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Enquête : travailler autrement dans le secteur public

Le 18 octobre 2022

Face aux sérieux problèmes de recrutement auquel il doit faire face, le secteur public commence à se tourner vers les innovations sociales en termes de recrutement et de management. Si le statut et la grille salariale peuvent sembler de prime abord un obstacle, le secteur public a pour lui l’utilité sociale, des valeurs vis-à-vis des jeunes diplômés qui placent l’éthique de l’organisation et le sens du travail tout en haut de leurs priorités. Reste à convaincre ces derniers en allant vers eux avec une stratégie solide, une réelle volonté d’adapter les cadres aux exigences de cette génération par des expérimentations et des moyens à la hauteur du défi.

Lorsque la métropole de Rouen a publié, en début d’année 2022, trente-cinq offres d’emploi d’encadrement, elle ne s’attendait probablement pas à ce qu’aucune de ses offres ne débouche sur des embauches ! « Nous avons bien reçu des candidatures, mais elles étaient toutes en inadéquation avec les postes proposés. Les profils que nous recherchions ne se sont pas spontanément présentés à nous », constate Nicolas Rouly, vice-président en charge des finances, des ressources et de l’administration générale. Les difficultés de recrutement de la collectivité territoriale normande ne sont pas, loin s’en faut, un cas isolé dans la sphère des métropoles – on fait un constat identique à Bordeaux, par exemple – et concernent aussi l’administration centrale : « Des ministères se penchent sur la question de la marque employeur », observe Henri Bergeron, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po. Même certains centres de recherche, comme le centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), ont du mal à attirer les talents et sont en pleine remise en question sur leur politique de recrutement. Quant à Sébastien Lajoux, directeur des ressources humaines de l’université de Lorraine, il fait état de difficultés similaires.

Comment expliquer ce défaut d’attractivité ? La mauvaise image traditionnelle du secteur public (carcan statutaire, salaires, culture, etc.) n’aide pas à recruter des talents par ailleurs très sollicités par le secteur privé : « La fonction publique passe pour un univers conservateur, pétri de règles, au management très vertical et technocratique. Même si le management par objectif s’y développe, les managers ne disposent que de peu de leviers, la grille des salaires par exemple ne permettant pas d’opérer des distinctions entre les fonctionnaires. Mais le principe d’égalité évite aussi les dérives », fait remarquer Emmanuelle Gurtner, enseignante en management à l’université de Lorraine – IAE Nancy School of Management – et chercheuse au CEREFIGE1. À cela viendraient s’ajouter des évolutions profondes de la société, du marché du travail et des pratiques professionnelles issues du secteur privé, telles que le slashing, le jobshare, qui seraient peu compatibles avec le statut de la fonction publique, en réalité sa lecture surtout et les pratiques qui en découlent, tempère Sébastien Lajoux. Ce dernier estime que les règles en matière de temps de travail des fonctionnaires offrent autant, si ce n’est davantage, de liberté que celles du secteur privé.

Des évolutions profondes de la société peu compatibles avec le statut de la fonction publique ?

Au premier rang de ces évolutions, la prise de conscience environnementale et la volonté d’une partie des jeunes diplômés de ne pas intégrer un avenir radieux et tout « fabriqué » : « Compte tenu des effets du changement climatique et de ses périls qui sont déjà bien visibles, est-il bon de continuer à produire un fatras de biens de consommation dont on pourrait se passer ? Un ingénieur ne doit pas servir à optimiser les recettes pour qu’un shampoing soit moins polluant, on s’en fiche parfaitement, et c’est cela que clament les ingénieurs révoltés. Un ingénieur doit se dire : demain, on fait sans pétrole, comment on se lave sans la pétrochimie du savon ? Voilà une question intéressante, on revient à la base », interroge Damien, jeune ingénieur chimiste qui a choisi de bifurquer vers les sciences humaines et sociales. Tout comme Valentin qui après sa formation d’ingénieur chimiste a passé un CAP de boulanger puis opté pour… une école de cinéma. Si on lui parle de contradictions, il répond simplement : « Pourquoi ne pas devenir cinéaste et boulanger ! » En outre, lorsqu’il croise d’anciens étudiants de son école de chimie, il a souvent le sentiment que son parcours atypique les fait rêver.

