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Dossier

Vers des pratiques managériales renouvelées dans le secteur public ?

Management public
De nouvelles préoccupations et aspirations s’affirment chez les jeunes managers publics : plus d’inclusion ; permettre à tout un chacun de se réaliser ; s’engager pour la transition écologique ; servir le bien commun et enfin une envie de plus de liberté.
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Le 25 septembre 2022

La crise sanitaire a révélé à la fois les forces et les faiblesses de certaines organisations du travail et accéléré des transformations du travail déjà engagées. Elle a surtout requestionné la place et le rôle du manager, montré l’importance du collectif ou encore la prise d’initiatives des agents sur le terrain. Les administrations et les collectivités territoriales n’échappent pas à cette lame de fond.

 

Comment réenchanter le monde du travail face aux défis des transitions ? Comment repenser la place du management dans l’(après)-covid-19 ? Comment mieux associer les agents publics dans les projets de transformation ? Intelligence de situation, management de la subsidiarité, symétrie des attentions, coaching professionnel, management par le dialogue, management inclusif ou encore formation et accompagnement des managers à la transition écologique, enquête sur ces pratiques managériales qui redonnent du pouvoir d’agir aux cadres intermédiaires et aux agents publics.1

Les administrations expérimentent de nouvelles organisations du travail, de nouvelles façons de manager dans un contexte de changement permanent. La crise sanitaire a accéléré cette tendance à la transformation managériale, devenue nécessaire pour répondre aux défis des transitions et aux attentes des nouvelles générations.

Le manager à l’épreuve du covid-19

La période actuelle n’a jamais été aussi incertaine avec une multitude de crises (sanitaire, sociale, écologique, etc.) qui s’enchaînent et s’accumulent, créant une situation de complexité pour les cadres comme les agents publics. Certains experts utilisent l’acronyme VUCA issu de l’anglais, signifiant « volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté », pour qualifier la situation actuelle. C’est un terme répandu et connu des amateurs de grands discours managériaux2.

La crise sanitaire dure depuis plus de deux ans et demi, et pourrait s’installer dans la durée, comme le rappelle le dernier avis « Vivre avec les variants. La pandémie n’est pas terminée » du Conseil scientifique sur la crise du covid-19, publié le 19 juillet dernier. La crise sanitaire va-t-elle durablement impacter les pratiques managériales en favorisant la multiplication des décisions en circuit-court et l’intelligence de situation3 ?

« Le management intermédiaire traverse une crise profonde : il a souffert pendant la pandémie des efforts décuplés de coordination des équipes, des prises en charge individualisées. La vie personnelle s’est aussi invitée au travail, notamment par le biais de la santé des personnes, des familles. Il y a aussi une rupture de la règle des trois unités (temps, lieu et action) avec l’organisation du travail à distance, en mode hybride », explique Amandine Brugière, responsable des développements scientifiques à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Son établissement public a animé plusieurs webinaires et conférences du 20 au 24 juin 2022 pendant la semaine de la qualité de vie au travail (QVT) avec pour fil rouge « En quête de sens au travail » 4. L’Anact a aussi lancé en mai 2022 un appel à projets sur « le travail hybride : faire évoluer le management et l’organisation » dans le cadre de son Fonds pour l’amélioration des conditions de travail : « Il y a aujourd’hui une problématique de repositionnement de ce management intermédiaire : qu’est-ce qu’on attend aujourd’hui de ce management ? C’est un exercice collectif à mener », précise-t-elle. L’Anact va d’ailleurs mener en 2023 un chantier de prospective sur le futur du travail, ses ruptures, ses bifurcations et ses mutations, avec Daniel Kaplan5 à l’initiative du Réseau université de la pluralité (Plurality University Network), qui connecte à l’échelle mondiale celles et ceux qui utilisent les arts et la fiction pour explorer les futurs. Pour Mathieu Detschessahar, sociologue du travail qui a dirigé l’ouvrage collectif L’entreprise délibérée, Refonder le management par le dialogue, le télétravail et l’organisation hybride du travail posent la question du management de la présence et de l’importance des espaces de discussion quand on est au bureau tous ensemble (voir ci-dessous).

