier que se porte le choix de ce dernier, énarque, dont le parcours professionnel alterne cabinets ministériels et pilotage de grandes administrations d’État. Le haut fonctionnaire d’État s’installe au printemps 2014 dans le double fauteuil de DGS de la ville et de la communauté urbaine de Toulouse en lieu et place de Philippe Mahé, administrateur territorial. Du côté des présidents de Grenoble-Alpes métropole et de Lille métropole, le parallélisme des formes est remarquable : recrutement d’un préfet pour le premier, Michel Papaud et d’un sous-préfet pour le second, Bruno Cassette. Aucun des deux n’est énarque, leur accession au corps préfectoral s’inscrivant plutôt dans le prolongement d’un parcours initialement politique et poursuivi notamment au sein de services de l’État déconcentré.

Quoi qu’il en soit, leur recrutement procède d’une réelle démarche stratégique pour ces présidents de futurs exécutifs métropolitains faiblement dotés en capital politique. Pas de droit à l’erreur : il s’agit d’identifier le bon candidat, bien sûr fiable et expert, mais surtout censé leur assurer un accès direct aux services centraux, bref disposant d’un solide carnet d’adresses, un avantage non négligeable en période d’assèchement de la ressource publique. Quoi de mieux alors qu’un haut fonctionnaire, potentiellement politisé, adoubé voire ennobli par l’État et qui se voit par-là attribuer mécaniquement une légitimité suffisante pour chausser les mules de DGS de métropole ? Autrement dit, le fait d’être passé par l’onction étatique contribue, comme par magie, à instituer a priori les cadres supérieurs de la FPE comme doté d’un ensemble de dispositions et de compétences spécifiques, constitutives d’un capital politique et administratif particulièrement attractif et « valorisant » pour les édiles accédant à des situations de pouvoir.

Un alignement des planètes

Faut-il considérer les exemples grenoblois, lillois et toulousains comme des épiphénomènes ou comme les prodromes d’une razzia annoncée des hauts fonctionnaires d’État sur les grandes agglomérations du pays ? À vrai dire, les dynamiques politiques et territoriales actuelles ne laissent rien présager de bon pour les cadres de la FPT. Paradoxalement, la montée en puissance des institutions locales s’apparente à une victoire à la Pyrrhus pour les managers territoriaux : dans un contexte marqué par la contrainte financière, la capacité des collectivités à produire des politiques publiques au bénéfice de l’intérêt général, à intégrer les innovations inspirées de la gestion entrepreneuriale et à alimenter la réforme des administrations centrales, bref, à s’inscrire dans une posture d’égal à égal voire de rivalité avec les instances étatiques, les rendent d’autant plus « désirables » aux yeux des grands commis de l’État, conscients que c’est là que s’est aujourd’hui déplacé le « pouvoir ». Ainsi, à l’instar des régions qui s’étatisent, les métropoles portées par le souffle de la dernière réforme territoriale en date peuvent apparaître comme une nouvelle terre promise : elles organisent désormais leur propre espace politique et se voient dépositaires d’une forme de désengagement de l’État qui leur assigne des responsabilités de plus en plus précises en matière de développement et de solidarité vis-à-vis de leur environnement territorial12.

Point commun aux agglomérations de Grenoble, Lille et Toulouse : les élections municipales et communautaires se sont soldées par de véritables ruptures politiques.

Outre l’impact des mutations institutionnelles et territoriales, un second facteur, politique cette fois, devrait contribuer à attirer, dès 2020, davantage de hauts fonctionnaires de l’État vers les puissantes administrations métropolitaines : l’impossibilité désormais pour les élus de juxtaposer responsabilités nationales et locales. En effet, jusque-là, le principe du cumul des mandats dans un contexte de décentralisation avait permis à de nombreux édiles – notamment ceux des grandes villes – de court-circuiter le préfet et de défendre directement les intérêts de leur territoire auprès des services de l’État ; surtout, les cumulards s’affirmaient comme des protagonistes incontournables pour les autorités publiques, participant à toutes les étapes des processus décisionnels réglementaires. La fin du cumul tend indéniablement à effilocher ce lien entre élus locaux-nationaux et services de l’État. Ce faisant, elle tend à favoriser le recrutement par la nouvelle génération d’élus métropolitains de hauts fonctionnaires de la FPE, perçus comme étant les plus à même de restaurer ce lien, c’est-à-dire de faire en sorte que les opinions et positions de leur président ou présidente soient écoutées et prises en compte tout au long des processus de construction des politiques publiques.