On veut exercer une activité dans laquelle on se réalise et qui a une utilité sociale.

De tels esprits sont-ils « perdus » pour la fonction publique ? « Pas nécessairement. Ils seraient même susceptibles de faire de très bons enseignants. Mais le microcosme universitaire, en principe ouvert, serait-il prêt à les accueillir ? », interroge Sébastien Lajoux.

Cette révolte des premiers de la classe2 ne date pas d’un récent appel à la bifurcation d’une célèbre école d’ingénieurs en agronomie ! Depuis une dizaine d’années environ, les trajectoires non rectilignes se multiplient : un diplômé d’une école de commerce passe un CAP de plombier ; dans les écoles de cuisine, il y a désormais bon nombre de hauts diplômés. L’agriculture, le bio, la distribution en circuits courts, les métiers du soin attirent également les « premiers de la classe ». « Il s’agit du modèle de la bifurcation. On veut exercer une activité dans laquelle on se réalise et qui a une utilité sociale. Certes cela est plus facile à mettre en œuvre pour les profils très diplômés qui peuvent toujours revenir en arrière et, de plus, n’oublions pas que les bac +5 ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la société française. N’empêche que ce modèle de la bifurcation s’y diffuse petit à petit », analyse Monique Dagnaud, directrice de recherche à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui confie être très sollicitée tant par des acteurs privés que publics voulant comprendre ces phénomènes qui leur posent de sérieuses difficultés, car ils souhaitent recruter un grand nombre de jeunes diplômés.

Deuxième évolution, le rapport au temps et à l’espace et la moindre envie de « faire carrière ». Les étudiants craignent de se retrouver enfermés dans des « tuyaux » sans pouvoir ensuite en sortir. « Un horizon d’un ou deux ans est souvent perçu comme trop long. Même un CDD de six mois peut être refusé pour ce motif. C’est un phénomène qui croît mais de là à en faire une généralité… La majorité des jeunes recherche toujours un emploi stable », relativise Emmanuelle Gurtner. Ces jeunes ont vu leurs parents travailler beaucoup sans être récompensés par l’entreprise, voire licenciés en raison des nombreux plans sociaux, et pour certains sombrer dans le burn-out. En outre, dès les années 1990, il était asséné aux étudiants qu’ils allaient devoir changer quatre ou cinq fois de carrière dans leur vie. « Le grand discours de la flexibilité est devenu réalité », souligne Emmanuelle Gartner.

Mais le rapport étude/travail s’est lui aussi modifié, car désormais prendre une année sabbatique après le bac pour explorer le monde est une sorte de norme – les petits boulots sont même valorisés dans les CV –, à l’instar de ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons et nordiques (au Danemark une allocation autonomie est même allouée !)3. Les étudiants sont soutenus financièrement par les parents qui le peuvent pour les aider à se trouver : « Il existe une grande tolérance des familles sur ce sujet et le triptyque bac, études, travail s’est profondément transformé », relève Monique Dagnaud.

Pour Timothée, jeune ingénieur agronome : « Faire carrière est une expression que je n’utilise jamais, car il n’est pas question pour moi de m’encroûter dans une organisation et mettre tous mes œufs dans le même panier. Après mon expérience actuelle de coordination de projet, je chercherai à me rapprocher du terrain. Je souhaite en effet côtoyer, outre des scientifiques, des agriculteurs, des distributeurs, des consommateurs, des associations, etc., apportant des visions différentes. »

Troisième évolution, le marché du travail, avec un retournement en faveur des jeunes diplômés : « Les nouvelles générations de diplômés, notamment les 20 à 25 % de bac+5, sont très demandées et donc à même d’imposer leurs conditions. Certes, le secteur public a ses spécificités, mais les difficultés de recrutement touchent tout autant le secteur privé alors que les offres d’emploi y sont abondantes », souligne Monique Dagnaud.