Mathieu Detchessahar : « Les espaces de discussion sont un enjeu majeur de l’organisation du travail. »

Professeur des universités au laboratoire d’économie et de management Nantes-Atlantique (LEMNA), Mathieu Detchessahar a dirigé l’ouvrage collectif L’entreprise délibérée, Refonder le management par le dialogue (2019, Nouvelle Cité).

Propos recueillis par Julien Nessi, rédacteur en chef d’Horizons publics

Quel regard portez-vous sur la révolution du travail ?

Parlons plutôt « des » révolutions du travail. Sur l’hybridation des modes de travail, nous reviendrons difficilement en arrière, les expériences de télétravail sont portées à la fois par les salariés (difficultés de transport) et les entreprises (opération de rationalisation immobilière dans des centres urbains très chers). Pourtant, il me semble important de ne pas aller trop vite et de ne pas se précipiter. Il faut tenir compte de l’importance absolue du capital social de l’entreprise qui favorise l’interconnaissance des salariés à l’intérieur de l’équipe, un langage professionnel commun qui permet la capacité des collaborateurs à se comprendre rapidement et qui génère de la confiance entre eux, qui pousse dans les relations informelles du quotidien (exemple de la machine à café). De ce point de vue-là, le travail à distance et l’enchaînement des réunions en visio ne permet pas du tout le même niveau d’informalité. Il faut préserver le capital social de l’entreprise, le capital confiance et les savoirs d’interaction. La mode est celle de l’hybridation des temps de travail en entreprise. Ce n’est pas simple pour deux raisons : le télétravail ne pourra pas être à la carte, il faudra rester dans une logique de la contrainte organisationnelle. Se pose aussi une autre question : qu’est-ce qu’on fait quand on est au bureau tous ensemble ? Quels rituels managériaux faut-il mettre en place pour favoriser la relation ? L’hybridation et l’augmentation du travail là distance posent la question du management de la présence.

Selon vous, « l’entreprise libérée » n’est pas l’avenir du monde du travail, théorisée par Isaac Getz et Brian M. Carney, mais c’est plutôt « d’entreprise délibérée » qui explore le management par le dialogue. Pourriez-vous nous expliciter cela ?

La raison d’être de l’apparition des organisations (privées, publiques) est qu’on fait mieux à plusieurs que tout seul. L’idée de l’entreprise est de développer des moyens collectifs, dans des relations stables et moyen/long termes, pour mieux produire et créer de la richesse. Pour que chacun puisse régler aussi son travail sur celui des autres : ces actions collectives nécessitent des relations de dialogues régulières et horizontales à l’intérieur de l’équipe de travail, et obligent à être très attentifs dans le dialogue vertical (ceux qui conçoivent et ceux qui mettent en pratique), il faut se donner les moyens de vérifier en permanence et d’organiser le dialogue entre ceux qui conçoivent le travail et ceux qui l’appliquent. Les experts de l’organisation du travail doivent dialoguer le plus possible avec ceux qui les appliquent. Mais ces experts sont beaucoup trop loin du travail organisationnel. C’est un véritable effort que de rétablir ces lieux de délibération et de dialogue. C’est un véritable enjeu pour penser les temps, les lieux et les méthodes. Ces « espaces de discussions » sont un enjeu majeur de l’organisation du travail post-covid, les experts ont du se repréoccuper des besoins des opérationnels (à l’hôpital, dans les entreprises industrielles). Les directions de ressources humaines se sont mises à la disposition des équipes pendant la crise du covid-19. Cette position « subsidiaire » de soutien et d’écoute a été importante, on aurait tout intérêt à se donner les moyens que cette position soit maintenue.

Le manager de demain devra-t-il être éthique et engagé ?

