Revue
DossierOubliés de la dématérialisation : « L’aller vers » en milieu rural
L’espace France services (EFS) de la Communauté de communes de Saint Méen-Montauban a mis en place des permanences délocalisées pour se rapprocher géographiquement des communes rurales du territoire afin de mieux servir leurs habitants dans l’accomplissement de leurs démarches administratives. Outre les citoyens, les secrétaires de mairie et les animatrices de l’EFS y trouvent aussi leurs comptes.
« Une excellente initiative pour les habitants ». C’est ainsi que Marie-Hélène Frenoy, maire de Saint-Pern, une commune rurale d’Ile et Vilaine qui compte un peu plus de 1 000 habitants, a qualifié le dispositif de permanences délocalisées mis en place depuis plus d’un an par l’espace France services (EFS) de la Communauté de communes de Saint Méen-Montauban1. Face à la dématérialisation générale des démarches administratives, une partie de la population des communes rurales, pas du tout à l’aise avec Internet, se retrouve fragilisée avec le risque de non-recours aux droits sociaux que cela peut engendrer. « La population âgée est plus en souffrance2 », précise Marie-Hélène Frenoy qui explique que pour se rendre à l’EFS de Saint-Méen-le-Grand il faut faire une vingtaine de kilomètres. En effet, St Pern, située à la limite des Côtes d’Armor, se trouve en bout de parcours !
Communes rurales : pallier l’absence « d’aller vers » de l’État
Certes, il existe un service de transport à la demande, mais il arrive que les personnes n’osent pas le demander. En outre, contrairement à ce qui se pratiquait il y a une vingtaine d’années, les permanences d’opérateurs de l’État telles que la CAF ou la CPAM qui se déplaçaient, « allaient vers » les petites communes, n’existent plus. Or, les secrétaires de mairie de ces communes ne disposent pas d’un accès privilégié aux services de l’État et à ses opérateurs via un réseau de correspondants, contrairement aux EFS, dont les animateurs(trices) peuvent actionner ce levier lorsque des problèmes surviennent lors de la constitution ou le suivi d’un dossier d’un usager. Il était donc nécessaire de resserrer le maillage de l’EFS afin de se rapprocher géographiquement de la population..
Ce, d’autant plus que les liens avec l’État et ses représentants ont tendance à se distendre avec les petites communes : «Je ne connais pas le préfet et à peine son secrétaire général. La préfecture ne nous dit pas grand-chose, il faut se déplacer pour se faire entendre », constate Marie-Hélène Frenoy. « L’aller vers » ne fait donc pas seulement défaut vis-à-vis des citoyens...
« En matière d’accueil, notre ligne directrice est un accueil social inconditionnel de proximité, y compris en milieu rural. Fort de l’expérience et du succès de la maison France services de Saint-Méen-le-Grand, nous nous devions de proposer une solution en matière d’accomplissement des démarches administratives afin de nous rapprocher géographiquement des populations éloignées, voire carrément excentrées par rapport à l’EFS. Nous avions d’ailleurs déjà cette dimension en tête lorsque nous nous sommes lancés dans l’aventure de l’espace France services », explique Cédric Mottin, responsable du pôle culturel et vie sociale de la Communauté de communes de Saint Méen-Montauban dont le territoire s’étend sur 40 km du nord au sud.
Des discussions ont donc été engagées avec les élus des communes concernées, l’objectif étant d’assurer aux usagers un temps de déplacement inférieur à 5 minutes pour se rendre dans une permanence délocalisée de l’EFS, cet accueil de proximité s’effectuant dans la convivialité, aspect indispensable pour faire baisser tensions et angoisses engendrées par la dématérialisation des démarches administratives chez bon nombre d’usagers et pas seulement parmi les plus âgés. Mais la Communauté de communes comprenant 17 collectivités réparties sur un territoire assez vaste et l’EFS de Saint-Méen-le-Grand ne comptant que 2 animatrices, il a fallu faire des choix.
Au cours d’un travail préalable qui a duré 2 ans, un outil numérique d’aide à la décision a été utilisé. Fourni par le Ti Lab, laboratoire régional d’innovation publique de Bretagne, cet outil permet de calculer, pour chaque commune, un score de fragilité socio-numérique auquel sont exposés leurs citoyens.
Satisfaction des usagers : des témoignages spontanés
Basé sur des données telles que la présence d’associations, de bibliothèques ou encore de tiers lieux dont disposent une commune, une des caractéristiques essentielles de l’outil, à présent utilisé sur Brest, c’est sa neutralité. Cela autorise des choix objectifs car la quasi-totalité des communes souhaitaient que l’EFS de Saint-Méen-le-Grand organise des permanences sur leurs territoires. Au final, 2 communes en secteur nord et 2 en secteur sud ont été retenues pour une expérimentation d’une durée d’un an. Les deux animatrices de l’EFS ont ainsi assuré une permanence dans les deux secteurs tous les jeudis matins en alternance entre les deux communes de chaque secteur.
« Lorsque l’on se déplace, on sort d’une logique de guichet : on accueille, on écoute et éventuellement on oriente », souligne Cédric Mottin.
À raison de 3 à 4 rendez-vous à chaque permanence, 86 personnes ont été accueillies en secteur nord sur 30 demi-journées. Toutefois, en secteur sud, au cours des 40 permanences effectuées, seules 4 personnes ont été reçues ! Un maigre résultat qui s’explique par la présence, dans l’une des deux communes de ce secteur, d’un secrétaire de mairie, en poste depuis 25 ans, à l’aise avec le numérique, très disponible et qui arrive à couvrir les besoins de la population en matière de démarches administratives. Quant à l’autre commune, les personnes se déplacent et ont peu de besoins d’accompagnement. Des éléments que l’outil d’aide à la décision n’avait pas pu détecter, ce qui prouve l’utilité d’une période de test pour faire le point et effectuer des changements si nécessaire.