Cette volonté de faire carrière apparaît à certains d’autant plus « hors champ » que la vie semble bien précaire en raison des incertitudes climatiques, sanitaires et internationales avec la guerre en Ukraine. « Dans un tel contexte, le rapport au travail et ses contraintes, qui avaient déjà évolué avant la crise du covid, sont remis en question », estime Monique Dagnaud.

Les conditions des jeunes diplômés portent tout autant sur l’objet de l’entreprise qui doit être éthique, moins émettrice de carbone (changement climatique oblige), que sur le sens et les conditions de travail, l’équilibre vie privée/vie professionnelle avec l’enjeu du télétravail, sans oublier la réalisation de soi notamment à travers la possibilité d’exercer une activité rémunérée ou du bénévolat en parallèle de l’activité pour laquelle on est embauché, et ce, afin de ne pas limiter ses perspectives. Des tendances déjà à l’œuvre avant la crise sanitaire qui n’a fait que les exacerber.

Ressources humaines : des métropoles qui commencent à aller vers de nouvelles pratiques

Face à de telles transformations, la fonction publique est-elle désavantagée par ses structures et son cadre dans la course aux talents ? Est-elle incapable de s’adapter aux demandes de la société et notamment aux nouvelles aspirations des jeunes diplômés ?

« Notre métropole est assez récente et encore peu engagée sur les innovations comme celles que vous mentionnez », plaide Nicolas Rouly, qui poursuit : « En matière de ressources humaines, dans le contexte de crise sanitaire, nous avons fait porter nos efforts sur le télétravail qui concernent aujourd’hui 1 700 agents, soit la moitié des effectifs de la métropole, ce qui a représenté un véritable défi ainsi que la mise en conformité de notre temps de travail avec la règle des 1 607 heures du Code de la fonction publique. »

Ces deux grands sujets étant derrière elle, la métropole rouennaise souhaite désormais s’investir sur de nouveaux terrains : « Nous avons commencé à revoir nos modalités de recrutement, avec par exemple une présence accrue sur les réseaux sociaux, un recours amplifié à l’apprentissage et des partenariats avec l’enseignement supérieur. Nous allons également étudier des éléments plus innovants tel que le jobshare. Toutefois, au-delà de l’aspect technique, le sujet est politique, car il renvoie aux évolutions du statut de la fonction publique. Un simple alignement sur le droit privé ne serait ni juste ni efficace », pointe Nicolas Rouly.

Le contexte sanitaire et la mise en place du télétravail, le respect des 1 607 heures de travail auraient donc été des obstacles majeurs à l’expérimentation de nouveaux dispositifs en matière de ressources humaines.

La fonction publique est-elle désavantagée par ses structures et son cadre dans la course aux talents ?

Ce que confirme Sébastien Lajoux : « À ce jour, 1 500 personnes des fonctions administratives et de supports de l’université, les “BIATSS” (personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé), soit la moitié de cet effectif, télétravaillent soit régulièrement soit ponctuellement. Or, nous avons mis quatre ans à atteindre ce résultat. Avant la crise sanitaire, nous avions mis en place une expérimentation sur une centaine de personnes. Le frein le plus important s’est révélé provenir des cadres supérieurs, car il s’agit d’une remise en cause profonde du management et est révélateur du manque de confiance dans la ligne hiérarchique, le postulat étant celui du contrôle. Ce faisant, on s’interdit toute vision innovante en matière de management en utilisant l’argument du statut de la fonction publique. Lorsque vous voulez introduire de telles innovations, il faut donc laisser du temps à l’acculturation, ce qui passe par l’expérimentation. » Un constat partagé par Emmanuelle Gurtner : « Dans la fonction publique, si quelqu’un n’est pas là, c’est qu’il ne travaille pas. Il existe une méfiance par rapport au travail distant. »