Si on est attentif à cette nécessité du dialogue dans l’entreprise, il faut des managers engagés car ce sont eux qui vont déclencher les dynamiques à l’encontre de l’entreprise libérée. Sur la question éthique, un manager éthique se préoccupe du bien-être et des conditions de travail de ses collaborateurs. Un manager éthique, plutôt que de se payer de mots (« charte », « droit à l’erreur ») doit se préoccuper du travail de ses équipes, c’est ce qui fait l’essentiel du bien-être au travail. Un manager éthique est d’abord un manager du travail, qui anime des équipes, des hommes et des femmes et non des organisations.

Une nécessaire évolution des pratiques managériales

Dans sa synthèse prospective annuelle publiée en février 2022, « Cinq grands enjeux pour l’emploi cadre » 6, l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) fait ressortir notamment deux tendances fortes : la recherche de sens et une nécessaire évolution des pratiques managériales. La crise sanitaire, souligne l’étude, a exacerbé les envies des cadres de se tourner vers des métiers davantage porteurs de sens et l’évolution des pratiques managériales devrait se poursuivre et s’ancrer dans la durée. « L’idée que la crise sanitaire et la généralisation du travail hybride supposent une évolution des pratiques managériales reste aujourd’hui largement partagée par les cadres (91 %) et par les managers eux-mêmes (89 %), et ce, quel que soit leur âge, leur secteur d’activité ou la taille de leur entreprise », peut-on lire. Qu’en est-il dans le secteur public ? Ce besoin de transformation managériale s’exprime aussi fortement dans une sphère publique qui fonctionne encore trop de manière verticale. D’autant plus que 80 % des agents expriment un « sentiment d’absurdité » face au travail qu’ils mènent7, dans une enquête retentissante sur la perte de sens chez les agents du service public, dévoilée en septembre 2021 par le collectif « Nos services publics ». Les motifs liés à l’environnement de travail (rémunération, opportunités de carrière) sont bien présents, mais ne sont cités que dans une deuxième série de réponses, après les difficultés et entraves rencontrées par les agents pour mener à bien leur mission (manque de moyens, désaccord avec la pertinence des consignes reçues, perte de sens de leur mission).

De nouvelles préoccupations et aspirations s’affirment également chez les fonctionnaires, notamment les moins de 35 ans. FP21, l’association des jeunes agents publics, qui rassemble des agents de moins de 35 ans issus des trois versants de la fonction publique, est intervenue le 8 juin 2022, auprès de l’association des DRH des grandes collectivités sur les enjeux et les aspirations des jeunes managers publics. Cinq grandes aspirations ont été identifiées chez les générations Y et Z : plus d’inclusion (briser les « plafonds de verre », plus de diversité dans les profils, parcours et styles cognitifs) ; permettre à tout un chacun de se réaliser (valorisation des talents, montée en compétences, en finir avec une verticalité trop rigide, inclure les agents de terrain, permettre une meilleure flexibilité entre les fonctions publiques et les allers-retours public/privé, etc.) ; s’engager pour la transition écologique (le sentiment que cet enjeu repose sur les épaules de ces générations Y et Z désormais) ; servir le bien commun (comprendre le sens de son travail, le travail comme lieu d’épanouissement, les nouvelles générations se définissent par des valeurs personnelles qui doivent trouver un écho dans/pour le collectif) et enfin plus de liberté (pour exprimer sa créativité, un mode de vie nomade, une flexibilité nécessaire). « Les aspirations ont changé, la demande de plus de liberté et la conscience écologique sont des préoccupations montantes parmi les jeunes fonctionnaires […]. La transformation managériale est au cœur de leurs attentes, c’est une vraie lame de fond », confie Johanne Fora-Porthault, cheffe de projet Pilotage de l’innovation à la mairie de Clamart et membre du comité exécutif FP21. Dans une note publiée au printemps 2022, au titre un brin taquin « Apporter les croissants n’est pas un outil managérial – 13 propositions pour un management public du xxie siècle », FP21 identifie trois virages à prendre pour changer les pratiques managériales : miser sur le capital humain, miser sur le collectif et investir sur le manager.

