Transformation de la fonction publique : le projet de loi entre dans les détails  

Le 13 juin 2019

Le 28 mai, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi de transformation de la fonction publique. Adopté après une cinquantaine heures de débats, par 351 voix ( LREM-MoDem), 156 « contre » (groupes de gauche et LR) et 53 abstentions (UDI-Agir et Libertés et Territoires). Un vote qui laisse présager l’adoption prochaine du texte après son examen par le Sénat. Le projet qui compte désormais 54 articles au lieu des 36 du texte initial, s’est densifié.

Lors de son adoption par le Conseil des ministres du 27 mars, Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics et Olivier Dussopt, secrétaire d’État, avaient indiqué attendre de ce projet une profonde modernisation du statut et des conditions de travail dans la fonction publique. Intervenant après une cinquantaine de réunions tenues en 2018 avec les neuf organisations syndicales de la fonction publique et les représentants de l’État, des employeurs territoriaux et hospitaliers, le texte - ambitieux – vise à donner aux agents et à leur encadrement les leviers nécessaires à la conduite des transformations publiques.

Le projet initial adopté en première lecture

Le statut général étant conservé, le projet de loi procède d’abord en matière de dialogue social à une simplification de l’organisation des instances et une déconcentration des décisions.

La place de la négociation collective dans la fonction publique est renforcée, afin que des accords majoritaires puissent être conclus au niveau national, comme au niveau local, et avoir une portée juridique.

Une instance unique, le comité social, sera chargée d’examiner l’ensemble des questions collectives, en lieu et place du comité technique et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les commissions administratives paritaires sont recentrées sur le champ disciplinaire et les situations individuelles les plus délicates.

Pour la haute fonction publique, une ordonnance spécifique réformera les règles de recrutement et de formation initiale et continue des agents de catégorie A en structurant différemment leur parcours de carrière.

De nouvelles modalités de recrutement pour les responsables publics

Afin de développer les « leviers managériaux » pour rendre l’action publique plus réactive et plus efficace, le projet comporte de nouvelles modalités de recrutement pour les responsables publics. Le recours au contrat est significativement élargi : il sera possible de recruter indifféremment un fonctionnaire ou un contractuel sur l’ensemble des emplois de direction de la fonction publique et dans les établissements publics de l’État.

De nouvelles dérogations au principe de l’occupation des emplois permanents par des fonctionnaires sont également prévues au sein de l’État, notamment lorsque l’emploi fait appel à des compétences techniques spécialisées ou nouvelles, ou lorsque la procédure de recrutement d’un titulaire s’est révélée infructueuse et au sein du versant territorial, pour les emplois de niveau B. Les collectivités de moins de 1 000 habitants pourront également recruter par voie de contrat sur l’ensemble de leurs emplois permanents.

Autre disposition inspirée du secteur privé, un contrat de projet est également créé dans les trois versants de la fonction publique, pour permettre l’embauche sur des missions ponctuelles spécifiques avec une durée minimale d’un an et dans la limite de six ans.

Favoriser les passerelles entre secteur public et privé

Pour favoriser la mobilité et d’accompagner les transitions professionnelles des agents publics dans la fonction publique et le secteur privé, les mutations ne seront plus soumises à l’examen des commissions administratives paritaires ; une portabilité du compte personnel de formation est instaurée en cas de mobilité entre secteurs public et privé ou la portabilité du contrat à durée indéterminée entre versants de la fonction publique. Réforme sensible, un dispositif de rupture conventionnelle sur la base d’un commun accord entre l’agent et son employeur, ouvrira droit à une indemnité de rupture ainsi qu’au bénéfice de l’assurance chômage. En cas de restructuration, les agents pourront bénéficier d’un reclassement au niveau local avec une priorité d’affectation, d’un congé de transition professionnelle pris en charge par l’État ou d’un accompagnement spécifique vers le secteur privé dans le cadre de plans de départs volontaires. Par ailleurs, en cas d’externalisation de missions, les agents qui seront détachés d’office auprès du cocontractant de l’administration bénéficieront du maintien des garanties découlant de leur statut et d’un droit d’option au renouvellement de la concession.

Harmonisation du temps de travail avec le secteur privé

Pour simplifier le cadre de gestion des agents publics, le projet de loi harmonise le temps de travail dans la fonction publique avec le secteur privé : les accords dérogatoires à la durée légale de travail (1607 heures) dans la fonction publique territoriale seront supprimés d’ici à 2022. Un contrôle nouveau est instauré au retour d’une mobilité dans le secteur privé ou lors du recrutement d’un contractuel sur les emplois les plus exposés du point de vue déontologique. La protection sociale complémentaire des agents publics, et les garanties liées à leur santé et à leur sécurité au travail seront améliorées par la voie d’une ordonnance.