Il faut toutefois se garder de tout systématisme. La fonction publique n’est pas un bloc monolithique et à y regarder de plus près son statut, considéré a priori comme un carcan, permettrait plus de liberté que l’on ne pense, comme le montrent les exemples qui suivent même si l’adaptation des règles aux aspirations des individus et l’évolution du management constituent des défis de taille, sans oublier un dialogue social très structuré. Par ailleurs, le cadre des entreprises privées peut être plus souple mais le droit du travail mériterait d’être, lui aussi, revu à l’aune des demandes de la société estiment certains praticiens. Les partenaires sociaux ont-ils d’ailleurs pris la juste mesure des bouleversements à l’œuvre ? Rien n’est moins sûr…

« Embauché dans un centre de recherche public comme coordinateur dans le cadre d’un contrat de projet4, j’ai pu conserver mon activité d’autoentrepreneur à laquelle je consacre une journée par semaine », explique Timothée qui n’a pas donné suite à une proposition d’emploi dans le secteur privé qui ne lui aurait pas permis de mener ses deux activités avec autant de souplesse, voire même pas du tout !

Le jobshare est également pratiqué à la DRH de l’université de Nancy, mais dans un sens autre que celui du secteur privé qui a plutôt des motivations économiques. « J’entends plus le jobshare comme la mise en place de la transversalité, de la délégation de pouvoir comme c’est déjà le cas. En intervenant dans d’autres universités lorsque l’on m’invite pour des interventions, ou des réseaux de territoires ou encore à l’Institut national des études territoriales (Inet), je suis également un ambassadeur de la marque employeur de mon université. Un certain nombre de collègues BIATSS5 de l’université interviennent également soit en tant qu’enseignants vacataires auprès des étudiants soit en qualité de formateurs occasionnels auprès des personnels dans des domaines relevant de leur spécialité.

Par ailleurs, il existe au sein de la DRH un service « pilotage » composé de collègues de plus en plus aguerris comme consultants en organisation qui accompagnent des structures internes qui évoluent. Ils ont développé une méthodologie en ce sens mais exercent en parallèle des fonctions de recrutement, de gestion de la masse salariale, etc. Le jobshare signifie ici de la grande polyvalence », précise Sébastien Lajoux.

De son côté, le département de Seine-Saint-Denis a adopté depuis décembre 2020 un dispositif qui donne la possibilité à ses 7 800 agents de réaliser des missions solidaires jusqu’à deux jours par mois sur leurs temps de travail au service d’associations du territoire6. Les missions de bénévolat vont de l’accueil téléphonique aux cours d’informatique en passant par l’accueil physique, la distribution alimentaire, la logistique, ou encore l’aide à la recherche de financements internationaux.

Pour sa part, la métropole bordelaise a instauré en 2022 le congé de solidarité internationale (CSI) afin de permettre à ses agents de se consacrer à un projet humanitaire. La durée de ce congé varie en fonction du projet choisi par l’agent. Comme il s’effectue sur les congés payés de ce dernier, il ne peut être supérieur à trente jours (durée maximum d’une période continue de congés dans la fonction publique). Pour cette première session de CSI, la durée observée est de quinze jours en moyenne.

Soit l’agent choisit parmi un catalogue de missions à effectuer proposées par un opérateur avec lequel un accord a été conclu par la métropole, soit il a déjà bien préparé son projet et le présente au service « Innovation sociale et égalité professionnelle » de la métropole. Cette dernière propose également du mécénat de compétences qui consiste à mettre à la disposition des associations subventionnées des agents de la collectivité sur leurs temps de travail, ce qui représente un don en nature. En aidant les associations, la collectivité bordelaise a pour objectif de les inciter à se développer et à travailler sur des projets intéressants. Enfin, la rupture conventionnelle peut jouer le rôle d’incubateur pour l’agent qui aurait décidé de se réorienter en développant sa propre activité en théorie en dehors de son temps de travail même si cela peut déborder un peu. « Le statut de la fonction publique est beaucoup moins rigide qu’on le pense. Avec un peu d’imagination, on peut laisser la place à l’expression des agents qui peuvent avoir d’autres envies comme de monter une activité de fleuriste ou de devenir naturopathe. Parmi ceux qui choisissent de se réorienter, j’observe un nombre important d’agents de catégorie C », confie Vincent Lescaillez, directeur général ressources humaines et administration générale, qui pratique sans le savoir le jobshare puisqu’il est à la fois DGA de la métropole et de la ville de Bordeaux : « Pourtant le terme n’est pas usité à la DRH », souligne-t-il avec ironie…

La métropole bordelaise a instauré en 2022 le congé de solidarité internationale (CSI) afin de permettre à ses agents de se consacrer à un projet humanitaire.