De nouvelle approches pour embarquer les cadres et les agents

Pour répondre à ces aspirations et redonner du sens aux agents des services publics, de plus en plus d’administrations changent leurs modes d’organisation du travail et explorent de nouvelles approches du management. Alors que de plus en plus de collectivités s’intéressent à l’expérience usager et au design pour améliorer la qualité de leurs services, certaines innovations managériales peuvent également répondre à cet enjeu. Des acteurs publics commencent à revoir les modalités de leur recrutement, comme à la métropole de Rouen, avec par exemple « une présence accrue sur les réseaux sociaux, un recours amplifié à l’apprentissage et des partenariats avec l’enseignement supérieur » 8. Des collectivités proposent d’enrichir les expériences de travail de leurs cadres et agents publics, comme le département de la Seine-Saint-Denis, avec son dispositif Agents solidaires9, ou le congé de solidarité internationale instauré en 2022 par la métropole de Bordeaux.

Autres initiatives explorées par des opérateurs d’État ou des collectivités : les principes de « la symétrie des attentions » et du « management de la subsidiarité ». La symétrie des attentions, concept marketing développé dans le cadre de la relation client, peut être une source d’inspiration pour des actions menées autour des services publics. De manière synthétique, elle postule que l’attention portée par une organisation à ses usager·ères est symétrique de l’attention qu’elle porte à ses agents. Les organisations publiques ne sont pas toujours exemplaires dans l’attention qu’elles portent à leurs propres agents, en particulier aux agents de terrain. La Carsat Rhône-Alpes en a fait un levier de transformation de son organisation, comme nous l’explique Yves Corvaisier, le directeur général de la Carsat Rhône-Alpes (1 800 collaborateurs), qui constate des avancées réelles, notamment le taux de satisfaction des « clients » qui s’est considérablement amélioré en même temps que celui des collaborateurs vis-à-vis de l’entreprise, même si rien n’est acquis10. Marseille, deuxième ville de France, décline également le principe de « la symétrie des attentions » dans son projet d’administration avec l’objectif d’embarquer le plus d’agents possibles en un temps record de six mois, entre mars et octobre 2022, nous explique Aude Fournier, sa DGA Transformer les pratiques11.

La ville de Caluire-et-Cuire (600 collaborateurs) a quant à elle fait du principe de subsidiarité la base de son organisation. La subsidiarité pose que chacun est légitime pour agir dans son périmètre d’action, parce qu’il est au plus proche du besoin, parce qu’il s’appuie sur des valeurs fixées et un cadre d’intervention de référence. Un principe inscrit dans la charte managériale, ancré dans son projet d’administration et décliné dans les services par les services12.

Le management inclusif fait aussi son entrée dans le secteur public, à l’image de la ville de Paris qui est passé la vitesse supérieure en créant en avril 2022 un « service égalité professionnelle et inclusion » au périmètre d’action plus large (voir encadré, p. 33).

Marie Lahaye
Le manager inclusif fait ses premiers pas à la ville de Paris

Marie Lahaye, responsable de la mission égalité professionnelle et inclusion à la direction des ressources humaines de la ville de Paris, revient sur le sujet de l’inclusion des agents publics, les qualités et compétences du manager inclusif et la politique de la capitale en la matière.

Propos recueillis par Stéphanie Chemla, journaliste

Quelle est votre définition du manager inclusif ?

Depuis quelques années on utilise le terme de manager à la place de celui d’encadrant, c’est un pas important dans la fonction publique ! À mon sens le concept de manager inclusif correspond à l’étape d’après. Pragmatique, il objective ses pratiques, se sert d’outils pour aller chercher les aptitudes, les appétences de ses collègues non pas en fonction de leur profil, de leur âge, de leur genre, mais bien dans leur travail.

De quel type d’inclusion parle-t-on ?

On entend souvent l’inclusion sous l’angle du handicap, pour nous c’est beaucoup plus large. Le service égalité professionnelle et inclusion a été créé en avril 2022. Il est né de la fusion de la mission handicap qui accompagnait les plus de 3 000 agents en situation de handicap et de la mission égalité professionnelle femmes/hommes et lutte contre les discriminations. Au sein de la direction des ressources humaines, le nouveau service a pour mission de travailler avec les 60 000 agents de la ville sur les 300 métiers.