Renforcer l’égalité professionnelle dans la fonction publique

Le projet de loi doit enfin renforcer l’égalité professionnelle dans la fonction publique par l’obligation de plans d’action « égalité professionnelle » d’ici à 2020. Le dispositif de nominations équilibrées sur les emplois de direction sera étendu et renforcé. Il comporte notamment une sécurisation des règles de composition équilibrée et de présidence alternée pour les jurys et comités de sélection, l’inapplication du jour de carence pour les congés maladie liés à la grossesse  ainsi que le maintien des primes pour les territoriaux en cas de congé maternité. Par ailleurs, de nouvelles garanties sont également prévues au bénéfice des personnes en situation de handicap, afin de leur assurer un parcours professionnel plus diversifié et un accès facilité aux responsabilités professionnelles.

L’apport de la commission des lois et des séances publiques

Sous l’impulsion de la commission des lois et particulièrement de la rapporteure Emilie Chalas, de nouvelles dispositions ont été introduites pour régler plusieurs situations particulières.

  • L’inclusion des enjeux relatifs à l’égalité professionnelle et à la lutte contre les discriminations dans le champ d’intervention des comités sociaux au sein des trois fonctions publiques ;
  • la création d’un délai de prévenance pour les nouveaux contrats de projets ;
  • le renforcement de l’encadrement des ruptures conventionnelles ;
  • la fusion de la commission de déontologie de la fonction publique (CDFP) avec la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ;
  • la protection financière de l’agent en cas « d’externalisation » (la rémunération du fonctionnaire dont l’activité est externalisée au sein d’une personne morale de droit privé ne pourra être inférieure à celle versée aux salariés de cette même personne morale pour l’exercice des mêmes fonctions) ;
  • l’encadrement des hautes rémunérations, avec l’établissement d’un rapport annuel.

D’autres amendements ont été adoptés lors des séances publiques, du 13 au 22 mai, comme :

  • la définition des missions des fonctionnaires (« Les fonctionnaires ont pour missions de servir l’intérêt général, d’incarner les valeurs de la République et d’être acteurs d’une société inclusive. ») ;
  • l’élargissement des compétences des comités sociaux ;
  • l’exclusion des agents de catégorie C du « contrat de projet » et la création d’une prime de précarité ;
  • le délai de non retour dans un établissement après une rupture conventionnelle.

Des amendements intéressent la fonction publique hospitalière, notamment celui qui traite des formations suivies par les contractuels recrutés pour y occuper des emplois de direction qui devront leur permettre d’acquérir l’ensemble des connaissances requises en matière d’organisation et de fonctionnement des services publics.

Bilan d’étape

Au total, ces heures de débat à l’Assemblée nationale auront permis de mieux cerner la portée des dispositions du projet de loi en les perfectionnant.

Quel bilan tirer de cette première lecture du projet à l’Assemblée nationale ? Si le texte voté satisfait, les députés LRM qui estiment l’avoir renforcé en dépassant « les conservatismes dogmatiques pour rendre la fonction publique attractive, dans laquelle les concitoyens voudront s’engager », si le groupe MODEM juge qu’il répond au besoin de souplesse accrue, de meilleur contrôle et de plus grande transparence dans la gestion des trois versants de la fonction publique, le projet a aussi soulevé de fortes réticences de l’opposition.

Des critiques d’abord globales : le texte manque de profondeur historique et de vision de l’avenir ; il constitue une rupture avec l’histoire longue de la fonction publique (groupe socialiste). Personne n’est capable de dire quel est l’objectif final du Gouvernement, ni quel avenir il prépare pour la fonction publique (groupe UDI)… Un changement de nature de la fonction publique passant d’une fonction publique de carrière, remplissant une mission de service public, à une fonction publique d’emploi, au service d’abord des employeurs publics (France Insoumise). Voire une loi « d’extinction de la fonction publique », préparant un plan social inégalé dans le secteur public (groupe GDR). Le groupe Libertés et territoires veut préserver les principes de neutralité, d’indépendance, d’intégrité et d’égalité de traitement des usagers de l’actuel statut de la fonction publique.

Un peu à contrecourant, d’autres députés ont pointé des insuffisances dans la transformation comme l’absence de simplification de l’organisation statutaire et le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Fondé sur trop de préjugés, le projet crée plus d’inquiétudes qu’il n’apporte de solutions (groupe Les Républicains). Une question demeure pour le groupe UDI : quels sont les missions, les métiers et les postes qui resteront demain sous statut, et quels sont ceux qui pourront en être exonérés ?

Beaucoup d’appréciations critiques ont aussi porté sur des aspects plus techniques : le développement du contrat, concurrent du concours, augmentant le risque de l’arbitraire, de la rupture d’égalité, du clientélisme dans le recrutement ; un cadre juridique permettant de se passer de fonctionnaires, avec le détachement d’office ou la rupture conventionnelle, considérés comme « une arme de destruction massive » pour supprimer à terme 120 000 postes de fonctionnaires…

La discussion recommence maintenant au Sénat, d’abord en commission des lois, le 12 juin, puis en séance publique, à partir du 18 juin.

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