L’imagination évoquée par Vincent Lescaillez consiste, par exemple, à aménager un temps partiel pour l’agent qui développe son activité afin de lui libérer du temps pour travailler sur son projet. Mais pourquoi investir dans un agent qui veut quitter la collectivité ? « Tout d’abord en tant qu’employeur public, nous pourrions choisir de privilégier les projets qui vont vers l’économie sociale et solidaire et sont donc en rapport avec un projet politique de la ville. Pour les deux autres dispositifs, il s’agit de fidéliser nos agents en leur apportant un facteur de motivation supplémentaire, en évitant l’ennui dans leur travail, ou bien correspondant à certaines tranches d’âges, d’investir de nouveaux domaines. Dans le cas du projet humanitaire à l’international, c’est un moyen, en faisant découvrir des réalités internationales très différentes, de permettre aux agents de gagner en responsabilité et en autonomie plutôt que de les laisser trop longtemps dans un même collectif », explique Vincent Lescaillez.

Le cumul d’activités : oui mais…

La sphère publique n’échappe pas aux tendances lourdes du monde du travail parmi lesquelles on trouve l’exercice de deux métiers, ou d’un métier et d’une passion, ou encore d’un métier et d’une activité de bénévolat.

C’est le cumul d’activités rémunérées qui pose problème7. Si en principe un agent peut travailler dans une collectivité territoriale et avoir une activité qui lui est propre (un médiateur culturel qui voudrait donner des conférences, un éducateur sportif qui souhaite développer une activité de coach privé, etc.), cela se fait sous conditions et est soumis à autorisation, un processus assez lourd. Le point étant que l’agent doit se consacrer à temps plein à sa mission de service public mais aussi que la collectivité est vigilante à la santé de ses agents. Le cadre est donc plus restrictif que dans le secteur privé.

En outre, l’introduction de l’autoentreprenariat n’a rien arrangé et a même posé des problèmes de déontologie importants. « Les textes s’empilent et sont nébuleux, le droit ne donne pas de réponses claires sur cette question du cumul d’activités », déplore un DRH qui avance des solutions comme effectuer plusieurs temps de travail : par exemple, quatre jours avec davantage d’heures de travail par jour pour la mission de service public et une journée pour le cumul d’activités.

En la matière, certaines professions sont bien mieux loties que d’autres : le cumul d’activités est en effet assez courant pour les enseignants-chercheurs, par exemple, qui donnent des conférences, des consultations, etc. D’une manière générale, la production des œuvres de l’esprit est ancrée dans la fonction publique et ne pose pas vraiment de problèmes quant au cumul. En revanche, les agents de catégorie C, soit 80 % de la fonction publique territoriale, qui sont les moins bien payés et auraient le plus besoin des revenus d’une activité supplémentaire – alors que le pouvoir d’achat est redevenu le sujet de préoccupation numéro 1 –, sont ceux pour qui le cumul d’activités est le moins accessible !