On a regroupé les deux équipes et moyens pour travailler sur les enjeux d’égalité, les violences sexuelles et sexistes, le handicap, la lutte contre des discriminations et l’égalité professionnelle. La fusion de ces deux équipes qui avaient l’habitude de travailler ensemble a permis d’être plus identifiable par les agents, les managers, les services des ressources humaines.

Quelles sont les qualités et compétences de ce manager ?

Il doit d’abord être à l’écoute de ce que les gens disent, un contre-exemple cela peut être un entretien de recrutement où le recruteur parle plus que l’agent. Prendre le temps d’écouter est une qualité importante tout comme il est essentiel de réaliser que l’on ne sait pas tout et que nous avons tous des préjugés et stéréotypes. C’est pourquoi nous avons besoin à la fois d’outils et des autres pour mettre à distance ces stéréotypes.

Ce manager doit aussi aller chercher l’information, ne pas craindre de poser des questions. Tout collectif fait face à des problèmes de discrimination à un moment ou un autre, les faire remonter, les partager est une preuve de professionnalisme.

À quel(s) type(s) de difficulté(s) est-il confronté ?

Tout d’abord l’illusion de l’égalité. Beaucoup de managers et d’agents pensent que comme l’on est dans la fonction publique, il n’y a pas de problème. Alors que le principe d’égale rémunération est posé depuis les années cinquante, des différences de rémunération entre hommes et femmes subsistent tout comme des questions de discrimination. En raison du phénomène Metoo et des évolutions de la société, ces obstacles se lèvent plus facilement aujourd’hui.

Ensuite vient le manque de connaissance sur ce qu’est la discrimination, avec une confusion entre le harcèlement, les pratiques discriminatoires, etc. Cela peut aussi passer par le fait de voir des pratiques illégales là où il n’y en a pas. Il est naturel de pratiquer des différences de traitement selon les aptitudes et compétences des agents, non pas en fonction de leur âge ou de leur genre. J’ajoute qu’il revient à l’employeur de former les agents aux 25 types de discriminations.

Sur quoi repose la politique en matière de discriminations menée à la ville de Paris ?

Nous avons deux leviers principaux : la formation et la sensibilisation, adaptés aux publics et aux différents métiers. Nous organisons un certain nombre d’événements, à l’occasion de la journée du 8 mars ou encore de la quinzaine des fiertés, des expositions sur le racisme, le sexisme, le handicap au travail ou encore les enjeux LGBT. L’objectif : informer les collègues qui peuvent être victimes ou témoins de discriminations.

Nous proposons des modules d’e-learning, des serious game, des ateliers. Nous varions les supports et les formats pour toucher tout le monde ; la majorité de nos agents travaillent sur le terrain, dans les jardins, sur la voie publique, dans les crèches. Ainsi on va à leur rencontre. Nous travaillons aussi sur les processus RH. Le recrutement initial par voie de concours, garantit l’impartialité, le risque de discrimination arrive ensuite. Nombreux sont les agents qui font leur carrière à la ville de Paris. Il faut équiper les managers pour préparer les entretiens, leur fournir des outils permettant d’objectiver les réponses, les former aux entretiens de mobilité interne. D’ailleurs nous allons publier fin octobre 2022 un kit du recrutement avec une charte du recrutement non discriminante. Nous travaillons avec une doctorante en droit public qui analyse actuellement les causes d’inégalité de rémunération entre hommes et femmes, qui varient d’ailleurs d’un corps de métier à l’autre. Les premières hypothèses mettent notamment en relief une responsabilité managériale : au-delà d’une grille de rémunération fixe, les évolutions de carrière seraient plus lentes pour les femmes. Dans certains corps, les primes sont attribuées pour des missions nocturnes, le dimanche ou en fonction de la dangerosité. Elles permettent d’avoir une meilleure rémunération, retraite et bien sûr des évolutions de carrière. La question est de savoir si ces missions sont proposées systématiquement aux femmes comme aux hommes ou non, d’être le plus impartial possible. J’ajouterais que la lutte contre les discriminations ne relève pas uniquement des managers, il faut que ces sujets soient portés collectivement, à tous les niveaux de la hiérarchie.