Malgré l’offre de service du président de l’AATF, le président de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier, a décidé une nouvelle fois de miser sur la « noblesse d’État » en confiant la direction générale des services de l’agglomération parisienne à l’ex-préfet du Var, Paul Mourier. Au-delà de cet exemple, c’est bien un rapport entre « established » et « outsider », qui semble durablement s’instaurer entre hauts fonctionnaires d’État, trustant hier les régions, demain probablement les métropoles, et les hauts fonctionnaires territoriaux, probablement frustrés de voir les directions des collectivités les plus rutilantes leur échapper. Certes, pour les administrateurs territoriaux, la lutte continue. Pour autant, les hésitations stratégiques de l’INET vis-à-vis de l’ENA et de la haute FPE en général, naviguant selon les périodes entre mimétisme et/ou concurrence corporatistes, combinée à la fragilité inhérente du statut proposé – le titre n’équivaut pas à une titularisation automatique dans la fonction publique, certains lauréats ayant même des difficultés à intégrer le marché de l’emploi territorial –, ne plaident pas en faveur des territoriaux. D’autant qu’au-delà même de l’ENA stricto sensu historiquement constituée comme école du pouvoir, l’ensemble des hauts fonctionnaires de la FPE dispose d’un avantage quasi insurmontable dans la compétition : le fait d’appartenir à un corps professionnel sanctifié par l’État, seule institution à détenir le monopole de la reconnaissance de ce qui est légitime et donc de qui fait autorité13. Dès lors, l’intérêt croissant des cadres supérieurs de la FPE pour la territoriale pourrait donc s’interpréter comme une stratégie visant à assurer la présence de l’État au sein des nouveaux lieux de pouvoirs qu’incarnent certaines institutions locales comme les métropoles qu’il s’agit d’étatiser et ce, afin de perpétuer leur domination et d’assurer leur reproduction professionnelle au détriment de leurs rivaux territoriaux en mal de légitimité.

1. www.administrateurs-territoriaux.asso.fr ; Voir également l’interview de Tastet F., « Défendre et faire progresser la place des territoriaux », www.acteurspublics.com 24 avr. 2015.
2. Document daté du 16 avril 2018, signé et diffusé dans les réseaux sociaux.
3. Ils occupent aujourd’hui 11 % des postes de DGS de villes plus de 40 000 habitants (+ 2%) et 27 % pour ce qui concerne les conseils départementaux (+ 1 %). Source : « Énarques : une percée dans les départements, un raz-de-marée dans les régions », La Gazette des communes 17 juin 2016.

4. Sur ce point, voir Gally N., « Former ensemble les cadres supérieurs de l’État et des collectivités territoriales ? Les enjeux du difficile rapprochement de l’ENA et de l’INET », Revue Français d’Administration Publique mars 2009, no 131.
5. Seuls sont prises en compte dans cet article les trajectoires des DGS nommés à l’issue des élections locales de 2014 au sein des 14 métropoles identifiées initialement par la loi MAPTAM promulguée le 27 janvier de cette même année.
6. Fait notable, c’est essentiellement par le biais de la filière interne que ces managers ont atteint l’échelon administratif le plus élevé de la FPT.
7. En effet, seul Benoist Pavageau, patron de l’administration nantaise, quittera rapidement ses fonctions ; remplacé en septembre 2015 par Olivier Parcot, lui aussi administrateur territorial et ancien élève de l’INET, il se verra confier par Johanna Rolland, nouvelle présidente de la métropole, la direction de l’agence d’urbanisme locale.

8. « Municipales à Lyon : les doublures éventuelles de Gérard Collomb », L’Express 18 janv. 2012. Notons que Benoît Quignon quittera une nouvelle fois ses fonctions au début de l’année 2016.
9. Jean-Luc Moudenc est, en effet devenu maire de Toulouse en 2004 suite à la démission de Philippe Douste-Blazy, nommé alors ministre de la Santé.
10. « Pourquoi les grands élus préfèrent les hauts fonctionnaires d’État », La Gazette des communes 17 juin 2016.
11. Grémion P., Le pouvoir périphérique, 1976, Paris, Seuil.
12. Le Bras D., « De l’État providence à la métropole providentielle, Décryptage des injonctions de l’État Français à la coopération entre les métropoles et leurs territoires périphériques », in Bettoni G., Le Bras D. et Navarre F. (dir.), Métropoles en chantiers 2 ; Ambitions métropolitaines, réalités territoriales, 2018, Paris, Berger-Levrault.

13. Lenoir R., « L’État selon Bourdieu », Sociétés contemporaines 2012, no 87.

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