Il est donc prévu que deux autres communes du territoire, elles aussi éloignées de l’EFS, intègrent l’expérience des permanences délocalisées.
Pour autant aucune enquête de satisfaction des usagers n’a été menée car considérée comme « trop uniforme », selon Cédric Mottin qui n’a pas envie de « rentrer dans cette logique » et préfère les témoignages de satisfaction spontanés : « en juin dernier lors de la fête de la musique à Saint Pern, les gens, comme les élus, sont venus nous remercier pour la qualité de l’accueil et l’accompagnement que nous leur offrons à travers l’accès à la permanence délocalisée, démarche qui petit à petit rentre dans les moeurs. Ces marques de satisfaction sont beaucoup plus instructives et naturelles qu’une enquête en bonne et due forme, tout comme notre manière d’accueillir les gens. Alors sachons rester simple ! ».
Sabine Denoual, animatrice de l’espace France services de Saint-Méen-le-Grand
« Avec ma collègue nous adorons aller dans les mairies des différentes communes du territoire. L’ambiance y est très conviviale. Quant à la satisfaction des usagers, de nombreuses anecdotes en fournissent la meilleure preuve : je me souviens de cette dame qui en partant de son rendez-vous nous a lancé : bisous, bisous !! Sans oublier les bonbons, les chocolats, les tasses, les œufs ou encore les salades que les gens nous apportent », témoigne Sabine Denoual, animatrice à l’espace France services de Saint-Méen-le-Grand. À Saint-Pern par exemple, Sabine Denoual, munie de son PC portable, reçoit dans le bureau de Madame le Maire, selon le tableau des rendez-vous établis avec la secrétaire de mairie et sa collègue avec lesquelles les agendas numériques sont partagés. « Nous ne recevons pas sur le flux dans les permanences délocalisées mais si une personne se présente sans rendez-vous avec une question, on la reçoit quand même car nous sommes avant tout un lieu d’écoute. Une caractéristique qui fait que nous nous déplaçons même si un seul rendez-vous est prévu », rappelle Sabine Denoual.
L ‘animatrice souligne que son travail se fait en étroite collaboration avec les secrétaires de Mairie qui connaissent bien la population et assurent ainsi un « maillage » très fin : « elles ont par exemple pu échanger, au préalable, avec la personne qui vient nous voir pour lui donner les premières informations relatives à sa demande et elles nous renseignent, si besoin, sur la situation de la personne que nous allons recevoir. En outre, nous faisons le point avec les secrétaires de Mairie après nos rendez-vous. Par ailleurs, en raison de leur proximité avec les usagers, elles sont mieux à même d’assurer un certain suivi des demandes en incitant, si besoin, les personnes à revenir à la permanence pour savoir où en est leur dossier », précise Sabine Denoual. Les domaines traités en permanences délocalisées (permis de conduire, Prim’renov, retraite, impôts…) sont les mêmes qu’à l’EFS de Saint-Méen-le-Grand mais la population y est plus âgée. « Ces permanences nous ont également permis de nous rapprocher des secrétaires de Mairie dont nous avons pu découvrir le métier et l’étendue de leurs tâches tout en échangeant sur notre métier d’animatrices en EFS. Que du plus ! », conclut sabine Denoual.
Françoise Simon, Véronique Heuzé, secrétaires de mairie, Saint-Pern
Des élections aux renseignements divers (récupération des sacs poubelles jaunes, location de la salle des fêtes, garage le plus proche etc.) en passant par la comptabilité, la gestion du personnel, l’état civil, l’urbanisme ou encore la communication : tels sont les multiples domaines d’intervention des secrétaires de mairie, véritables moutons à 5 pattes de la vie communale !
« Quand on passe en revue dans sa tête les tâches à accomplir, il nous arrive de mal dormir. Et lorsque l’une est en congé, l’autre n’a pas 1 minute de repos », soulignent les 2 secrétaires. À cela sont donc venues s’ajouter les demandes d’accompagnement de citoyens perdus face à la dématérialisation des démarches administratives ! « L’administration par Internet, telle que la transmission des délibérations à la préfecture, facilite la vie », reconnaît Françoise Simon qui souligne aussi ses inconvénients : multiplication de sites, des mots de passes, des logiciels, des changements de pages d’accueil etc. auxquels il faut s’habituer. « Nous allons à la pêche à chaque fois. Pour les demandes de cartes grises par exemple, le site est compliqué même pour nous ! », constate Véronique Heuzé. Si les secrétaires de mairie ne disposent pas de réseaux de correspondants dans les administrations pour les aider, elles arrivent, malgré leurs emplois du temps, à échanger avec leurs pairs au cours d’un repas entre collègues tous les 15 jours « C’est notre forum », ironisent-elles.
Dans ce contexte l’arrivée des permanences délocalisées a été vu très positivement : « cela nous soulage car nous savons que des besoins, des demandes un peu particulières peuvent désormais être traitées le jeudi matin par les animatrices de l’espace France services », expliquent Françoise Simon et Véronique Heuzé. En outre, ces dernières ont davantage de temps pour regarder si tout est en ordre dans une situation, par exemple s’il y a un problème dans le versement d’une allocation. Si leur travail s’est enrichi dans la collaboration avec les animatrices de l’EFS, des secrétaires de mairie du territoire, via la Communauté de communes, ont également pu avoir accès à une formation organisée par le département sur l’accueil social de proximité. D’autres formations devraient suivre, dont une dédiée aux secrétaires de mairie qui sera proposée une fois l’an par la Communauté de commune de Saint Méen-Montauban.