Quand le coaching vient à la rescousse des managers

Le recours aux techniques du coaching professionnel pour accompagner les managers s’est aussi intensifié dans les organisations publiques. Le coaching n’est pas nouveau, il s’est fortement diversifié et il est déjà implanté depuis plus de dix ans dans de nombreuses administrations. Il vient en complément d’autres dispositifs d’accompagnement managérial et n’est pas là pour apporter une solution, mais plutôt pour prendre du recul. Cette approche fait l’objet d’un renouveau dans la sphère publique, impulsé par la direction interministérielle à la transformation publique (DITP), qui s’est dotée de son propre pôle coaching, anime une communauté interministérielle des responsables de pôles de coaching – avec la création de l’espace Osmoses et a publié en novembre 2021 un guide de référence, dix ans après la publication d’un premier guide sur le sujet13.

Le coaching professionnel est l’accompagnement de personnes ou d’équipes pour le développement de leurs potentiels et de leurs savoir‑faire dans le cadre d’objectifs professionnels, c’est la définition générique retenue dans le guide précédemment cité. « Le coaching répond aux besoins grandissants des agents, managers, cadres supérieurs, cadres dirigeants mais aussi des organisations car il vient en appui des lignes managériales, sans s’y substituer, au service des personnes accompagnées […] ; il est une démarche systémique à double titre », peut-on lire dans le document de la DITP. De nombreux ministères se sont dotés de pôle coaching, et ses techniques ont d’abord essaimé dans les organisations privées il y a trente ans, puis ont inspiré la sphère publique, dans le sillage du new public management.

Tout collectif fait face à des problèmes de discrimination à un moment ou un autre, les faire remonter, les partager est une preuve de professionnalisme. »

Cependant, le coaching professionnel a ses propres travers et défauts. Scarlett Salman, maîtresse de conférences à l’université Gustave-Eiffel et sociologue du travail, a mené une enquête de plusieurs années sur le coaching en entreprises14. Elle a montré que le coaching est utilisé aujourd’hui parce que les cadres font face à des épreuves professionnelles et organisationnelles : « Le coaching leur apporte une aide individuelle et des techniques (une « hygiène psychique »), mais dans le même temps, il déplace les problèmes de l’organisation sur la personnalité des cadres qui a pour effet de défausser l’organisation d’une réflexion collective sur la stratégie, la manière dont le travail est organisé. C’est la fonction palliative du coaching », explique la sociologue.

La transition écologique, un nouveau défi managérial

« Il faut porter la transformation écologique au coeur des entreprises et des administrations » 15, nous confiait Maxime Blondeau, co-fondateur du Printemps écologique, le premier éco-syndicat de salariés, à la veille des premières Rencontres de l’écologie et du travail16. « L’enjeu aujourd’hui, c’est de savoir comment mieux organiser le travail pour faire face à la crise écologique et sociale ? », explique-t-il. Les managers et les agents sont une clé de voûte pour impulser ce changement. Pour Johanne Fora-Porthault de FP21, « la conscience écologique est très présente chez les générations Y et Z. Pour les plus engagés, la fonction publique doit devenir une arme de changement écologique ». Comment faire pour accélérer sur ces enjeux de transition ? La formation et l’accompagnement des managers constitue déjà un premier pas. Le programme Territoires pilotes, porté par la Fabrique des transitions, une alliance de plus de 350 territoires et acteurs engagés dans la transition écologique est une démarche originale de communauté apprenante. Une dizaine de territoires ont été accompagnés sur 2021-2022, de la petite commune rurale de 4 500 habitants à celle de plus de 100 000 habitants, en passant par différentes échelles administratives, comme la communauté d’agglomération, la communauté urbaine ou le pôle d’équilibre territorial rural17. Autre initiative : la région Centre-Val de Loire travaille actuellement sur un projet porté avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et l’agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie (ADEME) pour expérimenter des itinéraires de formation prenant en compte les enjeux des transitions destinés aux 230 métiers de la fonction publique territoriale18. Ce projet espère aboutir durant l’année 2023, avec des formations disponibles pour l’ensemble des échelles territoriales (commune, interco, département et région).