Un secteur public véhicule d’utilité sociale

Réflexions sur la marque employeur, meilleure visibilité sur les réseaux sociaux pour aller vers les candidats, organisation de job dating, meilleure communication sur les métiers des collectivités, expérimentations d’innovations managériales pour tenir compte des nouvelles aspirations des individus, dispositifs inédits visant à donner du sens, etc. : les grandes collectivités territoriales commencent à prendre les choses en main pour trouver des solutions aux sérieuses difficultés de recrutement qu’elles éprouvent, tout particulièrement sur certains postes, et pour tenter de fidéliser leurs agents afin d’éviter des taux de turn-over trop importants. « Les perles sont rares et chères en matière de sécurité des systèmes d’information où les fonctionnaires en place sont très peu nombreux. Toutefois, nous avons récemment réussi à convaincre une jeune femme de nous rejoindre. Elle a effectivement accepté des concessions sur le salaire. Mais lorsque vous travaillez pour sécuriser les systèmes d’information qui gèrent le réseau d’eau potable de la ville par exemple, cela fait sens, il y a utilité sociale, vous œuvrez pour le collectif. Enfin, vous travaillez sur du concret et pour peu que l’agent reste en poste plusieurs années, il verra l’aboutissement de projets auxquels il a participé », estime Vincent Lecaillez, même si il a bien conscience que les jeunes ont des comportements plus nomades que leurs aînés et ne sont pas prêts à s’engager sur le long terme.

Mais à condition de développer une stratégie solide en matière de recrutement, de communication et d’y mettre les moyens, de réussir à adapter le cadre juridique aux exigences et aspirations des jeunes diplômés concernant les enjeux éthiques, le cumul d’emplois ou encore la possibilité de bifurquer (les grandes collectivités offrent une diversité de métiers que l’on ne trouve pas dans beaucoup d’entreprises), la fonction publique pourrait se révéler à terme aussi attractive que le secteur privé, voire même davantage…

La position du manager est de moins en moins recherchée. D’autant plus que la hiérarchie ne donne pas d’indications précises sur ce qu’elle attend du manager en fonction de sa position dans la hiérarchie.

Promotion : les agents y regardent à deux fois !

Le principe de la carrière est inhérent à la fonction publique, une survivance de la logique statutaire. Pourtant de plus en plus d’agents y regardent à deux fois avant d’accepter une promotion même si cela doit par la suite fermer des portes. Les motifs de refus sont variés : certain·es refusent parce qu’ils ne se sentent pas prêt·es ; d’autres parce que les règles les y contraignent (être trop élevé dans la hiérarchie peut vous empêcher, par exemple, d’être DGS dans une ville de 20 000 hab. où vous aimeriez pourtant un jour être nommé) ; d’autres encore parce qu’ils ont trouvé un équilibre entre travail et vie familiale et ne souhaitent pas rompre celui-ci, car l’exercice du management s’avère de plus en plus compliqué tant en termes de positionnement que de posture. On demande aux managers d’être à la fois des ambassadeurs de la marque employeur, d’arriver à faire raisonner les connaissances qu’ils possèdent sur chaque membre de leur équipe avec les objectifs du collectif de travail, sans oublier de s’adapter aux demandes des usagers ! « C’est trop. En conséquence la position du manager est de moins en moins recherchée. D’autant plus que la hiérarchie ne donne pas d’indications précises sur ce qu’elle attend du manager en fonction de sa position dans la hiérarchie. À cet effet l’élaboration d’un code des managers dans les organisations pourrait s’avérer fort utile », pense un praticien des ressources humaines au sein de la fonction publique territoriale.

  1. Centre européen de recherche en économie financière et gestion des entreprises.
  2. Cassely J.-L., La Révolte des premiers de la classe. Métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines, 2017, Arkhê.
  3. « Il s’agit d’un dispositif universel d’accés à l’autonomie sans condition de ressources qui permet aux jeunes de se trouver, de prendre leur temps en leur accordant le droit au doute et à l’erreur : ils peuvent bifurquer, se réorienter, aller travailler, revenir se former à l’université », Peugny C., Que faire contre les inégalités. 30 experts s’engagent, 2016, Édition de l’Observatoire des inégalités.
  4. D. no 2021-1299, 5 oct. 2021, relatif au contrat de projet ou d’opération de recherche prévu par l’article L. 431-4 du Code de la recherche.
  5. Personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniciens sociaux et santé.
  6. Tramontin L., « Seine-Saint-Denis (93) : le département propose à ses agents de donner du temps de travail aux associations du territoire », Horizons publics mai-juin 2022, no 27, p. 10-11.
  7. La récente mise en place des référents déontologues permet en théorie à tout agent de pouvoir s’adresser à quelqu’un de neutre pour y voir plus clair sur ces questions de cumul.
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