Pour aller plus loin

  • DSP, « 8 questions sur l’avenir du télétravail, vers une révolution du travail à distance ?, » rapport d’information, 2021.
  • FP21, « Apporter les croissants n’est pas un outil managérial. 13 propositions pour un management du xxie siècle », 2022.
  • Association des DRH des grandes collectivités territoriales, « Les DRH et les nouvelles équations du travail, concilier les attentes émergentes des agent·es et les besoins des organisations », actes du colloque, 2021.
  • DITP, Le coaching professionnel dans la fonction publique, 2021.
  • Salman S., Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, 2021, Les Presses de Sciences Po, Académique.
  • La 27e Région, Vraiment Vraiment et Partie prenante, « Réflexes publics, Enquête-action sur les transformations publiques par temps de crise », 2020.
  • La 27e Région, « Capacités publiques, renforcer la résilience des administrations, le blog du programme de La 27e Région » (https://capacitespubliques.la27eregion.fr).
  • Detchessahar M. (dir.), L’entreprise délibérée, Refonder le management par le dialogue, 2019, Nouvelle Cité.
  1. Une enquête réalisée avec l’aide précieuse de Marine Parent et d’Amivi-Sika Dogbolo (Oyena).
  2. Thomas J., « L’argot de bureau : « VUCA », quand l’entreprise navigue à vue », Le Monde 14 mars 2022.
  3. Les DRH et les nouvelles équations du travail, concilier les attentes émergentes des agent.e.s et les besoins des organisations, Actes du colloque, association des DRH des grandes collectivités territoriales, 15 oct. 2021.
  4. https://www.anact.fr/semaine-pour-la-qualite-de-vie-au-travail
  5. Kaplan D., « Les nouveaux imaginaires de l’action publique territoriale », Horizons publics juill.-août 2020, n16.
  6. Cinq enjeux pour l’emploi cadre en 2022, APEC, févr. 2022.
  7. Menu S., « Les fonctionnaires ont perdu la flamme », 1er oct. 2021 (https://www.horizonspublics.fr/etat/les-fonctionnaires-ont-perdu-la-flamme).
  8. Lire notre article : Travailler autrement dans le secteur public, Philippe Guichardaz.
  9. Tramontin L., « Seine-Saint-Denis (93) : le département propose à ses agents de donner du temps de travail aux associations du territoire », Horizons publics mai-juin 2022, no 27, p. 10 et s.
  10. Corvaisier Y., « Quand la Carsat Rhône-Alpes fait de la symétrie des attentions le moteur de sa transformation managériale », Horizons publics sept.-oct. 2022, no 29, p. 38 et s.
  11. Fournier A., « La ville de Marseille engagée dans une vaste transformation managériale », op. cit., 68 et s.
  12. Nessi J., « Quand le management de la subsidiarité gagne les collectivités locales », op. cit., p. 44 et s.
  13. DITP, Le coaching professionnel dans la fonction publique, nov. 2021.
  14. Salman S., « Aux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise », 2021, Les Presses de Sciences Po, Académique.
  15. Blondeau M., « Il faut porter la transformation écologique au cœur des entreprises et des administrations », propos recueillis par Julien Nessi, 19 avril 2022 (https://www.horizonspublics.fr/environnement/maxime-blondeau-il-faut-porter-la-transformation-ecologique-au-coeur-des-entreprises).
  16. https://www.les-rencontres-ecologie-travail.fr/
  17. « Accompagner les territoires dans leurs démarches de transition, un enjeu déterminant pour l’avenir », Horizons publics hors-série été 2022.
  18. Tramontin L. et Gapenne B., « Une conscience écologique et sociale : un manager engagé et des collaborateurs mobilisés », op. cit., p. 62 et s.
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